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22/04/2013 | FRANCE | N°351392

France | France, Conseil d'État, 5ème et 4ème sous-sections réunies, 22 avril 2013, 351392


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 29 juillet et 25 octobre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. A... C...et Mme D... B..., épouseC..., demeurant... ; M. et Mme C...demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 10LY01862 du 9 juin 2011 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon, statuant sur l'appel de la commune de Toucy, a annulé le jugement n° 0700079 du 24 juin 2010 du tribunal administratif de Dijon condamnant cette commune à leur verser la somme de 124 777,89 euros, assortie des int

rêts au taux légal à compter du 15 janvier 2007, en réparation du ...

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 29 juillet et 25 octobre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. A... C...et Mme D... B..., épouseC..., demeurant... ; M. et Mme C...demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 10LY01862 du 9 juin 2011 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon, statuant sur l'appel de la commune de Toucy, a annulé le jugement n° 0700079 du 24 juin 2010 du tribunal administratif de Dijon condamnant cette commune à leur verser la somme de 124 777,89 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 15 janvier 2007, en réparation du préjudice anormal et spécial résultant de l'installation d'un rideau de palplanches métalliques sur la rive droite de l'Ouanne au droit de leur propriété, et a rejeté leurs conclusions ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Toucy le versement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Dominique Langlais, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Le Bret-Desaché, avocat de M. et Mme C...et de la SCP Ortscheidt, avocat de la commune de Toucy,

- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Le Bret-Desaché, avocat de M. et Mme C... et à la SCP Ortscheidt, avocat de la commune de Toucy ;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, en 1985, la commune de Toucy a fait édifier le long de la rive droite de l'Ouanne un rideau de palplanches métalliques destiné à protéger un chemin communal exposé aux crues de cette rivière ; que, le 23 janvier 1998, M. et Mme C...ont fait l'acquisition d'une maison d'habitation située sur la rive gauche de la rivière, au droit de cet ouvrage public ; que cette maison présente, en particulier depuis les crues survenues en décembre 1999 puis en mars 2001, des désordres que les requérants ont attribués à l'implantation des palplanches ainsi qu'à leur incidence sur l'écoulement des eaux et dont ils ont demandé réparation à la commune devant le juge administratif ; que, par un jugement du 24 juin 2010, le tribunal administratif de Dijon a fait droit à leur demande et condamné la commune de Toucy à leur verser une somme de 124 777,89 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 15 janvier 2007 ; que M. et Mme C...se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 9 juin 2011 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon, statuant sur l'appel de la commune de Toucy, a annulé ce jugement au motif qu'ils s'étaient exposés en connaissance de cause au risque de subir les dommages dont ils demandaient réparation ;

2. Considérant que, lorsqu'il est soutenu qu'une partie s'est exposée en connaissance de cause au risque dont la réalisation a causé les dommages dont elle demande réparation au titre de la présence ou du fonctionnement d'un ouvrage public, il appartient au juge d'apprécier s'il résulte de l'instruction, d'une part, que des éléments révélant l'existence d'un tel risque existaient à la date à laquelle cette partie est réputée s'y être exposée et, d'autre part, que la partie en cause avait connaissance de ces éléments et était à cette date en mesure d'en déduire qu'elle s'exposait à un tel risque, lié à la présence ou au fonctionnement d'un ouvrage public, qu'il ait été d'ores et déjà constitué ou raisonnablement prévisible ; que, pour faire droit à l'appel de la commune de Toucy et rejeter la demande de M. et MmeC..., la cour administrative d'appel de Lyon s'est bornée à relever que, compte tenu du caractère apparent de fissures affectant la maison acquise en 1998 par les requérants, ceux-ci devaient être regardés comme ayant pris en compte l'éventualité des risques dont ils demandaient réparation ; que, faute de rechercher s'il résultait de l'instruction que ces fissures étaient à elles seules de nature à permettre à M. et Mme C...de prévoir raisonnablement la survenance du risque d'affaissement accéléré du terrain d'assiette de leur maison et d'aggravation des effets des crues de la rivière dont ils demandaient réparation, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit ; que, dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi, M. et Mme C... sont fondés à demander l'annulation de son arrêt ;

3. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Sur la responsabilité :

4. Considérant que, contrairement à ce qu'elle soutient, la commune de Toucy a été mise en mesure de discuter utilement l'expertise ordonnée le 15 avril 2004 par le tribunal de grande instance d'Auxerre, dont le rapport a été produit aux débats ;

5. Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment de ce rapport d'expertise, que le rideau de palplanches dressé par la commune aux fins de conforter un chemin communal a eu pour effet de reporter vers la propriété de M. et Mme C...tant les effets du travail ordinaire d'érosion de l'Ouanne que ceux de ses crues occasionnelles, sans qu'un défaut d'entretien des berges imputable aux requérants ait contribué dans une proportion appréciable à aggraver ce processus ; qu'ainsi le lien direct entre l'ouvrage public et les dommages invoqués par M. et MmeC..., qui ont la qualité de tiers par rapport à cet ouvrage, doit être regardé comme établi ; que ces dommages, qui affectent la structure de l'ensemble de leur immeuble, présentent un caractère anormal et spécial ;

