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19/10/2012 | FRANCE | N°332131

France | France, Conseil d'État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 19 octobre 2012, 332131


Vu le pourvoi, enregistré le 18 septembre 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, présenté par le Parquet général près la Cour des comptes ; le Parquet général près la Cour des comptes demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler l'arrêt n° 55523 du 15 juillet 2009 par lequel la Cour des comptes, statuant toutes chambres réunies sur la situation du comptable de la trésorerie de Bourg-Madame, M. Pierre A, pour sa gestion au titre des exercices 1994 à 1996, a annulé plusieurs jugements provisoires rendus le 6 avril 2000 par la chambre régionale des comptes d

e Languedoc-Roussillon, puis a déchargé M. A de sa gestion du 1er septemb...

Vu le pourvoi, enregistré le 18 septembre 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, présenté par le Parquet général près la Cour des comptes ; le Parquet général près la Cour des comptes demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler l'arrêt n° 55523 du 15 juillet 2009 par lequel la Cour des comptes, statuant toutes chambres réunies sur la situation du comptable de la trésorerie de Bourg-Madame, M. Pierre A, pour sa gestion au titre des exercices 1994 à 1996, a annulé plusieurs jugements provisoires rendus le 6 avril 2000 par la chambre régionale des comptes de Languedoc-Roussillon, puis a déchargé M. A de sa gestion du 1er septembre 1994 au 22 mai 1996 et l'a déclaré quitte et libéré de sa gestion terminée le 22 mai 1996 ;

2°) de renvoyer l'affaire devant les chambres réunies de la Cour des comptes ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des juridictions financières ;

Vu la loi n° 63-156 du 23 février 1963 ;

Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Didier Ribes, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Laugier, Caston, avocat, de M. Pierre A,

- les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Laugier, Caston, avocat de

M. Pierre A ;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. Pierre A, ancien chef du poste comptable de la trésorerie de Bourg-Madame (Pyrénées-Orientales) a provoqué le 20 mai 1996 la destruction totale de celle-ci par incendie volontaire, faits pour lesquels il a fait l'objet d'une condamnation pénale définitive ; que, par jugements provisoires du 6 avril 2000, la chambre régionale des comptes de Languedoc-Roussillon a enjoint à M. A de produire les pièces justificatives à décharge des opérations qu'il avait réalisées en sa qualité de comptable du 1er septembre 1994 au 22 mai 1996 ou de verser les sommes correspondantes sur ses deniers personnels dans la caisse des collectivités et établissements concernés ; que, le 19 avril 2001, la chambre régionale des comptes a rendu soixante jugements, dont vingt-neuf de débet, trente avec injonctions et un quitus et a constitué M. A débiteur envers les quarante-neuf communes et établissements publics concernés de la somme de 3 480 632,65 euros augmentée des intérêts légaux ; que, par vingt autres jugements de débet prononcés le 20 décembre 2001, la chambre régionale des comptes a également constitué M. A débiteur de la somme de 96 211,40 euros avec intérêts au taux légal ; que, par deux arrêts des 31 janvier 2002 et 10 juillet 2003, la Cour des comptes a rejeté les recours formés par M. A contre ces jugements ; que, par une décision du 5 juillet 2004, le Conseil d'État, statuant sur le pourvoi de M. A, a annulé l'arrêt de la Cour des comptes du 31 janvier 2002 et renvoyé devant les chambres réunies de la Cour l'examen des recours dirigés contre les jugements du 19 avril 2001 ; que par une décision du 30 mai 2007, le Conseil d'État a également annulé, à la demande de M. A, l'arrêt de la Cour des comptes du 10 juillet 2003 et renvoyé devant les chambres réunies de la Cour l'examen des recours dirigés contre les jugements de débet du 20 décembre 2001 ; que, par un arrêt du 19 mars 2008, devenu définitif en l'absence de pourvoi du Parquet général près la Cour des comptes, cette dernière a, d'une part, annulé les vingt-neuf jugements de débet du 19 avril 2001 et les vingt jugements de débet du 20 décembre 2001 en raison du caractère irrégulier de la procédure suivie devant la chambre régionale des comptes de Languedoc-Roussillon et, d'autre part, décidé d'évoquer l'affaire pour donner, dans un arrêt ultérieur, une suite aux jugements provisoires rendus le 6 avril 2000 par la chambre régionale des comptes ; que, par un arrêt du 15 juillet 2009 contre lequel le Parquet général près la Cour des comptes se pourvoit en cassation, la Cour des comptes, après avoir annulé en raison de leur irrégularité les jugements provisoires du 6 avril 2000 et jugé que la responsabilité de M. A ne pouvait être mise en jeu, l'a déchargé de sa gestion pour la période considérée et l'a déclaré quitte et libéré de sa gestion ;

2. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 243-1 du code des juridictions financières dans sa rédaction applicable au présent litige : " Le comptable, la collectivité locale ou l'établissement public, le commissaire du Gouvernement près la chambre régionale des comptes, le procureur général près la Cour des comptes peuvent faire appel devant la Cour des comptes de tout jugement prononcé à titre définitif par la chambre régionale des comptes " ; qu'il résulte de ces dispositions que l'appel contre un jugement rendu à titre provisoire par la chambre régionale des comptes est irrecevable, seuls les jugements prononcés à titre définitif étant susceptibles d'appel ;

3. Considérant que si le Parquet général près la Cour des comptes soutient que M. A a fait appel des soixante jugements de la chambre régionale des comptes de Languedoc-Roussillon du 19 avril 2001, la Cour des comptes a jugé, dans son arrêt du 19 mars 2008, qu'elle était saisie, conformément aux dispositions citées ci-dessus, des seuls jugements définitifs par lesquels M. A avait été constitué débiteur envers vingt-neuf communes et établissements publics locaux rattachés à la trésorerie de Bourg-Madame et, après avoir annulé pour irrégularité ces jugements, a décidé que l'affaire était évoquée devant elle ; que cet arrêt, qui n'a pas été frappé de pourvoi en cassation, est devenu définitif ; que le juge d'appel, lorsqu'il décide de statuer sur une affaire par voie d'évocation, se prononce dans les limites de l'annulation du jugement qu'il a prononcée ; que, dès lors, le Parquet général près la Cour des comptes n'est pas fondé à soutenir que la Cour aurait dû, au titre de l'évocation de l'affaire, statuer dans l'arrêt attaqué sur les soixante jugements rendus par la chambre régionale des comptes le 19 avril 2001 ;

4. Considérant, en deuxième lieu, que les dispositions, alors en vigueur, du code des juridictions financières, précisant que seuls les jugements définitifs ou les dispositions définitives des jugements des chambres régionales ou territoriales des comptes étaient susceptibles d'appel, ne faisaient pas obstacle à ce que la Cour des comptes, saisie en appel de tels jugements ou dispositions définitifs, annulât, le cas échéant d'office, les jugements provisoires au vu desquels ils seraient intervenus et dont l'irrégularité entacherait tout ou partie de la procédure ; que, par suite, en annulant, par un arrêt suffisamment motivé, les jugements provisoires au vu desquels étaient intervenus les jugements définitifs qu'elle avait précédemment annulés dans son arrêt du 19 mars 2008, la Cour des comptes n'a, contrairement à ce que soutient le Parquet général, ni commis une erreur de droit ni statué au-delà des conclusions dont elle était saisie ;

5. Considérant, en troisième lieu, que si l'arrêt de la Cour ne précise pas le numéro des jugements de la chambre régionale des comptes de Languedoc-Roussillon qu'il annule, il vise les comptes jugés et précise la date et le caractère provisoire desdits jugements ; que, dès lors, la Cour des comptes a identifié avec une précision suffisante les décisions sur la régularité desquelles elle s'est prononcée ;

6. Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes du I de l'article 60 de la loi du 23 février 1963 portant loi de finances pour 1963 : " Les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables du recouvrement des recettes, du paiement des dépenses, de la garde et de la conservation des fonds et valeurs appartenant ou confiés aux différentes personnes morales de droit public dotées d'un comptable public, désignées ci-après par le terme d'organismes publics, du maniement des fonds et des mouvements de comptes de disponibilités, de la conservation des pièces justificatives des opérations et documents de comptabilité ainsi que de la tenue de la comptabilité du poste comptable qu'ils dirigent. / Les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables des contrôles qu'ils sont tenus d'assurer en matière de recettes, de dépenses et de patrimoine dans les conditions prévues par le règlement général sur la comptabilité publique. / La responsabilité personnelle et pécuniaire prévue ci-dessus se trouve engagée dès lors qu'un déficit ou un manquant en monnaie ou en valeurs a été constaté, qu'une recette n'a pas été recouvrée, qu'une dépense a été irrégulièrement payée ou que, par le fait du comptable public, l'organisme public a dû procéder à l'indemnisation d'un autre organisme public ou d'un tiers ou a dû rétribuer un commis d'office pour produire les comptes " ;

7. Considérant que le juge des comptes, dans l'exercice de son office, ne peut légalement fonder ses décisions que sur les éléments matériels des comptes soumis à son contrôle ; que la circonstance exceptionnelle tenant à la disparition complète de ces éléments fait obstacle au contrôle du juge des comptes et, le cas échéant, à l'engagement de la responsabilité du comptable prévue par l'article 60 de la loi du 23 février 1963 cité ci-dessus ; que, par suite, en jugeant que la destruction de l'ensemble des pièces administratives et comptables de la trésorerie des communes et établissements de la réunion de Bourg-Madame faisait obstacle à ce qu'elle en examine les comptes, la Cour des comptes, par un arrêt suffisamment motivé, n'a pas commis d'erreur de droit ; que s'il ressort des énonciations de l'arrêt de la Cour que celle-ci a également relevé que les agissements de M. A avaient été sanctionnés par le juge pénal, le Parquet général près la Cour des comptes ne saurait utilement se prévaloir de l'erreur de droit commise par la Cour en se référant à de tels faits, qui ne constituent pas le motif de son arrêt ;

8. Considérant, en dernier lieu, qu'aux termes de l'article R. 231-1 du code des juridictions financières, dans sa rédaction alors applicable : " La chambre régionale des comptes juge, en premier ressort, les comptes des comptables publics des collectivités et établissements publics relevant de sa compétence, sous réserve des dispositions relatives à l'apurement administratif ; elle déclare et apure les gestions de fait des collectivités et établissements publics de son ressort et prononce les condamnations à l'amende. " ; que l'article R. 231-12 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur, précise que : " Lorsque, sur un compte en jugement, un comptable public a satisfait à l'ensemble de ses obligations et qu'aucune disposition n'a été retenue à sa charge, la chambre régionale des comptes, statuant par jugement définitif, lui donne décharge de sa gestion et, s'il est sorti de fonctions, le déclare quitte " ; que l'article R. 131-3 du même code, dans sa rédaction alors applicable, dispose que : " La Cour des comptes, sous réserve de la compétence attribuée aux chambres régionales et territoriales des comptes, juge les comptes des comptables publics, déclare et apure les gestions de fait, prononce des condamnations à l'amende dans les conditions fixées par le présent code, statue sur les recours en révision et, en appel, sur les jugements définitifs rendus par les chambres régionales et territoriales des comptes " ;

9. Considérant qu'il ressort de ces dispositions qu'il appartient, en principe, à la chambre régionale ou territoriale des comptes territorialement compétente de statuer, le cas échéant, sur la demande de décharge et de quitus formulée par le comptable à l'encontre duquel toutes les charges ont été levées ; que, toutefois, les dispositions du code des juridictions financières citées ci-dessus ne font pas obstacle à ce que, dans le cas où, après avoir annulé les jugements définitifs et provisoires rendus par la chambre régionale ou territoriale des comptes, elle évoque l'affaire, la Cour des comptes ait la faculté, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, de décharger immédiatement le comptable de sa gestion et de lui donner quitus lorsqu'il apparait, sans qu'il y ait besoin de recourir à la procédure du double arrêt, que sa responsabilité ne peut être mise en jeu ; que ces mêmes motifs peuvent également justifier, s'il y a lieu, que la Cour prononce, par le même arrêt, la décharge et le quitus sur une autre partie de la gestion du comptable pour laquelle seuls des jugements provisoires ont été prononcés par la chambre régionale ou territoriale des comptes ; que, par suite, la Cour n'a pas commis d'erreur de droit en prononçant elle-même la décharge complète de M. A de sa gestion et en lui donnant quitus pour la période concernée ;

10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le Parquet général près la Cour des comptes n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

11. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros à verser à M. A au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi du Parquet général près la Cour des comptes est rejeté.

Article 2 : L'Etat versera à M. A une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au Parquet général près la Cour des comptes, à M. Pierre A .


Synthèse
Formation : 6ème et 1ère sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 332131
Date de la décision : 19/10/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

COMPTABILITÉ PUBLIQUE ET BUDGET - RÉGIME JURIDIQUE DES ORDONNATEURS ET DES COMPTABLES - JUGEMENT DES COMPTES - OFFICE DU JUGE DES COMPTES - CIRCONSTANCE EXCEPTIONNELLE TENANT À LA DISPARITION DES ÉLÉMENTS MATÉRIELS DES COMPTES - CONSÉQUENCE - OBSTACLE AU JUGEMENT DES COMPTES ET - LE CAS ÉCHÉANT - À L'ENGAGEMENT DE LA RESPONSABILITÉ DU COMPTABLE.

18-01-04 Le juge des comptes ne peut légalement fonder ses décisions que sur les éléments matériels des comptes soumis à son contrôle. La circonstance exceptionnelle tenant à la disparition complète (en l'espèce, par le feu) de ces éléments fait donc obstacle au contrôle du juge des comptes et, le cas échéant, à l'engagement de la responsabilité du comptable prévue par l'article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963.

COMPTABILITÉ PUBLIQUE ET BUDGET - RÉGIME JURIDIQUE DES ORDONNATEURS ET DES COMPTABLES - JUGEMENT DES COMPTES - COUR DES COMPTES - JUGEMENT DES COMPTES DES COMPTABLES PATENTS - RÈGLE DU DOUBLE ARRÊT - 1) IRRÉGULARITÉ D'UN JUGEMENT DÉFINITIF TROUVANT SA SOURCE DANS UNE IRRÉGULARITÉ DU JUGEMENT PROVISOIRE - POSSIBILITÉ D'ANNULER LE JUGEMENT PROVISOIRE - EXISTENCE [RJ1] - 2) CIRCONSTANCE EXCEPTIONNELLE TENANT À LA DISPARITION DES ÉLÉMENTS MATÉRIELS DES COMPTES - CONSÉQUENCE - OBSTACLE AU JUGEMENT DES COMPTES ET - LE CAS ÉCHÉANT - À L'ENGAGEMENT DE LA RESPONSABILITÉ DU COMPTABLE.

18-01-04-01 1) Les dispositions du code des juridictions financières en vigueur sous l'empire de la règle dite du double arrêt précisant que seuls les jugements définitifs ou les dispositions définitives des jugements des chambres régionales des comptes étaient susceptibles d'appel ne faisaient pas obstacle à ce que la Cour des comptes, saisie en appel de tels jugements ou dispositions définitifs, annulât, le cas échéant d'office, les jugements provisoires au vu desquels ils seraient intervenus et dont l'irrégularité entacherait tout ou partie de la procédure. 2) Le juge des comptes ne peut légalement fonder ses décisions que sur les éléments matériels des comptes soumis à son contrôle. La circonstance exceptionnelle tenant à la disparition complète (en l'espèce, par le feu) de ces éléments fait donc obstacle au contrôle du juge des comptes et, le cas échéant, à l'engagement de la responsabilité du comptable prévue par l'article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963.


Références :

[RJ1]

Cf., pour la gestion de fait, CE, Section, 17 octobre 2003, Dugoin, n°s 237290 237291 237292, p. 408 ;

CE, 13 juillet 2011, Parquet général près la Cour des comptes, n°s 332132 332134, à mentionner aux Tables. Comp. CE, 23 avril 2009, Arnaud, n° 312481, inédite au Recueil.


Publications
Proposition de citation : CE, 19 oct. 2012, n° 332131
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Didier Ribes
Rapporteur public ?: Mme Suzanne von Coester
Avocat(s) : SCP LAUGIER, CASTON

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2012:332131.20121019
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