Vu la requête, enregistrée le 29 octobre 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par l'UNION SYNDICALE SOLIDAIRES, dont le siège est 144, boulevard de La Villette à Paris (75019), représentée par sa déléguée générale en exercice ; l'UNION SYNDICALE SOLIDAIRES demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande tendant à la modification de l'article 2 du décret n° 84-558 du 4 juillet 1984 et de l'article R. 4134-1 du code général des collectivités territoriales ;
2°) d'enjoindre au Gouvernement de modifier les dispositions réglementaires précitées en prévoyant la désignation par l'Union syndicale Solidaires d'au moins un représentant des salariés au Conseil économique et social, ainsi que la désignation d'au moins un représentant de l'Union au deuxième collège des conseils économiques et sociaux régionaux ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu l'ordonnance n° 58-1360 du 29 décembre 1958 ;
Vu la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
Vu le décret n° 84-558 du 4 juillet 1984 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Fabienne Lambolez, Maître des Requêtes,
- les conclusions de M. Julien Boucher, Rapporteur public ;
Considérant qu'aux termes de l'article 7 de l'ordonnance du 29 décembre 1958 portant loi organique relative au Conseil économique et social : Le Conseil économique et Social comprend : / 1° Soixante-neuf représentants des salariés, (...) / Les délégués prévus aux 1° et 2° ci-dessus, à l'exception de ceux des entreprises publiques, sont désignés, pour chaque catégorie, par les organisations professionnelles les plus représentatives. / Un décret en Conseil d'Etat précisera la répartition et les conditions de désignation des membres du Conseil économique et social ; qu'aux termes de l'article 2 du décret du 4 juillet 1984 : Les soixante-neuf représentants des salariés sont désignés ainsi qu'il suit. / Dix-sept représentants désignés par la confédération française démocratique du travail, dont au moins un sur proposition de l'union confédérale des ingénieurs et cadres ; / Six représentants désignés par la confédération française des travailleurs chrétiens ; / Dix-sept représentants désignés par la confédération générale du travail dont au moins un sur proposition de l'union générale des ingénieurs, cadres et techniciens ; / Dix-sept représentants désignés par la confédération générale du travail Force ouvrière, dont au moins un sur proposition de l'union des cadres et ingénieurs ; / Sept représentants désignés par la confédération française de l'encadrement - C.G.C. ; / Trois représentants désignés par l'Union nationale des syndicats autonomes ; / Un représentant désigné par la Fédération syndicale unitaire ; / Un représentant de l'organisation choisie par décret en Conseil d'Etat parmi les organisations les plus représentatives des salariés de l'agriculture et des organismes agricoles et agro-alimentaires. ; qu'aux termes de l'article L. 4134-1 du code général des collectivités territoriales : Le conseil économique et social régional est, auprès du conseil régional et du président du conseil régional, une assemblée consultative. ; qu'aux termes de l'article L. 4134-2 : La composition des conseils économiques et sociaux régionaux, les conditions de nomination de leurs membres (...) sont fixées par un décret en Conseil d'Etat. ; qu'aux termes de l'article R. 4134-1 : Les membres du conseil économique et social régional sont répartis en quatre collèges composés comme suit : / (...) 2° Le deuxième collège comprend des représentants des organisations syndicales de salariés représentatives au niveau national, de l'Union nationale des syndicats autonomes et de la Fédération syndicale unitaire ; / (...) Un tableau, constituant l'annexe XI du présent code, précise, pour chaque conseil économique et social régional, le nombre de ses membres et la répartition de ces derniers entre les collèges. ; qu'aux termes de l'article R. 4134-3 : (...) Les représentants des organisations syndicales de salariés sont désignés par les unions, fédérations et comités régionaux ou départementaux compte tenu notamment de leur représentativité dans la région ; qu'aux termes de l'article R. 4134-4 : I. - Un arrêté du préfet de région fixe, par application des règles définies aux articles R. 4134-1 et R. 4134-3, la liste des organismes de toute nature représentés au conseil économique et social régional, le nombre de leurs représentants (...) ; que par lettre du 28 juin 2007, réputée avoir été transmise au Premier ministre par application des dispositions de l'article 20 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, l'UNION SYNDICALE SOLIDAIRES a saisi le ministre de l'intérieur d'une demande tendant à la modification des dispositions de l'article 2 du décret du 4 juillet 1984 et de celles du 2° de l'article R. 4134-1 du code général des collectivités territoriales, afin qu'elle soit ajoutée à la liste des organisations syndicales appelées à désigner des représentants au Conseil économique et social et dans les conseils économiques et sociaux régionaux ; qu'elle demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite, confirmée sur recours gracieux, par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;
Considérant que l'autorité compétente, saisie d'une demande tendant à la modification d'un décret devenu illégal à la suite d'un changement des circonstances de fait au vu desquelles ce décret avait été pris, est tenue d'y déférer ;
Sur le refus de modifier les dispositions de l'article 2 du décret du 4 juillet 1984 :
Considérant que la représentativité des organisations syndicales appelées à désigner des représentants des salariés au Conseil économique et social doit être appréciée au regard de l'ensemble des critères de représentativité, et notamment de l'ancienneté, des effectifs et de l'audience ; qu'il ressort des pièces du dossier et n'est pas contesté que l'UNION SYNDICALE SOLIDAIRES, issue du regroupement en 1981 de dix fédérations ou syndicats tant de fonctionnaires que de salariés du secteur privé, regroupe trente-neuf syndicats et compte près de 90 000 adhérents ; que, pour justifier le refus implicitement opposé à la demande de l'UNION SYNDICALE SOLIDAIRES, le Premier ministre fait seulement valoir que l'audience de cette organisation, mesurée par ses résultats aux dernières élections professionnelles s'étant déroulées dans le secteur privé et dans le secteur public, est insuffisante ;
Considérant qu'eu égard à l'objet des dispositions précitées de l'article 7 de l'ordonnance du 29 décembre 1958, qui est d'assurer la représentation au Conseil économique et social de l'ensemble des salariés, qu'ils soient de droit privé ou bien fonctionnaires ou agents publics, une organisation syndicale de salariés représentative dans le champ de la fonction publique a vocation à être représentée à ce Conseil alors même qu'elle ne serait pas représentative dans le seul champ relevant du droit du travail ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que l'UNION SYNDICALE SOLIDAIRES, qui regroupe 39 syndicats représentant des salariés du secteur privé et du secteur public, a succédé à un regroupement de syndicats et fédérations constitué en 1981 sous la dénomination de Groupe des 10 ; que si son audience, mesurée par ses résultats aux élections prud'homales de 2002 et aux élections aux comités d'entreprise de 2004-2005 auxquelles elle a obtenu respectivement 1,51 % et 2,5 % des suffrages, était encore trop réduite pour la faire regarder comme représentative dans le seul champ des accords collectifs de travail, elle avait obtenu 9,4 %, 8,2 % et 1,3 % des voix aux dernières élections professionnelles organisées, respectivement, dans la fonction publique de l'Etat, la fonction publique hospitalière et la fonction publique territoriale ; que compte tenu de ces résultats, qui selon les écritures du Premier ministre confèrent à l'UNION SYNDICALE SOLIDAIRES une audience moyenne de 7,2 % dans le champ des trois fonctions publiques, cette union était, à la date de la décision attaquée, représentative dans le champ de la fonction publique ; qu'ainsi, l'UNION SYNDICALE SOLIDAIRES devait être regardée comme l'une des organisations professionnelles de salariés les plus représentatives au sens de l'article 7 de l'ordonnance du 29 décembre 1958 ; que, dès lors, le refus de modifier les dispositions de l'article 2 du décret du 4 juillet 1984 pour prévoir que l'UNION SYNDICALE SOLIDAIRES désigne un ou plusieurs représentants des salariés est illégal ;
Sur le refus de modifier les dispositions du 2° de l'article R. 4134-1 du code général des collectivités territoriales :
Considérant qu'en prévoyant au 2° de l'article R. 4134-1 du code général des collectivités territoriales que le deuxième collège des conseils économiques et sociaux régionaux comporte des représentants des organisations syndicales de salariés représentatives au niveau national , les auteurs de ces dispositions ont nécessairement entendu se référer aux cinq organisations syndicales reconnues représentatives dans le champ des conventions collectives et du code du travail ; qu'ils ont ensuite prévu que l'Union nationale des syndicats autonomes et la Fédération syndicale unitaire devaient également désigner des représentants dans les conseils économiques et sociaux régionaux, compte tenu de la représentativité acquise par ces deux organisations syndicales dans le champ de la fonction publique ; que s'il est loisible au Gouvernement, même en l'absence de toute disposition législative l'y contraignant, de prévoir que des organisations syndicales participeront à un organisme où elles siègeront en cette qualité, il ne peut, ce faisant, méconnaître le principe général de représentativité ; que ce principe impose au pouvoir réglementaire soit de prévoir la représentation directe des organisations syndicales représentatives dans l'organisme concerné, soit, si le nombre de celles-ci est supérieur au nombre des sièges qui leur sont réservés, d'assurer la participation de l'ensemble de ces organisations syndicales représentatives au processus de désignation de leurs représentants ; que la représentativité s'apprécie, pour la composition d'un organisme, au niveau territorial ou professionnel auquel il siège ; qu'ainsi, dans le cas d'un organisme régional, il appartient aux autorités administratives de mesurer la représentativité des syndicats appelés à y siéger en fonction de leurs résultats aux diverses élections professionnelles au niveau régional, sans pouvoir interdire à un syndicat qui ne serait pas représentatif au niveau national de participer directement ou indirectement, comme il a été dit ci-dessus, à la composition de cet organe régional ; que toutefois, compte tenu des critères retenus pour apprécier la représentativité des syndicats au niveau national, les auteurs de l'article R. 4134-4 ont pu légalement valablement estimer que l'importance des résultats des syndicats reconnus représentatifs au niveau national conduisait à reconnaître leur représentativité au niveau de chaque région métropolitaine continentale, pourvu, comme les textes le prévoient, que la place relative de chaque organisation représentative fût ensuite pondérée par un nombre de sièges proportionnel aux résultats électoraux régionaux de chaque organisation ; que l'UNION SYNDICALE SOLIDAIRES devait, étant comme il a été dit ci-dessus représentative au plan national, être également représentée dans ces conditions dans les conseils économiques et sociaux régionaux dès lors que les auteurs des dispositions réglementaires en régissant la composition avaient entendu y assurer la représentation des syndicats ; que dès lors, le Premier ministre a méconnu le principe général de représentativité en rejetant la demande de l'UNION SYNDICALE SOLIDAIRES tendant à la modification de l'article R. 4134-1 du code général des collectivités territoriales ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. ; que l'exécution de la présente décision n'implique pas nécessairement, comme le demande l'union requérante, qu'elle désigne au moins un représentant des salariés au Conseil économique et social, devenu Conseil économique, social et environnemental depuis l'intervention de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, et au deuxième collège des conseils économiques et sociaux régionaux ; qu'elle implique seulement que le Premier ministre réexamine sa demande, en appréciant sa représentativité à la date de la présente décision ; qu'il y a lieu d'enjoindre au Premier ministre de procéder à ce réexamen dans le délai de six mois à compter de la présente décision ;
D E C I D E :
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Article 1er : La décision implicite rejetant la demande de l'UNION SYNDICALE SOLIDAIRES tendant à la modification des dispositions de l'article 2 du décret n° 84-558 du 4 juillet 1984 et de l'article R. 4134-1 du code général des collectivités territoriales est annulée.
Article 2 : Il est enjoint au Premier ministre de réexaminer la demande de l'UNION SYNDICALE SOLIDAIRES dans le délai de six mois à compter de la notification de la présente décision.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'UNION SYNDICALE SOLIDAIRES et au Premier ministre.