Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 29 janvier 2008 et 24 avril 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés par M. Michel A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat d'annuler la décision du 6 novembre 2007 du garde des sceaux, ministre de la justice portant rejet de son recours gracieux formé le 27 septembre 2007 à l'encontre de la décision du 21 juin 2007 de verser à son dossier administratif, d'une part, des extraits d'un rapport de l'inspection générale des services judiciaires concernant ses activités alors qu'il était en poste au tribunal de grande instance de Bonneville, d'autre part, la dépêche du ministre comportant des appréciations sur sa manière de servir ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Bruno Chavanat, Maître des Requêtes,
- les conclusions de M. Mattias Guyomar, Rapporteur public ;
Considérant que, par une décision du 21 juin 2007, notifiée le 26 septembre suivant, le garde des sceaux, ministre de la justice a donné instruction au premier président de la cour d'appel de Chambéry de verser au dossier administratif de M. A, vice-président au tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains, d'une part, les extraits d'un rapport de l'inspection générale des services judiciaires relatifs au comportement de l'intéressé dans ses fonctions de président de la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Bonneville, d'autre part, sa propre dépêche comportant ses observations sur la manière de servir du magistrat ; que M. A demande l'annulation de la décision du 6 novembre 2007 par laquelle le garde des sceaux a rejeté son recours gracieux tendant au retrait de ces documents de son dossier ;
Considérant que l'article 12-2 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 relative au statut de la magistrature dispose que : Le dossier du magistrat doit comporter toutes les pièces intéressant sa situation administrative, enregistrées, numérotées et classées sans discontinuité. Il ne peut y être fait état ni de ses opinions ou activités politiques, syndicales, religieuses ou philosophiques, ni d'éléments relevant strictement de sa vie privée ; qu'un rapport de l'inspection des services judiciaires sur le fonctionnement d'une juridiction n'est pas une pièce intéressant la situation administrative d'un magistrat au sens de cette disposition ; que, néanmoins, il peut être versé à son dossier, dès lors qu'il contient des appréciations sur son comportement dans l'exercice de ses fonctions ; qu'en décidant de verser au dossier de M. A les extraits le concernant du rapport de l'inspection des services judiciaires sur les relations entre les tribunaux de grande instance de Haute-Savoie et les mandataires de justice, le garde des sceaux, ministre de la justice n'a pas inexactement apprécié la portée de ce document ; que les extraits en cause ne comportaient pas des mentions prohibées par les dispositions ci-dessus ou la relation de faits matériellement inexacts ; que la loi d'amnistie du 6 août 2002 ne fait, en tout état de cause, pas obstacle à ce que soient mentionnés de simples faits, alors même qu'ils auraient perdu leur caractère punissable ; que la décision de verser ces extraits au dossier de M. A n'a, en elle même, le caractère, ni d'une sanction disciplinaire, ni d'un avertissement, ni d'une mesure prise en considération de la personne, et n'avait par suite, pas à être précédée de l'exercice par l'intéressé des droits de la défense ; que, dès lors, le requérant n'est pas fondé à demander l'annulation du refus du ministre d'ordonner le retrait de ces documents de son dossier administratif ;
Considérant, en revanche, qu'il ressort des pièces du dossier que le ministre, dans la dépêche mentionnée ci-dessus, reprend à son compte les observations formulées par les inspecteurs et en tire lui-même la conclusion que les magistrats en cause, dont M. A, ont créé un risque certain de voir mettre en cause leur indépendance et leur impartialité et de ce fait ont compromis le crédit et l'autorité de la justice ; que la décision du ministre de faire aviser M. A que serait versée à son dossier administratif, outre les extraits du rapport, la dépêche comportant de telles appréciations, accompagnée des éventuelles observations de l'intéressé doit être regardée, alors même qu'aucune procédure disciplinaire n'a été engagée à raison des faits en cause, comme un avertissement au sens de l'article 44 de l'ordonnance du 22 décembre 1958, aux termes duquel : En dehors de toute action disciplinaire, l'inspecteur général des services judiciaires, les premiers présidents, les procureurs généraux et les directeurs ou chefs de service à l'administration centrale ont le pouvoir de donner un avertissement aux magistrats placés sous leur autorité. / L'avertissement est effacé automatiquement du dossier au bout de trois ans si aucun nouvel avertissement ou aucune sanction disciplinaire n'est intervenu pendant cette période. ;
Considérant, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens invoqués à ce titre, qu'il ressort des dispositions de l'article 44 cité ci-dessus que le garde des sceaux ne figure pas parmi les autorités ayant le pouvoir de délivrer un avertissement à un magistrat ; qu'aucune autre disposition statutaire ne lui confère un tel pouvoir ; que, par suite, le garde des sceaux, ministre de la justice n'avait pas compétence pour décider de verser au dossier individuel de M. A l'avertissement en cause ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A est seulement fondé à demander l'annulation de la décision attaquée en tant qu'elle refuse de retirer de son dossier administratif la dépêche du 21 juin 2007 ;
D E C I D E :
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Article 1er : La décision du garde des sceaux, ministre de la justice, en date du 6 novembre 2007 est annulée, en tant qu'elle refuse de retirer du dossier administratif de M. A la dépêche du 21 juin 2007.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A est rejeté.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Michel A et à la ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.