6. Considérant qu'en vertu d'un document d'urbanisme en date du 23 décembre 1997, joint à l'acte de vente du 23 janvier 1998, la maison achetée par M. et Mme C... était classée à la date de cet achat en zone UCa ; qu'il ressort du rapport d'expertise judiciaire mentionné ci-dessus et produit le 22 juin 2005, que cette maison se compose d'un corps principal datant du XIXe siècle et d'une extension datant de 1963, l'un et l'autre édifiés selon les règles de l'art ; qu'à la date de son achat par les épouxC..., cette construction présentait, à la jonction de ses deux parties, des fissures rebouchées ; que, si ces fissures n'ont pas été mesurées à cette date, elles présentaient nécessairement une largeur inférieure à celle qui a été constatée postérieurement aux désordres invoqués par les époux C...et qui était comprise, à la date de l'expertise judiciaire, entre 0,5 mm à 1,5 cm sur la façade arrière et entre 1 mm à 1 cm sur la façade avant ; qu'il ressort par ailleurs de cette même expertise, ainsi que d'une autre expertise, réalisée le 4 octobre 2001 à la demande de la compagnie d'assurances Pacifica, que, si les appentis de qualité médiocre élevés entre la maison et le lit de l'Ouanne présentent des fissures plus importantes atteignant une largeur de 9 centimètres, ces désordres se sont aggravés après les crues de 1999 et 2001 et ne pouvaient être prévus par M. et Mme C...à la date de leur achat ; qu'au surplus, le processus hydraulique souterrain qui contribuait depuis une date antérieure à 1998 à la formation de ces fissures présentait une complexité suffisante pour qu'il soit difficile, y compris à des hommes de l'art, d'apprécier son ampleur, son évolution prévisible et son lien avec les palplanches mises en place sur la rive opposée de l'Ouanne ; qu'ainsi M. et Mme C...ne pouvaient inférer de la seule présence de fissures rebouchées peu significatives visibles en 1998 à la jonction de deux corps de bâtiments déjà anciens, ni qu'était à l'oeuvre un mécanisme anormal de glissement du terrain d'assise de l'immeuble partiellement dû à l'ouvrage édifié par la commune, ni que cet ouvrage était de nature à aggraver fortement l'incidence sur ce terrain des crues de l'Ouanne ; que M. et Mme C...ne peuvent dès lors être regardés, du seul fait que les fissures auraient été visibles quand ils ont acquis leur maison, comme s'étant exposés en connaissance de cause à ces risques ; qu'ils sont par suite fondés à demander à la commune de Toucy de réparer les dommages qu'ils ont subis, en tant que ces dommages sont directement imputables à l'ouvrage édifié par la commune ; que celle-ci ne saurait en revanche répondre des dommages subis par M. et Mme C...procédant de causes distinctes, notamment des effets des crues de 1999 et 2001 autres que ceux qui résultent de l'action aggravante des palplanches et des effets du comblement d'un ancien bassin réalisé par les intéressés ; qu'il sera fait une juste appréciation de l'ensemble de ces circonstances en fixant la responsabilité de la commune de Toucy à la moitié des dommages subis par M. et MmeC... ;

Sur l'évaluation du préjudice :

7. Considérant qu'ainsi que l'a retenu le tribunal administratif de Dijon, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de la commune de Toucy les sommes demandées par M. et Mme C... au titre des travaux de remise en état de leur habitation, qui n'a fait l'objet d'aucune déclaration de sinistre consécutive aux inondations du 26 décembre 1999 et des 13 et 14 mars 2001 ; que c'est à bon droit que les premiers juges ont évalué les dommages indemnisables en retenant les sommes de 67 777,82 euros au titre des travaux de protection de la rive de l'Ouanne dont M. et Mme C...sont propriétaires, 48 292, 91 euros au titre de la reprise en sous-oeuvre des fondations de leur maison, 11 607,07 euros au titre des honoraires de la maîtrise d'oeuvre, 5 000 euros au titre des troubles de jouissance et 3 707, 13 euros au titre des frais avancés par les requérants pour le creusement d'un puits de reconnaissance et un relevé de géomètre-expert ; qu'il résulte toutefois de ce qui précède que la commune de Toucy est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a mis à sa charge l'intégralité, et non la moitié, de ces sommes ; qu'il y a lieu dès lors de réformer son jugement et de réduire la somme due par la commune de Toucy à M. et MmeC... à 68 192,47 euros, assortis des intérêts au taux légal à compter du 15 janvier 2007, date d'introduction de leur demande ;

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative :

8. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Toucy le versement à M. et Mme C... d'une somme de 3 000 euros en application de ces dispositions au titre de la présente instance ; que ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la commune de Toucy au titre de l'instance d'appel, dans laquelle cette commune n'est pas la partie perdante ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme à la charge de M. et Mme C... au titre des frais exposés par la commune de Toucy au titre de l'instance d'appel ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon n°10LY01862 du 9 juin 2011 est annulé.

Article 2 : La commune de Toucy versera à M. et Mme C...la somme de 68 192,47 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 15 janvier 2007.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Dijon n° 070079 du 24 juin 2010 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête d'appel de la commune de Toucy est rejeté.

Article 5 : La commune de Toucy versera à M. et Mme C...la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre de la présente instance.

Article 6 : Les conclusions présentées par M. et Mme C...sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre de l'instance d'appel sont rejetées.

Article 7 : La présente décision sera notifiée à M. A...C..., à Mme D... B..., épouse C...et à la commune de Toucy.


Synthèse
Formation : 5ème et 4ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 351392
Date de la décision : 22/04/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 22 avr. 2013, n° 351392
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jean-Dominique Langlais
Rapporteur public ?: M. Nicolas Polge
Avocat(s) : SCP LE BRET-DESACHE ; SCP ORTSCHEIDT

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2013:351392.20130422
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