Vu les mémoires, enregistrés le 8 juin 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, présentés pour la Société Groupe Canal Plus, dont le siège est 1, place du spectacle à Issy-les-Moulineaux (92130), et la Société Vivendi Universal, dont le siège est 42, avenue de Friedland à Paris Cedex 08 (75380), représentées par leurs dirigeants en exercice, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ; les requérantes demandent au Conseil d'Etat, à l'appui de leur requête tendant à l'annulation de la décision n° 11-D-12 du 20 septembre 2011 de l'Autorité de la concurrence relative aux engagements figurant dans la décision autorisant l'acquisition de TPS et CanalSatellite, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 430-3 à L. 430-7 du code de commerce et du IV de l'article L 30-8 de ce code dans leur rédaction issue de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, ainsi que du II de l'article L. 461-1, de l'article L. 461-3 et de l'article L. 462-5 du même code, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 12 juillet 2012, présentée pour l'Autorité de la concurrence ;
Vu la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
Vu les articles L. 430-3 à L. 430-7, le IV de l'article L. 430-8, le II de l'article L. 461-1, l'article L. 461-3 et l'article L. 462-5 du code de commerce ;
Vu la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 ;
Vu l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008, ratifiée par l'article 139 de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la Société Groupe Canal Plus et autre et de la SCP Baraduc, Duhamel, avocat de l'Autorité de la concurrence,
- les conclusions de M. Vincent Daumas, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la Société Groupe Canal Plus et autre et à la SCP Baraduc, Duhamel, avocat de l'Autorité de la concurrence ;
1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) " ; qu'il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;
2. Considérant, d'une part, que les articles L. 430-3 à L. 430-7 du code de commerce, dans leur rédaction issue de la loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, confèrent à l'Autorité de la concurrence la compétence d'autoriser certaines opérations de concentration économique et décrivent la procédure applicable dans le cadre du contrôle a priori de ces opérations ; que le IV de l'article L. 430-8 de ce code, dans sa rédaction issue de la même loi, dispose : " Si elle estime que les parties n'ont pas exécuté dans les délais fixés une injonction, une prescription ou un engagement figurant dans sa décision ou dans la décision du ministre ayant statué sur l'opération en application de l'article L. 430-7-1, l'Autorité de la concurrence constate l'inexécution. Elle peut : / 1° Retirer la décision ayant autorisé la réalisation de l'opération. A moins de revenir à l'état antérieur à la concentration, les parties sont tenues de notifier de nouveau l'opération dans un délai d'un mois à compter du retrait de la décision, sauf à encourir les sanctions prévues au I ; / 2° Enjoindre sous astreinte, dans la limite prévue au II de l'article L. 464-2, aux parties auxquelles incombait l'obligation non exécutée d'exécuter dans un délai qu'ils fixent les injonctions, prescriptions ou engagements. / En outre, l'Autorité de la concurrence peut infliger aux personnes auxquelles incombait l'obligation non exécutée une sanction pécuniaire qui ne peut dépasser le montant défini au I. / La procédure applicable est celle prévue au deuxième alinéa de l'article L. 463-2 et aux articles L. 463-4, L .463-6 et L. 463-7. Toutefois, les parties qui ont procédé à la notification et le commissaire du Gouvernement doivent produire leurs observations en réponse à la communication du rapport dans un délai de quinze jours ouvrés./ L'Autorité de la concurrence se prononce dans un délai de soixante-quinze jours ouvrés. " ;
3. Considérant, d'autre part, que le II de l'article L. 461-1 du code de commerce dispose que les attributions confiées à l'Autorité de la concurrence sont exercées par un collège composé de dix-sept membres et décrit la composition de ce collège ; que l'article L. 461-3 du même code prévoit les formations dans lesquelles l'Autorité peut siéger et les conditions d'adoption de ses délibérations ; qu'enfin, l'article L. 462-5 du même code dispose, à ses I et II, que l'Autorité de la concurrence peut être saisie par le ministre chargé de l'économie, par des entreprises ou par certains organismes mentionnés au second alinéa de l'article L. 462-1, et à son III, que l'Autorité peut se saisir d'office de manquements à des engagements, injonctions ou prescriptions figurant dans une décision d'autorisation d'une concentration économique ;
4. Considérant que la société Groupe Canal Plus et la Société Vivendi Universal soutiennent, d'une part, que la combinaison de ces dispositions méconnaît le principe d'impartialité, qui découle de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et, d'autre part, que le IV de l'article L. 430-8 du code de commerce porte une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de cette même Déclaration, et méconnaît l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi et le principe de clarté de la loi ;
5. Considérant que les articles L. 430-3 à L. 430-7 du code de commerce, dans leur rédaction issue de la loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, et les I et II de l'article L. 462-5 du même code, dans leur rédaction issue de l'ordonnance du 13 novembre 2008 portant modernisation de la régulation de la concurrence, ne constituent le fondement ni de la décision n° 11-D-12 du 20 septembre 2011 de l'Autorité de la concurrence, ni de la décision 30 août 2006 du ministre de l'économie prise en application de l'article L. 430-7 du même code dans sa rédaction antérieure à cette loi et au retrait de laquelle la décision du 20 septembre 2011 procède ; qu'il n'en a été fait application à aucun stade de la procédure ; que ces dispositions ne sont, dès lors, pas applicables au présent litige ;
6. Considérant, en revanche, que les dispositions du IV de l'article L. 430-8 du code de commerce, dans leur rédaction issue de la loi du 4 août 2008, qui constituent un ensemble indissociable, et les dispositions du II de l'article L. 461-1, de l'article L. 461-3 et du III de l'article L. 462-5 du même code, dans leur rédaction issue de l'ordonnance du 13 novembre 2008, sont applicables au présent litige ; que ces dispositions n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel ; que le moyen tiré de ce qu'elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au principe d'impartialité et, en ce qui concerne le IV de l'article L. 430-8 du code de commerce, à la liberté d'entreprendre, soulève une question présentant un caractère sérieux ; qu'ainsi, en ce qui concerne ces dispositions, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée ;
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité à la Constitution des articles L. 430-3 à L. 430-7 du code de commerce, dans leur rédaction issue de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, et des I et II de l'article L. 462-5 du même code, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008.
Article 2 : La question de la conformité à la Constitution du IV de l'article L. 430-8 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 4 août 2008, ainsi que du II de l'article L. 461-1, de l'article L. 461-3 et du III de l'article L. 462-5 du même code, dans leur rédaction issue de l'ordonnance du 13 novembre 2008, est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 3 : Il est sursis à statuer sur la requête de la Société Groupe Canal Plus et de la Société Vivendi Universal jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.
Article 4: La présente décision sera notifiée à la Société Groupe Canal Plus, à la Société Vivendi Universal, à l'Autorité de la concurrence et au ministre de l'économie et des finances.
Copie en sera adressée pour information au Premier ministre, à la société TPS, à la société CanalSatellite, au Conseil supérieur de l'audiovisuel et à l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes.