Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 6 août et 6 novembre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. René A, demeurant ...; M. A demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n° 07PA01114 du 2 juin 2008 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête tendant, d'une part, à l'annulation du jugement n° 05-23/3-05-24/3 du 24 janvier 2007 du tribunal administratif de Melun rejetant ses demandes tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 1997, 1998 et 1999 ainsi que des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 1996 au 31 décembre 1997, d'autre part, à ce que soit prononcée la décharge des impositions contestées ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code général des impôts et le livre de procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, Auditeur,
- les observations de Me Bouthors, avocat de M. A,
- les conclusions de M. Laurent Olléon, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à Me Bouthors, avocat de M. A ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A exerçait à titre indépendant l'activité de graphiste publicitaire ; qu'en juin 1997, il a découvert que son épouse, dont il a divorcé en 1999, avait détourné sur des comptes bancaires, en 1996 et 1997, une somme totale de 2 303 465 F au moyen de chèques falsifiés ; que celle-ci a été condamnée pour ces faits, par un jugement du 7 mars 2001 du tribunal de grande instance de Paris, confirmé par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 10 janvier 2002, devenu définitif ; qu'entre le 14 septembre 1998 et le 17 mai 1999, M. A a fait l'objet d'une vérification de sa comptabilité portant, en matière de bénéfices non commerciaux, sur les années 1995, 1996 et 1997 et en matière de taxe sur la valeur ajoutée sur la période du 1er janvier 1995 au 31 juillet 1998, à l'issue de laquelle l'administration a, d'une part, mis en évidence l'existence de diverses recettes professionnelles non déclarées, qu'elle a réintégrées dans les bénéfices et assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée et, d'autre part, remis en cause la déduction de certaines dépenses, ainsi que celle de la taxe sur la valeur ajoutée correspondante ; que M. A a vainement réclamé contre les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et les rappels de taxe sur la valeur ajoutée résultant de ces redressements et a, en outre, demandé la prise en compte des sommes détournées par son ex-épouse en tant que charges déductibles de ses bénéfices au titre des années 1996 et 1997, impliquant, en premier lieu, une réduction de la cotisation primitive d'impôt sur le revenu mise à sa charge au titre de l'année 1996 et la reconnaissance de déficits reportables pour les années 1997, 1998 et 1999, et, en second lieu, la restitution des versements de taxe sur la valeur ajoutée correspondant aux sommes détournées au titre des exercices correspondant aux périodes du 1er janvier au 31 décembre 1996 et du 1er janvier au 31 décembre 1997 ; que le tribunal administratif de Melun a rejeté les demandes de M. A portant sur l'impôt sur le revenu et sur la taxe sur la valeur ajoutée, par un jugement du 24 juin 2007, confirmé par un arrêt du 2 juin 2008 de la cour administrative d'appel de Paris, contre lequel M. A se pourvoit en cassation ;
Sur le moyen tiré de la méconnaissance par le juge d'appel de son office :
Considérant que le requérant a repris à son compte l'observation du ministre du budget selon laquelle la cour aurait dû relever d'office le moyen tiré de l'irrégularité du jugement du tribunal administratif de Melun, en tant que celui-ci a joint, ainsi que l'y avait invité du reste l'administration dans ses écritures de première instance, deux litiges relatifs à des contribuables différents, dès lors que, pour l'année 1996, la première demande aurait tendu à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu mises à la charge de M. et Mme A et la seconde à celle des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à la charge seulement de M. A ; qu'il y a donc lieu de se prononcer sur ce moyen ; que, toutefois, si les pièces du dossier soumis au tribunal administratif de Melun faisaient apparaître que M. et Mme A s'étaient mariés le 11 mars 1995 et avaient divorcé en 1999, il ne ressortait d'aucune de ces pièces que les cotisations d'impôt sur le revenu contestées, pour lesquelles les avis d'imposition n'avaient pas été produits, auraient été mises conjointement à la charge de M. et de Mme A, alors, au contraire, que la réclamation préalable de M. A en date du 21 décembre 1999 ainsi que la réponse de l'administration aux observations du contribuable en date du 24 novembre 2004 présentaient les cotisations d'impôt sur le revenu litigieuses comme mises à la charge du seul M. A ; que, dès lors, le tribunal administratif de Melun a régulièrement joint les deux demandes ; que, par suite, le moyen tiré de ce que la cour aurait à tort omis de relever d'office l'irrégularité du jugement du tribunal administratif ne peut qu'être écarté ;
Sur les moyens relatifs à la régularité de la procédure d'imposition :
Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 13 du livre des procédures fiscales : Les agents de l'administration des impôts vérifient sur place, en suivant les règles prévues par le présent livre, la comptabilité des contribuables astreints à tenir et à présenter des documents comptables ; que, si ces dispositions ont pour conséquence que toute vérification de comptabilité doit en principe se dérouler dans les locaux de l'entreprise vérifiée, la vérification n'est toutefois pas nécessairement entachée d'irrégularité du seul fait qu'elle ne s'est pas déroulée dans ces locaux ; qu'il en va ainsi lorsque, notamment, la comptabilité ne se trouve pas dans l'entreprise et que, d'un commun accord entre le vérificateur et les représentants de l'entreprise, les opérations de vérification se déroulent au lieu où se trouve la comptabilité, dès lors que cette circonstance ne fait, par elle-même, pas obstacle à ce que la possibilité d'engager avec le vérificateur un débat oral et contradictoire demeure offerte aux représentants de l'entreprise vérifiée ; que, dans cette hypothèse, il appartient au requérant d'apporter la preuve que l'entreprise a été privée des garanties ayant pour objet d'assurer aux contribuables la possibilité d'un débat oral et contradictoire avec le vérificateur ;
Considérant que, pour répondre au moyen tiré de ce que la vérification de comptabilité aurait été irrégulière dès lors qu'elle aurait été effectuée hors du siège de l'entreprise individuelle de M. A sans son accord, la cour, après avoir relevé qu'il résultait de courriers adressés au vérificateur par le contribuable que ce dernier avait, d'une part, demandé le 4 septembre 1998 que l'examen de sa comptabilité soit effectué dans les locaux de son cabinet comptable et, d'autre part, mandaté son comptable pour le représenter durant les opérations de vérification, a jugé que le requérant n'apportait pas la preuve, qui lui incombait, qu'il aurait été privé de la possibilité d'engager un débat oral et contradictoire avec le vérificateur ; que, contrairement à ce que soutient M. A, qui se borne à affirmer dans ses écritures de cassation que les pièces du dossier n'établissent pas qu'il ait été satisfait aux exigences du débat oral et contradictoire, la cour, en statuant par ces motifs, n'a méconnu ni les dispositions de l'article L. 13 du livre des procédures fiscales, ni la garantie du débat oral et contradictoire avec le contribuable ;
Considérant, en second lieu, que M. A ne peut utilement invoquer, pour contester la régularité de la procédure d'imposition, les stipulations de l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui garantissent le droit à un recours effectif ;
Sur le moyen tiré de la méconnaissance par la cour administrative d'appel de l'autorité de la chose jugée par le juge pénal :
Considérant que l'autorité de la chose jugée qui appartient aux décisions des juges répressifs devenues définitives s'attache à la constatation matérielle des faits mentionnés dans le jugement, support nécessaire du dispositif, et à leur qualification sur le plan pénal ; qu'en revanche elle n'a pas d'incidence sur la qualification par le juge de l'impôt de ces mêmes faits au regard de la loi fiscale ;
Considérant que, contrairement à ce que soutient le requérant, la cour administrative d'appel de Paris n'a pas apprécié les faits différemment des constatations opérées par le juge pénal dans son arrêt du 10 janvier 2002, devenu définitif, en jugeant que les malversations commises par son ex-épouse pouvaient être détectées par M. A, quelles que soient les précautions prises par celle-ci, à la condition qu'il effectue en temps utile sur la tenue de sa comptabilité et notamment sur ses relevés bancaires, les contrôles qu'il lui appartenait d'exercer ; que M. A ne peut utilement soutenir que la cour administrative d'appel aurait méconnu l'autorité de la chose jugée par le juge pénal en jugeant que les détournements ne correspondaient pas à des dépenses liées à l'exercice normal de sa profession, au sens des dispositions de l'article 93 du code général des impôts, dès lors qu'elle était seule compétente en tant que juge de l'impôt pour qualifier les faits au regard de la loi fiscale ;
Sur le moyen relatif au bien-fondé des impositions en matière d'impôt sur le revenu :
Considérant qu'aux termes de l'article 93 du code général des impôts : 1. Le bénéfice à retenir dans les bases de l'impôt sur le revenu est constitué par l'excédent des recettes totales sur les dépenses nécessitées par l'exercice de la profession (...) ; que les pertes subies par une entreprise se livrant à une activité non commerciale du fait de détournements de fonds commis par un préposé ne peuvent être regardées comme correspondant à un risque lié à l'exercice normal de la profession si les irrégularités répétées commises par ce préposé pouvaient être décelées par des contrôles, portant notamment sur la comptabilité, qu'il appartenait au dirigeant d'exercer normalement en temps utile ; que, dans ce cas, ces agissements délictueux ne peuvent être regardés comme ayant été commis à l'insu du dirigeant de l'entreprise et que, dès lors, les pertes subies ne sont pas déductibles de ses résultats ;
Considérant que, pour juger que les détournements de fonds commis par l'ex-épouse, qui exerçait dans cette entreprise individuelle des fonctions de gestion administrative et comptable, n'étaient pas déductibles des bénéfices non commerciaux, la cour administrative d'appel de Paris, après avoir relevé l'importance et le caractère répété de ces détournements, résultant de l'émission de 233 chèques falsifiés entre janvier 1996 et juin 1997, pour un montant supérieur à 305 000 euros, puis estimé que les malversations auraient pu être décelées par M. A s'il avait effectué en temps utile les contrôles qu'il lui appartenait normalement d'exercer, en a déduit l'existence d'une carence manifeste dans le contrôle interne de l'exploitation ; qu'en statuant par ces motifs, la cour n'a pas méconnu les dispositions de l'article 93 du code général des impôts ;
Sur le moyen relatif au bien-fondé des impositions en matière de taxe sur la valeur ajoutée :
Considérant qu'aux termes de l'article 256 du code général des impôts : I. Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel (...) ; qu'aux termes de l'article 266 du même code : 1. La base d'imposition est constituée : / a) Pour les livraisons de biens, les prestations de services et les acquisitions intracommunautaires, par toutes les sommes, valeurs, biens ou services reçus ou à recevoir par le fournisseur ou le prestataire en contrepartie de ces opérations, de la part de l'acheteur, du preneur ou d'un tiers (...) ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond et qu'il n'est d'ailleurs pas contesté que les sommes détournées ne tiraient pas leur origine d'agissements frauduleux de son ex-épouse mais correspondaient à des prélèvements sur les recettes de l'exploitation de M. A ; qu'en jugeant que l'administration pouvait soumettre à la taxe sur la valeur ajoutée les sommes détournées, dès lors qu'elles provenaient de prestations de service effectuées dans le cadre de l'exploitation et constituaient des recettes de celle-ci, la cour, qui a recherché, contrairement à ce que soutient M. A, si les sommes en cause pouvaient être assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée, n'a pas méconnu les dispositions de l'article 266 du code général des impôts ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de M. A doit être rejeté ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par M. A au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de M. A est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. René A et au ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement.