Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 16 avril et 30 juin 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SCI HERA, dont le siège est Hôtel Amyris, Site Amandiers Resort, Quartier Désert, à Sainte-Luce (97228) ; la SCI HERA demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n° 06BX00788 du 7 janvier 2008 de la cour administrative d'appel de Bordeaux en tant qu'il n'a fait que partiellement droit à l'appel qu'elle avait formé contre le jugement du 9 février 2006 du tribunal administratif de Fort-de-France rejetant sa demande tendant à la décharge des suppléments d'impôt sur les sociétés et de contribution complémentaire à l'impôt sur les sociétés, auxquels elle a été assujettie au titre des exercices clos en 1995 et 1996, et des pénalités mises à sa charge sur le fondement des articles 1729 et 1763 A du code général des impôts ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code du commerce ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de procédure civile ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Xavier Domino, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Odent, Poulet, avocat de la SCI HERA,
- les conclusions de M. Edouard Geffray, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Odent, Poulet, avocat de la SCI HERA ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société HERA, constituée sous forme de société civile immobilière en avril 1995, avait pour objet social l'acquisition et la gestion de biens immobiliers ; qu'au cours de ses deux premières années de fonctionnement, la société, qui n'avait exercé aucune activité conforme à son objet social, a souscrit auprès d'établissements bancaires des emprunts, d'un montant total de 39 799 000 francs, et a mis les sommes empruntées à la disposition de ses trois associés et de sociétés contrôlées par ceux-ci, sans percevoir d'intérêts sur ces avances de fonds ; que la SCI HERA a déposé au titre de chacun des exercices clos en 1995 et 1996 une déclaration de résultats des sociétés non soumises à l'impôt sur les sociétés qui ne mentionnait ni charges, ni produits, et faisait ainsi apparaître un résultat nul ; qu'à l'issue d'une vérification de comptabilité portant sur ces deux exercices, l'administration a mis la société en demeure de déposer la déclaration de résultat des sociétés assujetties à l'impôt sur les sociétés ; que la société a déféré à cette mise en demeure en souscrivant deux déclarations qui, comme les précédentes, ne mentionnaient aucune charge ni aucun produit ; que l'administration a alors reconstitué les résultats de la société selon une procédure contradictoire, sur la base notamment de sa comptabilité commerciale, qui faisait apparaître des charges et des produits, et du taux d'intérêt auquel elle a estimé que les avances de fonds consenties par la société auraient dû être rémunérées ; que, par une notification de redressements du 14 décembre 1998, qui a été signifiée à la société le 31 décembre 1998 dans les conditions prévues par les dispositions alors applicables de l'article 656 du code de procédure civile, l'administration a fixé le montant du résultat taxable à 943 826 francs pour l'exercice clos en 1995 et à 707 548 francs pour l'exercice clos en 1996 et a assujetti la SCI HERA aux cotisations d'impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés correspondantes, majorées des intérêts de retard ; qu'elle a en outre infligé à la société les pénalités prévues par les dispositions des articles 1729 et 1763 A du code général des impôts ; que la SCI HERA se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 7 janvier 2008 de la cour administrative d'appel de Bordeaux en tant qu'il n'a fait que partiellement droit à l'appel qu'elle avait formé contre le jugement du 9 février 2006 du tribunal administratif de Fort-de-France rejetant sa demande tendant à la décharge des impositions et pénalités mises à sa charge ;
Sur la régularité de la procédure devant la cour administrative d'appel :
Considérant qu'il ressort des pièces de la procédure devant la cour que la SCI HERA a produit, le vendredi 14 décembre 2007, soit six jours avant l'audience, dont la date avait été fixée au jeudi 20 décembre, un mémoire en réplique dans lequel elle soulevait notamment un moyen nouveau tiré de ce que les conditions de signification par huissier de la notification de redressements du 14 décembre 1998 n'avaient pu valablement interrompre la prescription de l'action en reprise s'agissant de l'exercice clos en 1995 ; que l'administration ayant répliqué à ce mémoire par une production enregistrée le jour même, le président de la 4ème chambre de la cour a, le lundi 17 décembre, pris une ordonnance reportant la clôture de l'instruction au 20 décembre à 9 heures et ordonné la communication à la SCI HERA du mémoire en réplique de l'administration ; que la société, qui a produit le 18 décembre, soit deux jours avant l'audience, un mémoire dans lequel elle entendait réfuter les écritures de l'administration au sujet de la date à laquelle à laquelle l'avis de passage de l'huissier avait été effectivement déposé à la mairie de Fort-de-France, et qui n'a d'ailleurs pas sollicité le report de l'audience, n'est pas fondée à soutenir qu'elle n'aurait pas disposé d'un délai suffisant pour répondre aux dernières écritures de l'administration ; que, par suite, le moyen tiré de l'atteinte au caractère contradictoire de la procédure doit être écarté ;
Sur l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur le principe de l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés :
Considérant qu'aux termes de l'article 206 du code général des impôts : 1. (...) sont passibles de l'impôt sur les sociétés (...) ... toutes autres personnes morales se livrant à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif / (...) les sociétés civiles sont également passibles dudit impôt, même lorsqu'elles ne revêtent pas l'une des formes visées au 1, si elles se livrent à une exploitation ou à des opérations visées aux articles 34 et 35 ; que l'exercice d'une profession commerciale visé à l'article 34 du code général des impôts s'entend de l'accomplissement d'actes réputés de commerce par l'article 632, devenu L. 110-1, du code de commerce, dans des conditions caractéristiques de l'exercice d'une activité professionnelle, et, en particulier, de nature à permettre la réalisation d'un profit ; que la cour n'a pas commis d'erreur de qualification juridique ni d'erreur de droit en jugeant que l'activité de mise à disposition de fonds décrite ci-dessus était de nature commerciale, alors même, d'une part, que, cette activité n'aurait donné lieu à la réalisation d'aucun profit, d'autre part que les sommes mises à disposition seraient directement inscrites dans les écritures de la société, au crédit des comptes courants des associés ;
Sur l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur les redressements au titre de l'exercice clos en 1995 :
Considérant, en premier lieu, qu'au soutien du moyen tiré de la prescription de l'action en reprise s'agissant des résultats de l'exercice clos en 1995, la SCI HERA s'est bornée, devant la cour administrative d'appel, à faire valoir que le pli contenant la notification de redressements aurait été déposé par l'huissier de justice à la mairie de Fort-de-France seulement le 4 janvier 1999, après l'expiration du délai de prescription, et non le 31 décembre 1998 comme le soutenait l'administration ; qu'elle ne soutenait pas que la procédure de signification par acte d'huissier, prévue par les articles 651 et suivants du code de procédure civile, fût inapplicable à la procédure de redressement fiscal ; qu'ainsi le moyen tiré de ce que la cour aurait omis de se prononcer sur l'applicabilité de la procédure de signification par acte d'huissier à la notification des redressements en matière fiscale ne peut qu'être écarté ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 651 du code de procédure civile : (...) La notification peut toujours être faite par voie de signification alors même que la loi l'aurait prévue sous une autre forme. ; qu'aux termes de l'article 653 du même code, dans sa rédaction alors applicable : la date de la signification d'un acte d'huissier de justice est celle du jour où elle est faite à personne, à domicile, à résidence, (...) ; qu'aux termes de l'article 655 , dans sa rédaction alors applicable : Si la signification à personne s'avère impossible, l'acte peut être délivré (...) à domicile (...) ; qu'aux termes de l'article 656, dans sa rédaction alors applicable : Si personne ne peut ou ne veut recevoir la copie de l'acte et s'il résulte des vérifications faites par l'huissier de justice et dont il sera fait mention dans l'acte de signification que le destinataire demeure bien à l'adresse indiquée, la signification est réputée faite à domicile ou à résidence./ Dans ce cas, l'huissier de justice est tenu de remettre copie de l'acte en mairie le jour même ou au plus tard le premier jour où les services de la mairie sont ouverts au public. (...) / L'huissier de justice laisse au domicile ou à la résidence du destinataire un avis de passage conformément à ce qui est prévu à l'article précédent. Cet avis mentionne que la copie de l'acte doit être retirée dans le plus bref délai à la mairie, contre récépissé ou émargement, par l'intéressé ou par toute personne spécialement mandatée. / La copie de l'acte est conservée à la mairie pendant trois mois. (...) ; qu'il résulte des termes mêmes de l'article 651 du code de procédure civile que l'administration peut notifier des redressements par la voie d'une signification d'huissier ; qu'il résulte par ailleurs des dispositions combinées des articles 653, 655 et 656 du même code qu'en cas de signification à domicile avec remise de la copie en mairie, la date de la signification est celle du jour de la présentation de l'huissier de justice au domicile du destinataire, alors même que la copie de l'acte a été remise en mairie non pas le jour même, mais le premier jour d'ouverture au public des services de la mairie ; qu'ainsi la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que la signification à domicile faite dans les conditions prévues par les articles 655 et 656 du code de procédure civile au siège social de la SCI HERA le 31 décembre 1998, dernier jour du délai de reprise, avait interrompu la prescription au titre de l'exercice clos en 1995 ;
Considérant, en troisième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SCI HERA n'a produit ni devant l'administration, ni devant les juges du fond, d'éléments permettant d'établir la réalité des charges d'un montant de 194 200 francs et 95 000 francs, relatives aux emprunts contractés par elle, dont elle demandait la déduction ; que, contrairement à ce qu'elle soutient, l'administration n'a jamais reconnu l'existence de ces charges ; qu'ainsi, la cour administrative d'appel n'a pas dénaturé les pièces du dossier en jugeant que la SCI HERA ne justifiait de la réalité de ces charges ni dans leur principe, ni dans leur montant, et qu'ainsi l'administration était fondée à en refuser la déduction du résultat imposable ; que la cour, à laquelle il incombait de se prononcer sur la réalité de l'ensemble des charges avant d'en examiner le cas échéant la déductibilité, n'a pas davantage dénaturé les pièces du dossier ni commis d'erreur de droit en estimant que la réalité des honoraires, d'un montant total de 1 445 000 francs, qui auraient été versés à des intermédiaires pour l'obtention de prêts n'était pas établie ;
Sur l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur les redressements au titre de l'exercice clos en 1996 :
Considérant que la cour, qui n'était pas tenue de répondre à l'ensemble des arguments présentés par la SCI HERA, a répondu par une motivation suffisante au moyen tiré de l'absence de caractère commercial de l'activité exercée par la société ;
Sur l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur les pénalités :
Considérant, en premier lieu, que le moyen tiré de ce que les pénalités prévues à l'article 1729 du code général des impôts ne sont pas applicables au contribuable qui n'a pas souscrit de déclaration concerne le champ d'application de la loi et est, par suite, d'ordre public ; qu'ainsi, la SCI HERA est recevable à soulever ce moyen pour la première fois en cassation ; que, toutefois, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SCI HERA a déféré à la mise en demeure qui lui a été faite le 30 juin 1998 de déposer la déclaration de résultats des sociétés passibles de l'impôt sur les sociétés en produisant deux déclarations le 10 juillet 1998 ; que la circonstance que ces déclarations ne comportaient, pour chacun des exercices en cause, aucune charge ni aucun produit, faisant ainsi apparaître un résultat nul, ne saurait être regardée comme constituant une absence de déclaration pour l'application de l'article 1729 du code général des impôts ; qu'ainsi, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que la pénalité prévue par cet article était susceptible d'être appliquée à la SCI HERA ;
Considérant toutefois qu'en se fondant sur le seul motif que la constitution de la SCI HERA sous forme de société civile immobilière avait eu pour objet de dissimuler son activité d'intermédiation financière pour juger que l'administration avait justifié de l'intention de la société d'éluder l'impôt, la cour a commis une erreur de droit ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 117 du code général des impôts dans sa rédaction applicable aux années d'imposition en litige : Au cas où la masse des revenus distribués excède le montant total des distributions tel qu'il résulte des déclarations de la personne morale visées à l'article 116, celle-ci est invitée à fournir à l'administration, dans un délai de trente jours, toutes indications complémentaires sur les bénéficiaires de l'excédent de distribution. /En cas de refus ou à défaut de réponse dans ce délai, les sommes correspondantes donnent lieu à l'application de la pénalité prévue à l'article 1763 A ; qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société n'a pas répondu à la demande du service tendant à ce qu'elle fournisse des indications sur l'identité des bénéficiaires des rémunérations d'intermédiaires comptabilisées dans ses écritures de l'exercice clos en 1995 à hauteur de 1 445 000 francs, ainsi que sur l'objet de ces rémunérations et leur réalité et que l'administration, qui a considéré les sommes en cause comme des revenus distribués, a infligé à la SCI HERA la pénalité prévue par l'article 1763 A du code général des impôts ; que les circonstances que le montant des rémunérations en cause, d'une part, était supérieur au montant du résultat taxable de l'exercice clos en 1995, que l'administration avait fixé à la somme de 943 826 francs, d'autre part, n'avait pas été déduit de ce résultat, étaient sans incidence sur le caractère occulte de ces rémunérations et donc sur leur caractère de revenus distribués ; qu'ainsi, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en estimant que l'administration était fondée à infliger à la SCI HERA la pénalité prévue à l'article 1763 A du code général des impôts ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SCI HERA est fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant seulement qu'il est relatif aux pénalités pour mauvaise foi ;
Considérant qu'il y a lieu, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au fond dans la mesure de l'annulation ainsi prononcée ;
Considérant que, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la SCI HERA, qui a été imposée selon la procédure de redressement contradictoire, ne peut être regardée comme n'ayant pas souscrit de déclaration de résultats ; que, par suite, les pénalités prévues par l'article 1729 du code général des impôts étaient susceptibles de lui être appliquées en cas de mauvaise foi ; que la société a déclaré, au titre des deux exercices en cause, n'avoir supporté aucune charge ni enregistré aucun produit, alors que sa propre comptabilité faisait apparaître l'existence de charges et de produits pour des montants élevés ; qu'eu égard au caractère réitéré de l'insuffisance de déclaration et à l'importance des sommes dissimulées, l'administration apporte la preuve qui lui incombe de la mauvaise foi de la société, et justifie de l'application de la pénalité prévue par l'article 1729 du code général des impôts ; que, par suite, la SCI HERA n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Fort-de-France a rejeté ses conclusions relatives aux pénalités de mauvaise foi ni à demander la décharge de ces pénalités ;
Sur les conclusions de la SCI HERA présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la SCI HERA demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 7 janvier 2008 de la cour administrative d'appel de Bordeaux est annulé en tant qu'il est relatif aux pénalités pour mauvaise foi.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la SCI HERA dirigées contre l'arrêt du 7 janvier 2008 est rejeté.
Article 3 : Les conclusions d'appel de la SCI HERA relatives à la décharge des pénalités pour mauvaise foi sont rejetées.
Article 4 : Les conclusions présentées par la SCI HERA au titre de l'article L. 7611 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la SCI HERA et au ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement.