Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 15 mai et 9 août 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Bernadette A, demeurant ... ; Mme A demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 15 mars 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 18 mars 2006 du tribunal administratif de Besançon en tant qu'il a rejeté sa demande de condamnation de l'Etat à lui verser diverses indemnités en réparation des préjudices consécutifs à une vaccination contre l'hépatite B au centre hospitalier intercommunal de la Haute-Saône ;
2°) réglant l'affaire au fond, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 351 914,70 euros, avec les intérêts légaux et les intérêts des intérêts, ainsi qu'une rente annuelle de 9 146,94 euros révisable tous les 5 ans à compter du 1er janvier 2001 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Damien Botteghi, Maître des Requêtes,
- Les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de Mme A et de Me Le Prado, avocat du centre hospitalier intercommunal de la Haute-Saône,
- les conclusions de M. Jean-Philippe Thiellay, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que Mme A a recherché réparation des dommages résultant d'une sclérose en plaques qu'elle estime imputable à un rappel de vaccination contre l'hépatite B, obligatoire dans le cadre de son activité de secrétaire médicale au centre hospitalier intercommunal de la Haute-Saône ; qu'elle a demandé devant le tribunal administratif de Besançon, d'une part l'annulation de la décision du 15 mars 2002 du directeur de ce centre refusant de reconnaître l'imputabilité au service de cette pathologie et, d'autre part l'engagement de la responsabilité de l'Etat du fait des vaccinations obligatoires, après avoir refusé la proposition de compensation financière de la commission de règlement amiable des accidents médicaux ; que si ce tribunal a annulé, pour des motifs de légalité externe, la première décision, il a rejeté les secondes conclusions de l'intéressée ; que la cour administrative d'appel de Nancy a, par arrêt du 15 mars 2007 contre lequel Mme A se pourvoit en cassation, confirmé ce jugement sur les deux points ;
Sur les conclusions dirigées contre l'arrêt du 15 mars 2007 en tant qu'il a rejeté comme irrecevables les conclusions de Mme A relatives à l'annulation par le tribunal administratif de Besançon de la décision du directeur du centre hospitalier intercommunal de la Haute-Saône du 15 mars 2002 :
Considérant que si Mme A demande l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il a rejeté comme irrecevables ses conclusions relatives à l'annulation par le tribunal administratif de Besançon de la décision du directeur du centre hospitalier intercommunal de la Haute-Saône du 15 mars 2002, elle n'assortit ces conclusions d'aucun moyen ; que, par suite, ces dernières sont irrecevables et doivent, pour ce motif, être rejetées ;
Sur les conclusions dirigées contre l'arrêt du 15 mars 2007 en tant qu'il a rejeté les conclusions indemnitaires de Mme A présentées sur le fondement de l'article L. 3111-9 du code de la santé publique :
Sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens du pourvoi ;
Considérant que, alors même qu'un rapport d'expertise n'établirait pas de lien de causalité, la responsabilité du service public hospitalier peut être engagée en raison des conséquences dommageables d'injections vaccinales contre l'hépatite B réalisées dans le cadre d'une activité professionnelle eu égard, d'une part, au bref délai ayant séparé l'injection de l'apparition du premier symptôme cliniquement constaté d'une pathologie identifiée et comportant des atteintes démyélinisantes et, d'autre part, à la bonne santé de la personne concernée et à l'absence, chez elle, de tous antécédents à cette pathologie antérieurement à sa vaccination ; que, pour rejeter les conclusions présentées par Mme A, la cour a jugé que l'Etat n'engageait pas sa responsabilité au motif qu'il ressortait des rapports d'expertise qu'il n'existe pas, en l'état des connaissances scientifiques, de certitude sur l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre la vaccination obligatoire et la sclérose en plaques dont est atteinte l'intéressée ; qu'en se fondant sur de tels motifs, la cour a commis une erreur de droit ; que son arrêt doit donc être annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de Mme A tendant à l'engagement de la responsabilité de l'Etat du fait d'injections vaccinales obligatoires contre l'hépatite B ;
Considérant qu'il y a lieu de faire application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au fond dans la mesure de la cassation prononcée ;
Sur la responsabilité :
Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment du rapport tant de l'expert désigné par la commission de règlement amiable des accidents médicaux que de celui de l'expert commis par le tribunal administratif que les premiers symptômes ont été constatés six à sept semaines après un rappel de vaccination effectué le 24 décembre 1997 ; qu'une imagerie par résonance magnétique effectuée le 14 mai 1998 a mis en évidence des anomalies dans les régions péri-ventriculaires évoquant des plaques de démyélinisation, le diagnostic de sclérose en plaques ayant finalement été posé ; que Mme A était, antérieurement aux injections vaccinales contre l'hépatite B, en bonne santé et ne présentait aucun antécédent en lien avec cette pathologie ; que, d'ailleurs, la commission de règlement amiable a considéré qu'un faisceau d'indices permettait de reconnaître l'imputabilité de la pathologie dont souffre Mme A au rappel de vaccination effectué le 24 décembre 1997 ; que, dans ces conditions, même si les rapports d'expertise concluent à l'absence de certitude sur le lien de causalité entre la vaccination de Mme A et la sclérose en plaques dont elle est atteinte, celui-ci doit en l'espèce être regardé comme établi eu égard au bref délai séparant la vaccination de la constatation des symptômes et à l'absence d'antécédents ;
Considérant qu'il s'ensuit que Mme A est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a jugé que la responsabilité de l'Etat n'était pas engagée sur le fondement de l'article L. 3111-9 du code de la santé publique ;
Sur la recevabilité du recours subrogatoire de la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Saône :
Considérant que les conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Saône aux fins de remboursement des sommes qu'elle a versées sont dirigées contre le centre hospitalier intercommunal de la Haute-Saône, alors que la responsabilité engagée sur le fondement de l'article L. 3111-9 du code de la santé publique est celle de l'Etat ; que, par suite, ses conclusions étant mal dirigées, elles ne sont pas fondées et doivent, pour ce motif, être rejetées ;
Sur les droits à réparation de Mme A :
En ce qui concerne les préjudices à caractère patrimonial de Mme A :
Quant aux frais liés au handicap :
Considérant que Mme A justifie, d'une part, de frais d'entretien de son habitation et de garde de ses enfants en lien avec les conséquences invalidantes de sa pathologie et de frais d'acquisition d'un véhicule équipé d'une boîte automatique ; qu'en revanche, il ne ressort pas de l'instruction que l'investissement dans une résidence principale de plain-pied ait été rendu nécessaire par le seul état de Mme A et présente ainsi un lien suffisamment direct avec celui-ci ; qu'il y a lieu d'allouer à Mme A au titre des frais liés au handicap une somme totale de 20 000 euros ;
Quant aux pertes de revenus :
Considérant que Mme A fait état de pertes de revenus consécutives à son invalidité qui l'a conduite à réduire son temps de travail ; que, par ailleurs, sa contamination lui a fait perdre des chances de progression professionnelle ; qu'il sera fait une juste appréciation des pertes subies à ces deux titres en lui allouant la somme de 17 500 euros ;
En ce qui concerne les préjudices à caractère personnel :
Considérant qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice d'agrément, du préjudice corporel, des souffrances endurées ainsi que du préjudice moral, important du fait de l'angoisse née du caractère évolutif de la pathologie de Mme A, en allouant à cette dernière la somme de 45 000 euros ;
Considérant que si Mme A conclut également à ce qu'une rente lui soit versée à compter du 1er janvier 2001, elle ne justifie toutefois ni le motif d'une telle demande ni la nature des préjudices dont il est demandé réparation sous cette forme ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'Etat doit verser à Mme A la somme de 82 500 euros ; que cette somme répare les conséquences de la pathologie dont Mme A a fait état jusqu'à la date de la présente décision ; qu'il appartient à cette dernière, dont l'état est évolutif, de demander le cas échéant à l'Etat la prise en charge des conséquences qui résulteraient dans le futur de l'aggravation de la pathologie dont elle est atteinte ;
Sur les intérêts et leur capitalisation :
Considérant que Mme A a droit aux intérêts de la somme de 82 500 euros à compter du 6 octobre 2004, date d'enregistrement de sa demande au greffe du tribunal administratif de Besançon ; que Mme A a demandé, par un mémoire enregistré le 15 mai 2007, la capitalisation des intérêts ; qu'il y a lieu de faire droit à cette demande tant à cette dernière date qu'à chaque échéance annuelle à compter de celle-ci ;
Sur les frais d'expertise :
Considérant que c'est à tort que les frais de l'expertise ordonnée par le tribunal administratif de Besançon, liquidés et taxés par ordonnance du 22 mars 2004 du président de ce tribunal à la somme de 350 euros, ont été mis à la charge définitive de Mme A ; qu'il y a lieu de les mettre à la charge définitive de l'Etat ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros que demande Mme A devant le Conseil d'Etat et la cour administrative d'appel de Nancy au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 15 mars 2007 de la cour administrative d'appel de Nancy, en tant qu'il a rejeté les conclusions de Mme A tendant à l'engagement de la responsabilité de l'Etat sur le fondement de l'article L. 3111-9 du code de la santé publique, ainsi que l'article 4 du jugement du 18 mars 2006 du tribunal administratif de Besançon sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à Mme A la somme de 82 500 euros et celle de 6 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les intérêts au taux légal de la somme de 82 500 euros sont dus à compter du 6 octobre 2004. Les intérêts échus à la date du 15 mai 2007 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : Les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Saône présentées devant le tribunal administratif de Besançon sont rejetées.
Article 4 : Les frais de l'expertise ordonnée par le tribunal administratif de Besançon sont mis à la charge définitive de l'Etat.
Article 5 : L'article 3 du jugement du 18 mars 2006 du tribunal administratif de Besançon est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 6 : Le surplus des conclusions présentées par Mme A devant le Conseil d'Etat et la cour administrative d'appel de Nancy est rejeté.
Article 7 : La présente décision sera notifiée à Mme Bernadette A, à la ministre de la santé, de la jeunesse et des sports et de la vie associative, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Saône et au centre hospitalier intercommunal de la Haute-Saône.