Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 17 novembre 2006 et 2 février 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour l'établissement public PORT AUTONOME DE PARIS, dont le siège est 2, quai de Grenelle à Paris (75732 cedex 15) ; le PORT AUTONOME DE PARIS demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'article 2 de l'arrêt du 26 septembre 2006 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 6 mai 2004 du tribunal administratif de Paris déchargeant la société Neville Foster Delaunay Belleville (NFDB) de la somme de 1 041 517,83 euros mise à sa charge par un titre exécutoire émis le 9 septembre 2002 aux fins de recouvrer auprès de cette société les frais de remise en l'état du terrain situé sur le domaine public fluvial qu'elle occupait sans titre et à ce que ce titre soit déclaré légal et bien-fondé ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa requête d'appel ;
3°) de mettre à la charge de la société NFDB une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure ;
Vu la loi n° 91-1385 du 31 décembre 1991 portant dispositions diverses en matière de transports et notamment son article 1er ;
Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Marc Anton, Auditeur,
- les observations de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat du PORT AUTONOME DE PARIS et de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la société Neville Foster Delaunay Belleville,
- les conclusions de M. Laurent Olléon, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat du PORT AUTONOME DE PARIS et de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la société Neville Foster Delaunay Belleville ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le PORT AUTONOME DE PARIS a, le 30 août 2000, résilié pour faute le contrat d'occupation du domaine public qu'il avait conclu en 1973 avec la société Neville Foster Delaunay Belleville (NFDB) relatif à un terrain situé 22, chemin des Petits Marais à Gennevilliers, et sur lequel celle-ci avait construit divers bâtiments à usage d'entrepôts et de bureaux qu'elle louait à diverses entreprises, au motif qu'elle n'avait pas respecté ses obligations en matière de versement des redevances domaniales correspondantes ; que, par jugement du 8 juin 2001, confirmé en appel, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de la société NFDB tendant à l'annulation de cette décision ; que cette société s'est maintenue sans titre sur le domaine public et n'a pas procédé à la remise en l'état du terrain, ainsi que l'a relevé un procès-verbal de contravention de grande voirie établi le 23 avril 2002, lequel a constaté que l'absence de démolition des bâtiments constituait une infraction à l'article 29 du code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure alors en vigueur ; que le 9 septembre 2002, le PORT AUTONOME DE PARIS a émis un état exécutoire en application de ce procès-verbal, mettant à la charge de cette société la somme de 1 041 517,83 euros correspondant au coût des travaux de dépollution, de démolition des installations et de remise à niveau du terrain ; que, par l'article premier du jugement en date du 6 mai 2004, le tribunal administratif de Paris a déchargé la société de cette somme ; que le PORT AUTONOME DE PARIS se pourvoit en cassation contre l'article 2 de l'arrêt en date du 26 septembre 2006 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté son appel contre ce jugement ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par la société Neville Foster Delaunay Belleville :
Considérant qu'à l'appui de ses conclusions d'appel, le PORT AUTONOME DE PARIS a contesté l'interprétation des stipulations de l'article 3-02 du cahier des charges, annexé au contrat d'occupation du domaine public, sur lesquelles le tribunal administratif s'était fondé et s'est aussi prévalu du fait que le titre exécutoire en litige avait été émis en application du procès-verbal de contravention de grande voirie ; que, contrairement à ce que la société NFDB soutient, le PORT AUTONOME DE PARIS est recevable à contester devant le juge de cassation l'application par le juge d'appel de ces stipulations ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;
Considérant qu'aux termes de l'article 29 du code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure dans sa rédaction alors en vigueur : Les riverains, les mariniers et autres personnes sont tenus de faire enlever les pierres, terres, bois, pieux, débris de bateaux et autres empêchements qui, de leur fait ou du fait de personnes ou de choses à leur charge, se trouveraient sur le domaine public fluvial. Le contrevenant sera passible d'une amende de 12 000 euros, de la confiscation de l'objet constituant l'obstacle et du remboursement des frais d'enlèvement d'office par l'administration ; que l'autorité chargée de la gestion du domaine public fluvial tient de ces dispositions le droit de dresser une contravention de grande voirie à l'encontre d'un occupant sans titre de ce domaine et dans ce cadre de procéder d'office à l'enlèvement des empêchements qui se trouveraient sur le domaine public, ainsi que d'obtenir le versement des sommes nécessaires à la remise en état du domaine ; que, dès lors qu'à la suite de la résiliation de la convention d'occupation d'un occupant de ce domaine, elle a dressé un procès-verbal de contravention de grande voirie contre cet occupant qui s'est maintenu sans titre sur le domaine, celui-ci ne peut pas exciper des stipulations de cette convention pour contester l'état exécutoire pris en application de ce procès-verbal et relatif au coût des travaux de remise en état du domaine ;
Considérant que pour juger que le PORT AUTONOME DE PARIS ne pouvait, par l'état exécutoire du 9 septembre 2002, poursuivre le recouvrement de la somme litigieuse mise à la charge de la société NFDB, la cour a opposé les stipulations précitées de l'article 3-02 du cahier des charges annexé au contrat d'occupation du domaine public aux termes desquelles : Sauf s'il a préalablement présenté un successeur agréé par le PORT AUTONOME DE PARIS, acceptant de lui reprendre les ouvrages, constructions et installations, l'amodiataire, doit, en fin d'occupation ou à la date de cessation pour quelque cause que ce soit de l'autorisation donnée par la convention, remettre les lieux libres de toutes installations qu'il y aurait réalisées ou dont il aurait fait l'acquisition d'un précédent occupant. Les terrains devront être remis nus et convenablement arasés. / A défaut pour l'amodiataire de s'être acquitté de cette obligation dans le délai qui lui serait fixé par mise en demeure adressée par lettre recommandée, le PORT AUTONOME DE PARIS pourra y pourvoir d'office aux frais et risques de l'amodiataire. Dans ce cas, la redevance domaniale continuera à être due jusqu'à l'achèvement de l'opération. / Toutefois, le PORT AUTONOME DE PARIS se réserve de renoncer en fin d'occupation ou à la date de cessation de l'autorisation, à la remise en état des lieux, partielle ou totale. L'amodiataire fera, dans ce cas, abandon au PORT AUTONOME DE PARIS, à la demande de celui-ci et à titre gratuit, de tout ou partie des installations ; qu'en statuant ainsi, alors que le PORT AUTONOME DE PARIS avait fondé le recouvrement des sommes en cause sur le procès-verbal de contravention de grande voirie dressé à l'encontre de cette société le 23 avril 2002, pris en application de l'article 29 du code du domaine public fluvial, la cour a commis une erreur de droit; que, par suite, le PORT AUTONOME DE PARIS est fondé à demander, pour ce motif, l'annulation de l'article 2 de l'arrêt attaqué ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au fond ;
Considérant que l'autorité chargée de la gestion du domaine public fluvial tenait des dispositions de l'article 29 du code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure dans sa rédaction alors en vigueur le droit de procéder d'office à l'enlèvement des empêchements qui se trouveraient sur ce domaine et d'obtenir le versement des sommes nécessaires à la remise en état du domaine ; qu'il résulte de l'instruction que le titre exécutoire en litige se fonde sur le procès-verbal de contravention de grande voirie établi le 23 avril 2002, pris en application de l'article 29 précité ; que ce procès-verbal constitue le fait générateur de la créance du PORT AUTONOME DE PARIS sur la société NFDB au titre des frais de remise en état du domaine public ; qu'il ne résulte d'aucune disposition législative ou réglementaire que le PORT AUTONOME DE PARIS, qui dispose du pouvoir de faire procéder d'office à l'enlèvement des installations implantées sur le domaine public fluvial par la société NFDB, occupante sans titre, et qui n'avaient pas été enlevées par celle-ci, ne puisse exiger le versement des sommes nécessaires à cet enlèvement qu'après que les dépenses correspondantes ont été effectivement exposées ; que, par suite, alors même qu'à la date de l'émission de l'état exécutoire, le PORT AUTONOME DE PARIS n'avait pas encore réalisé les travaux d'enlèvement des installations irrégulièrement maintenues sur le domaine public fluvial, sa créance était exigible ; que sa créance était également liquide dès lors que les devis annexés à l'état exécutoire mentionnaient pour chacune des catégories de travaux à entreprendre leur montant ; que, par suite, c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a jugé que la créance de l'établissement public n'était ni liquide ni exigible ;
Considérant qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'affaire, d'examiner l'autre moyen invoqué par la société NFDB devant le tribunal administratif et tiré de l'insuffisance de motivation du titre de recettes litigieux ;
Considérant qu'un état exécutoire doit indiquer les bases de la liquidation de la dette, alors même qu'il est émis par une personne publique autre que l'Etat pour lequel cette obligation est expressément prévue par l'article 81 du décret du 29 décembre 1962 ; qu'en application de ce principe, une personne publique ne peut mettre une somme à la charge d'un tiers sans indiquer, soit dans le titre lui-même, soit par référence à un document joint à l'état exécutoire ou précédemment adressé au débiteur, les bases et les éléments de calcul sur lesquels ce titre se fonde ; qu'en l'espèce, le PORT AUTONOME DE PARIS a satisfait à cette obligation en faisant référence dans l'état exécutoire au procès-verbal de contravention de grande voirie établi le 23 avril 2002 et en joignant en annexe les devis relatifs aux divers travaux nécessaires à la remise en état du domaine public ; que, par suite, la société NFDB, qui a ainsi été mise en mesure de discuter utilement des bases de calcul mentionnées sur le titre, n'est pas fondée à soutenir que cet état exécutoire serait insuffisamment motivé ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le PORT AUTONOME DE PARIS est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'article premier de son jugement, le tribunal administratif de Paris a fait droit à la demande de la société NFDB tendant à l'annulation de l'état exécutoire émis le 9 septembre 2002 ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge du PORT AUTONOME DE PARIS qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement d'une somme au titre des frais exposés par cette société et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la société NFDB le versement au PORT AUTONOME DE PARIS d'une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'article 2 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris en date du 26 septembre 2006 est annulé.
Article 2 : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Paris en date du 6 mai 2004 est annulé.
Article 3 : Les conclusions présentées par la société Neville Foster Delaunay Belleville devant le tribunal administratif de Paris tendant à l'annulation du titre exécutoire en date du 9 septembre 2002 et ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La société Neville Foster Delaunay Belleville versera au PORT AUTONOME DE PARIS la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au PORT AUTONOME DE PARIS, à la société Neville Foster Delaunay Belleville et à son liquidateur judiciaire.
Copie en sera adressée, pour information, au ministre d'Etat, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat.