Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 15 avril et 13 juillet 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Patrick A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement n° 1001807 du 16 février 2011 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 23 avril 2010 par laquelle le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales a rejeté sa demande du 8 avril 2010 tendant à la révision de sa pension de retraite en tant qu'elle ne prend pas en compte l'ensemble des services aériens commandés qu'il a accomplis de 1982 à 2001 ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Franck Le Morvan, chargé des fonctions de Maître des requêtes,
- les observations de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de M. A,
- les conclusions de Mme Maud Vialettes, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de M. A ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite : " Aux services effectifs s'ajoutent, dans les conditions déterminées par règlement d'administration publique, les bonifications ci-après : / (...) d) Bonification pour l'exécution d'un service aérien ou sous-marin commandé (...) " ; qu'aux termes du 1° du I de l'article R. 20 du même code, dans sa rédaction applicable à l'espèce : " I. - Ouvrent droit à des bonifications, au sens de l'article L. 12-d du code des pensions civiles et militaires de retraite : / 1° Les services aériens commandés exécutés en dehors des opérations de guerre dans les conditions suivantes : / A. - Par les personnels militaires : / (...) e) Vols à bord d'aéronefs au cours d'une mission de secours ; vols à bord d'aéronefs suivis d'une descente en rappel ou par treuillage et les descentes elles-mêmes (...) / B. - Par les personnels civils : / a) Services accomplis par le personnel des corps d'ingénieurs techniciens d'études et de fabrications ou de techniciens d'études et de fabrications relevant du ministre de la défense et par le personnel technique de la navigation aérienne relevant du ministre chargé de l'aviation civile, à bord d'aéronefs dans l'exercice des fonctions de leur spécialité professionnelle à l'occasion des vols d'instruction, d'essais, de mise au point, de mise en oeuvre de matériels, équipements et dispositifs ressortissant à leur spécialité ; / b) Services accomplis par les personnels techniques de la météorologie nationale embarqués à bord d'aéronefs en vue de l'exécution de missions météorologiques à l'occasion de vols d'instruction, d'essais, de mise au point, de mise en oeuvre de matériels, équipements et dispositifs ressortissant de leur spécialité. " ;
Considérant que si en vertu des dispositions de l'article L. 12 précitées, il appartenait au Premier ministre de déterminer, comme il l'a fait pour les militaires, les catégories de services aériens qui, compte tenu notamment des risques et des sujétions qu'ils comportent, ouvrent droit à bonification au profit des personnels civils, il ne pouvait légalement réserver le bénéfice de ces bonifications aux personnels civils appartenant à certains corps de la défense, de l'aviation civile et de la météorologie nationale, et en exclure les autres fonctionnaires civils sans considération de la nature des services aériens qu'ils accomplissent ; que les dispositions de l'article R. 20 précité réservant à certains corps de fonctionnaires ces bonifications ne sont pas indissociables de celles du même texte définissant les services y ouvrant droit, qui ne sont pas affectées d'illégalité et peuvent donc servir de fondement à leur octroi ; que les vols effectués au cours d'une mission de secours et les vols effectués à bord d'aéronefs suivis d'une descente en rappel ou par treuillage sont au nombre des services ainsi définis ;
Considérant que, pour rejeter les conclusions dirigées contre la décision en date du 23 avril 2010 par laquelle le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales a refusé d'accorder à M. A le bénéfice de la bonification pour service aérien commandé, le tribunal administratif de Nice a estimé que M. A n'apportait pas d'élément de nature à établir que la section montagne des CRS dont il faisait partie effectuait des services aériens commandés sur les mêmes lieux et dans les mêmes conditions de risques et de sujétions que le peloton de gendarmerie avec lequel elle partageait les missions de secours, alors que M. A avait notamment produit devant lui le plan de secours en montagne approuvé par le préfet des Alpes-Maritimes prévoyant une stricte alternance hebdomadaire entre ces deux services dans l'exercice de ces missions ; que M. A est fondé à soutenir que le jugement attaqué est entaché sur ce point d'une dénaturation des pièces du dossier et à en demander l'annulation pour ce motif ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;
Considérant que le pouvoir réglementaire ne pouvait, sans porter atteinte au principe d'égalité, réserver la bonification prévue pour certains services aériens commandés aux personnels militaires, et exclure de son bénéfice les personnels civils accomplissant les mêmes missions ; que, par suite, M. A, qui avait participé entre 1982 et 2001 à des vols à bord d'aéronefs dans des conditions strictement identiques à celles ouvrant droit, pour les personnels militaires du peloton de gendarmerie avec lequel la section montagne de CRS à laquelle il appartenait assumait en alternance hebdomadaire les mêmes missions, est fondé à soutenir que la décision lui refusant le bénéfice de la bonification qu'il sollicitait est entachée d'illégalité et à en demander l'annulation ;
Considérant que M. A a demandé au tribunal administratif de Nice d'ordonner au ministre de l'intérieur, sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de modifier son titre de pension afin d'y inclure la bonification prévue à l'article L.12 ;
Considérant que le contentieux des pensions civiles et militaires de retraite est un contentieux de pleine juridiction ; qu'il appartient, dès lors, au juge saisi de se prononcer lui-même sur les droits des intéressés, sauf à renvoyer à l'administration compétente, et sous son autorité, le règlement de tel aspect du litige dans des conditions précises qu'il lui appartient de lui fixer ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. A a droit au bénéfice de la bonification prévue au d) de l'article L. 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite au titre des services aériens commandés qu'il a effectués de 1982 à 2001 ; qu'il y a lieu, dès lors, de prescrire au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration de modifier les conditions dans lesquelles la pension de M. A lui a été concédée et de revaloriser rétroactivement cette pension, dans le délai de deux mois suivant la notification de la présente décision ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre des frais exposés par M. A tant en première instance que devant le Conseil d'Etat et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nice du 16 février 2011 et la décision du 23 avril 2010 du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales sont annulés.
Article 2 : Le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration modifiera conformément aux motifs de la présente décision les conditions dans lesquelles la pension de M. A lui a été concédée et revalorisera rétroactivement cette pension, dans le délai de deux mois suivant la notification de la présente décision.
Article 3 : L'Etat versera à M. A la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Patrick A et au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration.