Vu, 1°) sous le n° 329047, la requête, enregistrée le 18 juin 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par la société POLYNESIE INTERIM, dont le siège est immeuble Ia Ora, quartier Mamao, avenue Georges Clémenceau à Papeete (98713), représentée par son gérant ; la société POLYNESIE INTERIM demande au Conseil d'Etat de déclarer illégale la loi du pays n° 2009-8 LP/APF du 19 mai 2009 relative à la protection de l'emploi local dans le secteur privé ;
Vu, 2°) sous le n° 329243, la requête, enregistrée le 25 juin 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par la FEDERATION GENERALE DU COMMERCE, dont le siège est immeuble Farnham, BP 1607à Papeete (98713), représentée par son président ; la FEDERATION GENERALE DU COMMERCE demande au Conseil d'Etat de déclarer illégale la loi du pays n° 2009-8 LP/APF du 19 mai 2009 relative à la protection de l'emploi local dans le secteur privé pour les mêmes motifs que ceux exposés sous le n° 329047 ;
Vu la loi du pays attaquée ;
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Vu, 3°) sous le n° 329262, la requête, enregistrée le 26 juin 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Arcus A, demeurant à ... ; M. A demande au Conseil d'Etat de déclarer illégale la loi du pays n° 2009-8 LP/APF du 19 mai 2009 relative à la protection de l'emploi local dans le secteur privé ;
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la Constitution ;
Vu la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;
Vu la loi n° 86-845 du 17 juillet 1986 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Fabienne Lambolez, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP de Chaisemartin, Courjon, avocat du président de la Polynésie française et du président de l'assemblée de la Polynésie française ;
- les conclusions de Mme Julie Burguburu, Rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP de Chaisemartin, Courjon, avocat du président de la Polynésie française et du président de l'assemblée de la Polynésie française ;
Considérant qu'aux termes du II de l'article 176 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française : A l'expiration de la période de huit jours suivant l'adoption d'un acte prévu à l'article 140 dénommé loi du pays (...), l'acte prévu à l'article 140 dénommé loi du pays est publié au Journal officiel de la Polynésie française à titre d'information pour permettre aux personnes physiques ou morales, dans le délai d'un mois à compter de cette publication, de déférer cet acte au Conseil d'Etat. / Le recours des personnes physiques ou morales est recevable si elles justifient d'un intérêt à agir (...) ; qu'aux termes du premier alinéa du III du même article 176 : Le Conseil d'Etat se prononce sur la conformité des actes prévus à l'article 140 dénommés lois du pays au regard de la Constitution, des lois organiques, des engagements internationaux et des principes généraux du droit (...) ; qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 177 : Si le Conseil d'Etat constate qu'un acte prévu à l'article 140 dénommé loi du pays contient une disposition contraire à la Constitution, aux lois organiques ou aux engagements internationaux ou aux principes généraux du droit, et inséparable de l'ensemble de l'acte, celle-ci ne peut être promulguée ;
Considérant que la société POLYNESIE INTERIM, la FEDERATION GENERALE DU COMMERCE et M. A défèrent au Conseil d'Etat la loi du pays n° 2009-8 LP/APF du 19 mai 2009 relative à la protection de l'emploi local dans le secteur privé ; qu'il y a lieu de joindre leurs requêtes pour statuer par une seule décision ;
Sur l'intervention de M. B :
Considérant que M. B, qui se borne à contester la régularité des dernières élections à l'assemblée territoriale et la validité du mandat de l'actuelle assemblée, ne justifie pas, ce faisant, de son intérêt lui donnant qualité pour présenter une intervention à l'appui des conclusions de la FEDERATION GENERALE DU COMMERCE ; qu'ainsi, son intervention au soutien de cette requête est irrecevable ;
Sur la légalité de la loi du pays :
Considérant qu'en vertu du dixième alinéa de l'article 74 de la Constitution, la loi organique peut déterminer, pour les collectivités d'outre-mer dotées de l'autonomie, les conditions dans lesquelles des mesures justifiées par les nécessités locales peuvent être prises par la collectivité en faveur de sa population, en matière d'accès à l'emploi, de droit d'établissement pour l'exercice d'une activité professionnelle ou de protection du patrimoine foncier ; qu'aux termes de l'article 18 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, pris sur le fondement de ces dispositions constitutionnelles : La Polynésie française peut prendre des mesures favorisant l'accès aux emplois salariés du secteur privé au bénéfice des personnes justifiant d'une durée suffisante de résidence sur son territoire ou des personnes justifiant d'une durée suffisante de mariage, de concubinage ou de pacte civil de solidarité avec ces dernières. (...) /Les mesures prises en application du présent article doivent, pour chaque type d'activité professionnelle et chaque secteur d'activité, être justifiées par des critères objectifs en relation directe avec les nécessités du soutien ou de la promotion de l'emploi local. En outre, ces mesures ne peuvent porter atteinte aux droits individuels et collectifs dont bénéficient, à la date de leur publication, les personnes physiques ou morales autres que celles mentionnées au premier alinéa et qui exerçaient leur activité dans des conditions conformes aux lois et règlements en vigueur à cette date. / Les conditions d'application du présent article sont prévues par des actes prévus à l'article 140 dénommés lois du pays . Ils peuvent notamment prévoir les cas dans lesquels les périodes passées en dehors de la Polynésie française pour accomplir le service national, pour suivre des études ou une formation ou pour des raisons familiales, professionnelles ou médicales ne sont pas, pour les personnes qui y étaient antérieurement domiciliées, une cause d'interruption ou de suspension du délai pris en considération pour apprécier les conditions de résidence exigées par les alinéas précédents ; que les mesures prises sur le fondement de ces dispositions constitutionnelles et organiques, pour l'application desquelles l'assemblée de la Polynésie française a adopté la loi du pays attaquée, ne peuvent intervenir que dans la mesure strictement nécessaire à la mise en oeuvre du statut d'autonomie de la Polynésie française dès lors qu'elles dérogent, notamment, au principe constitutionnel d'égalité ;
Considérant que l'article LP 1er de la loi du pays contestée prévoit que justifient de la durée suffisante de résidence en Polynésie française prévue par le premier alinéa de l'article 18 de la loi organique du 27 février 2004, et sont donc considérées comme résidentes, d'une part les personnes justifiant d'une durée de résidence de cinq ans en Polynésie française, d'autre part les personnes justifiant de deux ans de mariage, de concubinage ou de pacte civil de solidarité avec les premières ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que la fixation d'une durée unique de résidence quel que soit l'activité ou le secteur d'activité professionnelle concerné soit justifiée par des éléments objectifs en relation directe avec les nécessités du soutien de l'emploi local, ces nécessités ne pouvant être regardées comme résultant de la seule situation globale de l'emploi dans le territoire ; que par suite, et dans cette mesure, l'article LP 1er méconnaît les dispositions de l'article 18 de la loi organique ;
Considérant qu'aux termes de l'article LP 3 : La liste des activités professionnelles et secteurs d'activité du secteur privé qui font l'objet de mesures en faveur des résidents de la Polynésie française est établie en fonction de l'existence : / - de demandeurs d'emploi en nombre suffisant ayant la qualité de résident de la Polynésie française et présentant une qualification adaptée pour exercer dans un secteur d'activité et une activité professionnelle donnés ; / - de filières de formations locales, pour un secteur d'activité et une activité professionnelle, susceptibles de fournir des effectifs qualifiés en nombre suffisants. / Cette liste des activités et secteurs protégés est fixée par arrêté pris en conseil des ministres, après consultation du conseil supérieur de l'emploi et de la formation professionnelle ;
Considérant, en premier lieu, que le champ des activités professionnelles et secteurs d'activités protégés est déterminé par ces dispositions par application des seuls critères tenant d'une part, à la disponibilité suffisante d'une main-d'oeuvre résidente sans emploi, d'autre part, à l'existence de filières de formation locales ; que de tels critères, qui ne tiennent pas compte de la difficulté d'accès des résidents à l'emploi, ne sauraient être regardés, à eux seuls, comme étant en relation directe avec les nécessités du soutien de l'emploi local au sens des dispositions précitées de l'article 18 de la loi organique du 27 février 2004 ; qu'à cet égard, l'invocation, par la Polynésie française, d'une part de la situation générale particulièrement difficile de l'emploi, d'autre part de la proportion des demandeurs d'emploi non résidents dans le total des demandeurs d'emploi, de l'ordre de 6 %, ne saurait tenir lieu de la justification exigée par l'article 18 ;
Considérant en deuxième lieu, qu'il résulte de l'article 140 de la loi organique que les lois du pays doivent fixer les dispositions qui relèvent du domaine de la loi ; que l'article 18 de la loi organique a renvoyé à une loi du pays le soin de fixer ses conditions d'application ; que si la Polynésie française est fondée à soutenir qu'un tel renvoi ne saurait faire obstacle à l'exercice, par le conseil des ministres, de la compétence qu'il tient de l'article 89 de la loi organique à effet de prendre les règlements nécessaires à la mise en oeuvre des lois du pays , l'assemblée ne pouvait, sans méconnaître sa compétence, se borner à faire référence à un nombre suffisant de demandeurs d'emploi disponibles ou susceptibles d'être formés par les filières de formation locale, sans préciser les critères en fonction desquels sera apprécié dans les deux cas ce caractère suffisant ; que l'article LP 3 est, par suite, illégal ;
Considérant que les articles LP 1er et LP3 n'étant pas divisibles des autres dispositions de la loi du pays attaquée, il y a lieu, pour le Conseil d'Etat, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des requêtes, de déclarer illégal l'ensemble de la loi du pays n° 2009-8 LP/APF du 19 mai 2009 ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la Polynésie française le versement de la somme de 3 000 euros à M. A ; que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société POLYNESIE INTERIM, de la FEDERATION GENERALE DU COMMERCE et de M. A qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante, les sommes que demandent le président de la Polynésie française et le président de l'assemblée de la Polynésie française ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de M. B n'est pas admise.
Article 2 : La loi du pays n° 2009-8 LP/APF du 19 mai 2009 relative à la protection de l'emploi local dans le secteur privé est illégale et ne peut être promulguée.
Article 3 : La Polynésie française versera à M. A la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions du président de l'assemblée de la Polynésie française et du président de la Polynésie française tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société POLYNESIE INTERIM, à la FEDERATION GENERALE DU COMMERCE, à M. Arcus A, à M. René Georges B, au président de la Polynésie française, au président de l'assemblée de la Polynésie française et au haut-commissaire de la République en Polynésie française. Une copie sera transmise pour information au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales.