Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 26 mai et 25 juillet 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés par la SOCIETE EUROLAND FINANCE, dont le siège est 23, rue Balzac à Paris (75008) ; la SOCIETE EUROLAND FINANCE demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision du 3 avril 2008 de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers en tant qu'elle lui a infligé une sanction pécuniaire de 100 000 euros assortie d'une sanction complémentaire de publication ;
2°) de mettre à la charge de l'Autorité des marchés financiers la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code monétaire et financier ;
Vu le règlement général de l'Autorité des marchés financiers ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mlle Aurélie Bretonneau, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP de Chaisemartin, Courjon, avocat de l'Autorité des marchés financiers,
- les conclusions de M. Mattias Guyomar, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP de Chaisemartin, Courjon, avocat l'Autorité des marchés financiers ;
Considérant qu'aux termes du II de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier : La commission des sanctions peut, après une procédure contradictoire, prononcer une sanction à l'encontre des personnes suivantes : / a) Les personnes mentionnées aux 1° à 8° et 11° à 15° du II de l'article L. 621-9, au titre de tout manquement à leurs obligations professionnelles définies par les lois, règlements et règles professionnelles approuvées par l'Autorité des marchés financiers en vigueur, sous réserve des dispositions de l'article L. 612-39 ; / b) Les personnes physiques placées sous l'autorité ou agissant pour le compte de l'une des personnes mentionnées aux 1° à 8° et 11° à 15° du II de l'article L. 621-9 au titre de tout manquement à leurs obligations professionnelles définies par les lois, règlements et règles professionnelles approuvées par l'Autorité des marchés financiers en vigueur, sous réserve des dispositions de l'article L. 612-39 ;
Considérant que, sur le fondement de ces dispositions, l'Autorité des marchés financiers a notifié le 22 juin 2007 des griefs à la SOCIETE EUROLAND FINANCE, à un vendeur actions de cette société, ainsi qu'à une personne employée par la Banque d'Orsay, à raison d'anomalies constatées à l'automne 2005 dans l'évolution du titre d'une société pour laquelle la SOCIETE EUROLAND FINANCE effectuait une mission de conseil et d'assistance financière ; que la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers a, le 3 avril 2008, après avoir mis hors de cause la personne employée par la Banque d'Orsay, prononcé à l'encontre de la SOCIETE EUROLAND FINANCE et de son préposé une sanction pécuniaire de 100 000 euros pour la première et 50 000 euros pour le second ; qu'elle a également décidé la publication de la sanction, mais sous une forme anonyme en ce qui concerne les deux personnes physiques mentionnées ; que la SOCIETE EUROLAND FINANCE demande l'annulation de la sanction qui lui a été infligée ainsi que de la décision par laquelle la commission des sanctions en a ordonné la publication ;
Sur la régularité de la décision attaquée :
Considérant, en premier lieu, que le principe d'impartialité rappelé par les stipulations du premier paragraphe de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne fait pas obstacle à ce qu'un membre de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers connaisse successivement, en qualité de membre délibérant puis de rapporteur, d'affaires mettant en cause une même personne, mais portant sur des faits distincts ; que par suite, la seule circonstance, à la supposer établie, que le rapporteur désigné en l'espèce aurait, au préalable, participé à la formation de la commission des sanctions ayant sanctionné, dans une autre affaire portant sur des faits distincts, la SOCIETE EUROLAND FINANCE, ne constitue pas une méconnaissance du principe d'impartialité rappelé par ces stipulations ;
Considérant, en second lieu, que si la décision par laquelle la commission des sanctions rend publique la sanction prononcée a le caractère d'une sanction complémentaire, elle n'a pas à faire l'objet d'une motivation spécifique, distincte de la motivation d'ensemble de la sanction principale ; que cette motivation d'ensemble ne saurait être regardée, dans la présente affaire, comme insuffisante ; que d'ailleurs, elle comporte après un rappel des finalités propres de la publication, une mention de ce que celle-ci n'est, en l'espèce, pas de nature à porter à la SOCIETE EUROLAND FINANCE un préjudice disproportionné ;
Sur le bien fondé de la décision attaquée :
En ce qui concerne le manquement aux obligations de prévention des conflits d'intérêts :
Considérant que l'article 321-24 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers, dans sa version applicable au litige, dont la substance a été ultérieurement reprise aux articles L. 533-10 du code monétaire et financier et 313-19 à 313-23 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers, qui ne comportent pas de dispositions plus douces, dispose que : (...) Les prestataires habilités s'efforcent d'éviter les conflits d'intérêts et, lorsque ces derniers ne peuvent être évités, veillent à ce que leurs clients soient traités équitablement ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la SOCIETE EUROLAND FINANCE a conclu avec la société Business interactif un contrat dit EuroValue par lequel elle devait à la fois fournir à sa cliente des prestations d'analyse financière et mettre cette dernière en relation avec des investisseurs potentiels ; que, dans le cadre de l'exécution de ce contrat, un de ses employés, chargé d'activités de négociation pour compte de tiers, a participé à des réunions de travail avec les responsables de la société cliente en présence, notamment, d'une autre salariée chargée de fonctions d'analyse financière ; que, par sa décision du 3 avril 2008, la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers a, notamment, estimé que cet employé avait, à l'occasion de ces réunions, obtenu une information privilégiée sur les perspectives de développement de la société Business interactif, alors même qu'il était chargé, dans le même temps, au titre de ses activités habituelles, de procéder au reclassement d'un bloc d'actions représentant 5% du capital de cette société ; que, par cette même décision, elle a retenu à l'encontre de la SOCIETE EUROLAND FINANCE un manquement à ses obligations de prévention des conflits d'intérêts, au motif qu'elle avait placé puis maintenu cet employé, du fait de la double activité qu'elle lui avait confiée, en situation de conflit d'intérêts ;
Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que les réunions auxquelles a participé l'employé mis en cause dans le cadre de l'exécution du contrat Eurovalue l'ont amené à entrer en contact avec une responsable de l'analyse financière chargée d'assurer le suivi en analyse financière de la société Business interactif ; que si la société soutient que les réunions ayant mis ces deux intervenants en présence l'un de l'autre, réalisées peu après la conclusion du contrat, n'ont porté que sur des aspects très généraux de sa mise en oeuvre, il résulte de l'instruction, et notamment des auditions réalisées par l'Autorité des marchés financiers dans le cadre de son enquête, que ce dernier a été amené à s'entretenir à plusieurs reprises avec cette dernière ainsi qu'avec les responsables de Business interactif dans des conditions ne permettant pas d'assurer qu'il ne puisse être destinataire d'informations sensibles ; qu'il résulte en outre de l'instruction que l'employé mis en cause exerçait, dans le cadre de l'exécution du contrat Eurovalue , une mission de conseil et d'assistance à la société Business interactif incompatible avec sa participation concomitante à une opération de reclassement d'un bloc d'actions représentant 5% du capital de cette société détenu par l'un de ses clients ; qu'ainsi, du fait de la nature du contrat conclu avec la société Business interactif et en l'absence de toute précaution prise pour définir avec précision les rôles de chacun des intervenants et limiter la circulation entre eux d'informations sensibles, la SOCIETE EUROLAND FINANCE a, comme l'a exactement relevé la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers, placé M. A dans une situation structurellement porteuse d'un risque de conflit d'intérêts ; que la SOCIETE EUROLAND FINANCE ne peut utilement se prévaloir, pour contester ce manquement, de ce que l'information effectivement transmise par son employé à l'un de ses clients ne présenterait pas un degré de précision suffisant pour être qualifiée d'information privilégiée ; que la circonstance, d'ailleurs relevée par la commission des sanctions, que la société aurait mis en place une organisation fonctionnelle générale et des outils de surveillance des transactions conformes à la réglementation est sans incidence sur le manquement tenant à ce que ces précautions théoriques n'ont pas été respectées dans le cadre de l'exécution du contrat Eurovalue ;
Considérant, en second lieu, que les obligations posées par l'article 321-24 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers dans sa version applicable s'imposent aux prestataires de services d'investissement ; qu'en retenant à l'encontre de la société EUROLAND FINANCE un manquement aux obligations s'imposant à elle en vertu de ces dispositions, la commission des sanctions a imputé à la société un manquement propre, et non un manquement commis par son employé ; qu'il ne saurait donc être utilement soutenu qu'elle aurait, ce faisant, fait peser sur la société une présomption irréfragable de responsabilité à raison des manquements commis par l'un de ses préposés ;
En ce qui concerne le manquement à l'obligation d'enregistrer les conversations téléphoniques et de conserver les enregistrements :
Considérant que l'article 321-78 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers, dans sa rédaction applicable, aujourd'hui reprise à l'article 313-51 de ce règlement, dispose que : Le prestataire habilité organise, sous réserve des dispositions de l'article 321-86 et dans des conditions conformes aux lois et règlements en vigueur, l'enregistrement des conversations téléphoniques : / 1° Des négociateurs d'instruments financiers ; / 2° Des collaborateurs qui, sans être négociateurs, participent à la relation commerciale avec les donneurs d'ordres, lorsque le déontologue l'estime nécessaire du fait de l'importance que sont susceptibles de revêtir les montants ou les risques des ordres en cause ; que les articles 321-81 à 321-84 du même règlement ont dans leur version alors applicable, aujourd'hui reprise aux articles 313-51 et 313-52, précisé que le délai de conservation des enregistrements visés au 1° de l'article 321-78 est compris, selon la nature des transactions ayant justifié l'enregistrement, entre six mois et cinq ans ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la SOCIETE EUROLAND FINANCE disposait d'un système de sauvegarde des enregistrements des conversations téléphoniques sur bande magnétique, ainsi que d'un système de secours de sauvegarde sur disque dur ; que par la décision que la SOCIETE EUROLAND FINANCE attaque, la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers a estimé que cette société avait manqué aux obligations rappelées ci-dessus en ne conservant pas l'enregistrement de conversations téléphoniques passées du 3 au 18 octobre 2005 au motif que le système d'enregistrement sur bandes magnétiques faisait alors l'objet d'une opération de maintenance et que le délai de conservation des enregistrements sauvegardés sur disque dur par le système de secours, d'une durée de huit semaines, était expiré à la date à laquelle l'Autorité des marchés financiers a demandé à en prendre connaissance ; qu'il résulte des dispositions citées ci-dessus que la société aurait dû conserver pendant six mois au moins les enregistrements auxquels elle avait procédé, et dont elle ne soutient pas qu'ils ne relevaient pas du champ du 1° de l'article 321-78 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers ; qu'ainsi, en estimant que cette société avait manqué aux obligations de conservation des enregistrements qui s'imposaient à elle, la commission des sanctions n'a pas privé sa décision de base légale ; que la circonstance que la société aurait, pour pallier le défaut de conservation des conversations téléphoniques, demandé à ses clients de confirmer de façon manuscrite les ordres qu'ils avaient passés sur cette période est, dans les circonstances de l'espèce, sans incidence sur le manquement commis, dès lors que la société n'allègue pas avoir été dans l'impossibilité matérielle de prolonger la durée de conservation des enregistrements sur disque dur par le système de secours afin de se conformer à ses obligations réglementaires ;
En ce qui concerne la sanction :
Considérant qu'en prononçant à l'encontre de la SOCIETE EUROLAND FINANCE une sanction pécuniaire de 100 000 euros et une sanction complémentaire de publication de la décision, la commission des sanctions n'a pas, eu égard aux manquements commis, méconnu le principe de proportionnalité des peines ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SOCIETE EUROLAND FINANCE n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision qu'elle attaque ;
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de cet article font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Autorité des marchés financiers, qui n'est pas la partie perdante, le versement d'une somme à la SOCIETE EUROLAND FINANCE ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cette dernière le versement à l'Autorité des marchés financiers de la somme de 3 000 euros ;
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la SOCIETE EUROLAND FINANCE est rejetée.
Article 2 : La SOCIETE EUROLAND FINANCE versera à l'Autorité des marchés financiers la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE EUROLAND FINANCE, à l'Autorité des marchés financiers et à la ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.