Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 15 et 30 mars 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE SIGNATURE, dont le siège est 41 rue des Trois Fontanot à Nanterre (92204) ; la SOCIETE SIGNATURE demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'ordonnance n° 1200469 du 29 février 2012 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Rouen, statuant en application de l'article L. 551-13 du code de justice administrative, a rejeté sa demande tendant à l'annulation du marché portant sur la fourniture et la pose de signalisation verticale permanente sur les routes départementales de l'Eure conclu avec la société Sivertis ;
2°) statuant en référé, d'annuler ce contrat et, à titre subsidiaire, de prononcer l'une des autres mesures prévues par l'article L. 551-20 du code de justice administrative ;
3°) de mettre à la charge du département de l'Eure le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 14 juin 2012, présentée pour la société Sivertis ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 14 juin 2012, présentée pour le département de l'Eure ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Frédéric Dieu, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard, avocat de la SOCIETE SIGNATURE, de Me Foussard, avocat du département de l'Eure et de Me Haas, avocat de la société Sivertis,
- les conclusions de M. Nicolas Boulouis, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard, avocat de la SOCIETE SIGNATURE, à Me Foussard, avocat du département de l'Eure et à Me Haas, avocat de la société Sivertis ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 551-13 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi, une fois conclu l'un des contrats mentionnés aux articles L. 551-1 et L. 551-5, d'un recours régi par la présente section " ; qu'aux termes de l'article L. 551-14 de ce code : " Les personnes habilitées à agir sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par des manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sont soumis ces contrats, ainsi que le représentant de l'Etat dans le cas des contrats passés par une collectivité territoriale ou un établissement public local. / Toutefois, le recours régi par la présente section n'est pas ouvert au demandeur ayant fait usage du recours prévu à l'article L. 551-1 ou à l'article L. 551-5 dès lors que le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice a respecté la suspension prévue à l'article L. 551-4 ou à l'article L. 551-9 et s'est conformé à la décision juridictionnelle rendue sur ce recours " ; qu'aux termes de l'article L. 551-18 du même code : " Le juge prononce la nullité du contrat lorsqu'aucune des mesures de publicité requises pour sa passation n'a été prise, ou lorsque a été omise une publication au Journal officiel de l'Union européenne dans le cas où une telle publication est prescrite. / La même annulation est prononcée lorsque ont été méconnues les modalités de remise en concurrence prévues pour la passation des contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d'acquisition dynamique. / Le juge prononce également la nullité du contrat lorsque celui-ci a été signé avant l'expiration du délai exigé après l'envoi de la décision d'attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre ou pendant la suspension prévue à l'article L. 551-4 ou à l'article L. 551-9 si, en outre, deux conditions sont remplies : la méconnaissance de ces obligations a privé le demandeur de son droit d'exercer le recours prévu par les articles L. 551-1 et L. 551-5, et les obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sa passation est soumise ont été méconnues d'une manière affectant les chances de l'auteur du recours d'obtenir le contrat " ; qu'aux termes de l'article L. 551-19 : " Toutefois, dans les cas prévus à l'article L. 551-18, le juge peut sanctionner le manquement soit par la résiliation du contrat, soit par la réduction de sa durée, soit par une pénalité financière imposée au pouvoir adjudicateur ou à l'entité adjudicatrice, si le prononcé de la nullité du contrat se heurte à une raison impérieuse d'intérêt général. / Cette raison ne peut être constituée par la prise en compte d'un intérêt économique que si la nullité du contrat entraîne des conséquences disproportionnées et que l'intérêt économique atteint n'est pas directement lié au contrat, ou si le contrat porte sur une délégation de service public " ; qu'enfin, selon l'article L. 551-20 : " Dans le cas où le contrat a été signé avant l'expiration du délai exigé après l'envoi de la décision d'attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre ou pendant la suspension prévue à l'article L. 551-4 ou à l'article L. 551-9, le juge peut prononcer la nullité du contrat, le résilier, en réduire la durée ou imposer une pénalité financière " ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que, par un avis d'appel public à la concurrence publié le 13 août 2011, le département de l'Eure a lancé une procédure d'appel d'offres ouvert en vue de l'attribution d'un marché portant sur la fourniture et la pose de signalisation verticale permanente sur les routes départementales ; que la société La Signalisation Routière, mandataire d'un groupement constitué avec la SOCIETE SIGNATURE a présenté une offre ; que, par un courrier daté du 21 décembre 2011, le département a notifié à la société La Signalisation Routière, en sa qualité de mandataire du groupement, le rejet de son offre, après qu'un premier courrier daté du 13 décembre 2011 ayant le même objet eut été retourné par les services postaux au motif que le nom du destinataire était illisible ; que, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, la SOCIETE SIGNATURE a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Rouen, le 5 janvier 2012, d'une demande d'annulation de la procédure de passation du contrat ; que, le département de l'Eure ayant fait état, dans son mémoire en défense enregistré le 13 janvier 2012 au greffe du tribunal, de la signature, le 3 janvier 2012, du contrat avec la société Sivertis, la SOCIETE SIGNATURE s'est désistée de sa demande et a alors demandé au même juge l'annulation du contrat, sur le fondement des dispositions des articles L. 551-13 et L. 551-18 du code de justice administrative relatives au référé contractuel ; que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Rouen a rejeté la demande de la SOCIETE SIGNATURE présentée sur le fondement de ces articles ;
Considérant qu'en jugeant que le manquement tenant à l'irrégularité de la candidature de la société attributaire du marché ne pouvait pas être utilement invoqué par la SOCIETE SIGNATURE au motif que celle-ci avait vu son offre examinée et comparée avec les autres offres, alors que l'irrégularité relevée était susceptible d'avoir lésé la société requérante, fût-ce indirectement, en avantageant le concurrent auquel avait été attribué le marché, le juge des référés a commis une erreur de droit ; que, par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, l'ordonnance attaquée doit être annulée ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée par la SOCIETE SIGNATURE ;
Sur la recevabilité des conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 551-13 du code de justice administrative :
Considérant qu'aux termes du 1° du I de l'article 80 du code des marchés publics : " Pour les marchés et accords-cadres passés selon une procédure formalisée (...), le pouvoir adjudicateur, dès qu'il a fait son choix pour une candidature ou une offre, notifie à tous les autres candidats le rejet de leur candidature ou de leur offre, en leur indiquant les motifs de ce rejet. / Cette notification précise le nom de l'attributaire et les motifs qui ont conduit au choix de son offre aux candidats ayant soumis une offre et à ceux n'ayant pas encore eu communication du rejet de leur candidature. / Un délai d'au moins seize jours est respecté entre la date d'envoi de la notification prévue aux alinéas précédents et la date de conclusion du marché. Ce délai est réduit à au moins onze jours en cas de transmission électronique de la notification à l'ensemble des candidats intéressés. / La notification de l'attribution du marché ou de l'accord-cadre comporte l'indication de la durée du délai de suspension que le pouvoir adjudicateur s'impose, eu égard notamment au mode de transmission retenu " ;
Considérant que les dispositions de l'article L. 551-14 du code de justice administrative, qui prévoient que le recours contractuel n'est pas ouvert au demandeur ayant fait usage du référé précontractuel dès lors que le pouvoir adjudicateur a respecté la suspension prévue à l'article L. 551-4 et s'est conformé à la décision juridictionnelle rendue sur ce recours, n'ont pas pour effet de rendre irrecevable un recours contractuel introduit par un concurrent évincé qui avait antérieurement présenté un recours précontractuel alors qu'il était dans l'ignorance du rejet de son offre et de la signature du marché, par suite d'un manquement du pouvoir adjudicateur au respect des dispositions de l'article 80 du code des marchés publics qui prévoient l'obligation de notifier aux candidats le rejet de leurs offres et fixe un délai minimum de seize jours, réduit à onze jours dans le cas d'une transmission électronique, entre la date d'envoi de cette notification et la conclusion du marché ; que les dispositions de l'article
L. 551-14 du code de justice administrative ne sauraient non plus avoir pour effet de rendre irrecevable le recours contractuel du concurrent évincé ayant antérieurement présenté un recours précontractuel qui, bien qu'informé du rejet de son offre par le pouvoir adjudicateur, ne l'a pas été, contrairement à ce qu'exige le dernier alinéa du 1° du I de l'article 80 du code des marchés publics, du délai de suspension que ce dernier s'imposait entre la date d'envoi de la notification du rejet de l'offre et la conclusion du marché ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que le courrier du 21 décembre 2011, par lequel le département de l'Eure a informé la SOCIETE SIGNATURE du rejet de son offre et de l'attribution du contrat à la société Sivertis, n'a pas mentionné le délai de suspension que le département s'imposait avant la conclusion du marché, le seul rappel du délai minimum prévu par l'article 80 du code des marchés publics dans l'indication des voies et délais de recours ne pouvant valoir fixation d'un tel délai ; que, par suite, à défaut pour elle d'avoir été informée de ce délai lors de la notification du rejet de son offre, la SOCIETE SIGNATURE, qui était de ce fait dans l'ignorance de la signature du marché lorsqu'elle a présenté un référé précontractuel, est recevable à former un référé contractuel, sur le fondement de l'article L. 551-13 de ce code, après avoir été informée, par le mémoire en défense du département dans le cadre de l'instance en référé précontractuel, que le contrat avait été signé le 3 janvier 2012 ; que la société a valablement saisi le juge des référés sur le fondement de l'article L. 551-13 par un mémoire distinct ; que, dès lors, la demande présentée par la SOCIETE SIGNATURE est recevable ;
Sur les conclusions tendant à l'annulation du contrat :
Considérant, d'une part, qu'ainsi qu'il a été dit, la notification à la SOCIETE SIGNATURE du rejet de son offre ne mentionnait pas le délai de suspension que le département s'imposait avant la conclusion du contrat, faisant obstacle à ce qu'un tel délai puisse courir à son encontre ; qu'ainsi, la signature du contrat le 3 janvier 2012 est intervenue avant l'expiration du délai exigé après l'envoi de la décision d'attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre et la méconnaissance de cette obligation a privé la SOCIETE SIGNATURE de son droit d'exercer utilement un recours précontractuel ;
Considérant, d'autre part, que l'article 2 du règlement de la consultation prévoyait que les offres des candidats devaient être entièrement rédigées en langue française, de même que les documents de présentation qui leur étaient associés ; que le cahier des clauses techniques particulières, dont l'article 1er identifiait les différentes catégories de panneaux de signalisation directionnelle, exigeait notamment la fourniture de panneaux de catégorie " SD 2 " et " SD 3 " ; que l'article 2.1 du même cahier faisait obligation au candidat de fournir, pour chaque produit ou gamme de produit du bordereau des prix, le certificat d'homologation ou le certificat de normalisation ; qu'il résulte du rapport d'analyse des offres que les certificats
" SD 2 " et " SD 3 " produits par la société Sivertis étaient rédigés en langue tchèque ; qu'ainsi, l'offre de cette dernière, qui ne comportait pas les certificats de normalisation en langue française exigés par les documents de la consultation, était incomplète et donc irrégulière ; que, par suite, en acceptant son offre, le département de l'Eure a manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence ; que ce manquement, qui a permis à la société Sivertis de se voir attribuer le marché alors que son offre était irrégulière, a affecté les chances de la SOCIETE SIGNATURE d'obtenir le contrat, l'offre de cette dernière ayant été classée deuxième sur les cinq retenues ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SOCIETE SIGNATURE est fondée à demander l'annulation du contrat sur le fondement du troisième alinéa de l'article L. 551-18 du code de justice administrative ; qu'il résulte de l'instruction qu'aucune raison impérieuse d'intérêt général, tenant notamment à la nécessité de garantir la sécurité routière ou à la prise en compte d'un intérêt économique, ne justifie le prononcé de l'une des mesures alternatives à l'annulation du contrat prévues par l'article L. 551-19 du même code ;
Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du département de l'Eure le versement à la SOCIETE SIGNATURE de la somme de 4 500 euros au titre des frais exposés par celle-ci tant devant le Conseil d'Etat que le tribunal administratif de Rouen ; que ces dispositions font, en revanche, obstacle à ce que la SOCIETE SIGNATURE, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, verse au département de l'Eure et la société Sivertis les sommes que ceux-ci réclament sur ce fondement ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Rouen du 29 février 2012 est annulée.
Article 2 : Le marché portant sur la fourniture et la pose de signalisation verticale permanente sur les routes départementales de l'Eure conclu avec la société Sivertis est annulé.
Article 3 : Le département de l'Eure versera à la SOCIETE SIGNATURE une somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions du département de l'Eure et de la société Sivertis tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE SIGNATURE, au département de l'Eure et à la société Sivertis.