Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 27 février et 21 juin 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL D'ORLEANS, dont le siège est B.P. 2439 à Orléans Cedex 1 (45032) ; le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL D'ORLEANS demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 14 novembre 2005 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes l'a condamné à verser à M. Pascal A la somme de 20 000 euros diminuée de la provision de 15 000 euros déjà versée, à la caisse nationale militaire de sécurité sociale une somme de 83 542,05 euros, à l'Etat une somme de 85 319,77 euros, et a mis à sa charge les frais d'expertise en première instance et en appel ;
2°) réglant l'affaire au fond, d'évaluer à 1/5ème au maximum la perte de chance résultant pour M. A d'un défaut d'information sur les risques que comportait l'intervention qu'il a subie au centre hospitalier le 8 janvier 1998 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu l'ordonnance n° 59-76 du 7 janvier 1959 ;
Vu la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Damien Botteghi, Maître des Requêtes,
- les observations de Me Le Prado, avocat du CENTRE HOSPITALIER D'ORLEANS et de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. A,
- les conclusions de M. Jean-Philippe Thiellay, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'il résulte des pièces du dossier soumis au juge du fond que, dans le but de rechercher l'origine des cervicalgies avec douleurs et paresthésie du membre supérieur gauche dont M. A souffrait depuis plusieurs mois, il lui a été prescrit de subir un examen par imagerie par résonnance magnétique nucléaire ; qu'une intervention chirurgicale a été pratiquée le 8 janvier 1998 au CENTRE HOSPITALIER REGIONAL D'ORLEANS afin d'extraire un corps métallique étranger potentiellement dangereux pour cet examen, logé dans l'orbite de son oeil droit ; qu'au lendemain de cette intervention pratiquée sous anesthésie générale, M. A a été victime d'un accident vasculaire cérébral entraînant une hémiplégie gauche ; que par un arrêt du 20 juin 2003 confirmé par une décision du Conseil d'Etat statuant au contentieux du 17 décembre 2004, la cour administrative d'appel de Nantes après avoir jugé que la faute commise par les praticiens du CENTRE HOSPITALIER REGIONAL D'ORLEANS en omettant informer M. A des risques que comportait pour lui cette intervention lui avait fait perdre une chance de se soustraire au risque qui s'est finalement réalisé, a condamné le centre hospitalier à lui verser une provision de 15 000 euros et a ordonné une expertise ; que le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL D'ORLEANS se pourvoit contre l'arrêt du 14 novembre 2005 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes l'a condamné à verser diverses indemnités à M. A, à l'Etat, employeur de la victime qui était adjudant et à la caisse nationale militaire de sécurité sociale ; que par la voie du pourvoi incident M. A demande l'annulation de l'arrêt en tant qu'il a limité le montant des indemnités qui lui ont été allouées ;
Sur l'arrêt attaqué en tant qu'il évalue à 50 % la perte de chance pour M. A de se soustraire au risque qui s'est réalisé :
Considérant que, après avoir précisément rappelé les faits, la cour administrative d'appel a jugé que, compte tenu du rapprochement entre, d'une part, les risques inhérents à l'intervention chirurgicale sous anesthésie, et, d'autre part, les risques courus en cas de renonciation à celle-ci, la fraction des différents chefs de préjudice subis résultant pour M. A de la perte de chance de se soustraire au risque devait être fixée à 50% ; qu'elle n'a ainsi ni insuffisamment motivé son arrêt, ni dénaturé les pièces du dossier ;
Sur l'arrêt attaqué en tant qu'il fixe et répartit les indemnités dues par le centre hospitalier :
Considérant que, si la cour administrative d'appel a recherché dans quelle mesure la fixation de la perte de chance à 50% avait une incidence sur les indemnités dues par le centre hospitalier à M. A et à la caisse nationale militaire de sécurité sociale, elle a omis de procéder à cette recherche en ce qui concerne l'indemnité due à l'Etat, employeur de la victime ; qu'elle a commis ainsi une erreur de droit ; que, dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi du CENTRE HOSPITALIER REGIONAL D'ORLEANS et du pourvoi incident de M. A, l'arrêt attaqué doit être annulé en tant qu'il fixe et répartit les indemnités dues à celui-ci, à la caisse de sécurité sociale à laquelle il est affilié et à son employeur ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au fond ;
Sur la fin de non-recevoir soulevée par le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL D'ORLEANS :
Considérant que M. A avait demandé devant les juges de première instance une provision et, dans l'attente de chiffrer définitivement les sommes dont il demande réparation, la réalisation d'une expertise ; qu'il est par suite recevable, à la suite de l'expertise, à chiffrer pour la première fois en appel ses prétentions ; que ses conclusions sont ainsi, contrairement à ce que soutient le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL D'ORLEANS, recevables ;
Sur le recours direct de l'Etat :
Considérant qu'aux termes de l'article 1er de l'ordonnance du 7 janvier 1959, l'Etat dispose de plein droit à l'encontre du tiers responsable du décès, de l'infirmité ou de la maladie de l'un de ses agents d'une action subrogatoire en remboursement de toutes les prestations versées ou maintenues à la victime ou à ses ayants droit à la suite du décès, de l'infirmité ou de la maladie et que l'article 2 de cette ordonnance ajoute que cette action subrogatoire est en principe exclusive de toute autre action de l'Etat contre le tiers responsable ; que, toutefois, par dérogation à ces dernières dispositions, l'article 32 de la loi du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation ouvre à l'Etat, en sa qualité d'employeur, une action directe contre le responsable des dommages ou son assureur afin de poursuivre le remboursement des charges patronales afférentes aux rémunérations maintenues ou versées à l'agent pendant la période d'indisponibilité de celui-ci ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que le ministre de la défense a exposé au titre des charges patronales une somme de 23 408, 46 euros ; que, le préjudice indemnisable étant constitué par la perte de chance, évaluée à 50 %, d'éviter la réalisation de l'ensemble des dommages résultant de l'intervention chirurgicale, le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL D'ORLEANS doit dès lors être condamné à indemniser cette fraction du préjudice subi, soit 11 704,23 euros ;
Sur les droits à réparation de M. A et les recours subrogatoires de l'Etat et de la caisse nationale militaire de sécurité sociale :
Considérant en premier lieu qu'aux termes de l'article 1er de l'ordonnance du 7 janvier 1959, l'Etat dispose de plein droit à l'encontre du tiers responsable du décès, de l'infirmité ou de la maladie de l'un de ses agents d'une action subrogatoire en remboursement de toutes les prestations versées ou maintenues à la victime ou à ses ayants droit à la suite du décès, de l'infirmité ou de la maladie ; que les dispositions de l'article 31 de la loi du 5 juillet 1985, relatif à l'exercice des recours des tiers payeurs contre les personnes tenues à la réparation d'un dommage, telles qu'elles ont été modifiées par le IV de l'article 25 de la loi du 21 décembre 2006, relative au financement de la sécurité sociale pour 2007, s'appliquent aux recours exercés par l'Etat sur le fondement de l'article 1er de l'ordonnance du 7 janvier 1959 ; qu'aux termes de ces dispositions : Les recours subrogatoires des tiers payeurs s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'elles ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel. / Conformément à l'article 1152 du code civil, la subrogation ne peut nuire à la victime subrogeante, créancière de l'indemnisation, lorsqu'elle n'a été indemnisée qu'en partie ; en ce cas, elle peut exercer ses droits contre le responsable, pour ce qui lui reste dû, par préférence au tiers payeur dont elle n'a reçu qu'une indemnisation partielle. Cependant, si le tiers payeur établit qu'il a effectivement et préalablement versé à la victime une prestation indemnisant de manière incontestable un poste de préjudice personnel, son recours peut s'exercer sur ce poste de préjudice ;
Considérant en second lieu qu'aux termes de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant du III de l'article 25 de la loi du 21 décembre 2006 : Lorsque, sans entrer dans les cas régis par les dispositions législatives applicables aux accidents du travail, la lésion dont l'assuré social ou son ayant droit est atteint est imputable à un tiers, l'assuré ou ses ayants droits conservent contre l'auteur de l'accident le droit de demander la réparation du préjudice causé, conformément aux règles du droit commun, dans la mesure où ce préjudice n'est pas réparé par application du présent livre. / Les caisses de sécurité sociale sont tenues de servir à l'assuré ou à ses ayants droits les prestations prévues par le présent livre, sauf recours de leur part contre l'auteur responsable de l'accident dans les conditions ci-après. / Les recours subrogatoires des caisses contre les tiers s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent les préjudices qu'elles ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel. / Conformément à l'article 1152 du code civil, la subrogation ne peut nuire à la victime subrogeante, créancière de l'indemnisation, lorsqu'elle n'a été prise en charge que partiellement par les prestations sociales ; en ce cas, l'assuré social peut exercer ses droits contre le responsable, par préférence à la caisse subrogée. / Cependant, si le tiers payeur établit qu'il a effectivement et préalablement versé à la victime une prestation indemnisant de manière incontestable un poste de préjudice personnel, son recours peut s'exercer sur ce poste de préjudice (...) ;
Considérant que l'Etat et la caisse nationale militaire de sécurité sociale exercent respectivement, sur les réparations dues au titre du préjudice subi par M. A, les recours subrogatoires prévus aux articles 31 de la loi du 5 juillet 1985 et L. 376-1 du code de la sécurité sociale ; qu'il y a lieu de statuer poste par poste sur ce préjudice et sur les droits respectifs de la victime, de l'Etat et de la caisse, en application des dispositions de ces articles telles qu'elles ont été modifiées par la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006, qui s'appliquent à la réparation des dommages résultant d'évènements antérieurs à la date d'entrée en vigueur de cette loi dès lors que, comme en l'espèce, le montant de l'indemnité due à la victime n'a pas été définitivement fixé avant cette date ;
Considérant que, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, le préjudice indemnisable est constitué par la perte de chance, évaluée à 50 %, d'éviter la réalisation de l'ensemble des dommages résultant de l'intervention chirurgicale ; que le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL D'ORLEANS doit dès lors être condamné à indemniser cette fraction des préjudices subis ;
En ce qui concerne les préjudices à caractère patrimonial de M. A :
Quant aux dépenses de santé :
Considérant que la caisse nationale militaire de sécurité sociale justifie avoir supporté des frais d'hospitalisation, médicaux, infirmiers et pharmaceutiques pour un montant de 87 084, 10 euros ; que, la perte de chance de subir ce préjudice étant fixée à 50 %, il y a lieu de lui allouer la somme de 43 542,05 euros ;
Quant aux pertes de revenus :
Considérant que le ministre de la défense justifie avoir versé pendant l'absence du service de M. A la somme, hors charges patronales, de 61 911,31 euros correspondant à une solde complète du 22 avril 1998 au 21 avril 1999 et à une demi-solde du 22 avril 1999 au 21 avril 2001 ; qu'il résulte de l'instruction que M. A a subi pendant la période où il n'a perçu qu'une demi-solde une perte de revenus correspondant à la différence entre la solde complète et la somme qu'il a effectivement perçue, soit une perte de 20 229,37 euros ; que la perte de revenus entraînée pour M. A par sa mise à la retraite prématurément le 22 avril 2001 doit être évaluée à 80 000 euros ; que, la perte de chance de subir le préjudice étant fixée à 50%, le préjudice indemnisable s'élève à la moitié du préjudice total, soit 81 070,34 euros ; que, cette somme devant être attribuée par préférence à la victime conformément aux dispositions de l'article 31 de la loi du 5 juillet 1985 et la somme de 100 229,37 euros restée à la charge de la victime étant supérieure à celle de 81 070,34 euros correspondant au préjudice indemnisable, il y a lieu d'attribuer l'intégralité de la somme de 81 070,34 euros à M. A et de ne rien allouer à l'Etat ;
En ce qui concerne les préjudices à caractère personnel :
Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expert désigné par la cour administrative d'appel, que les troubles dont M. A demeure atteint à la suite de l'accident vasculaire cérébral lié à l'intervention chirurgicale du 8 janvier 1998 consistent en une hémiplégie gauche importante spastique prédominant au membre supérieur avec une négligence visuo-spatiale de l'hémi-espace gauche, une hémianopsie latérale homonyme gauche, des crises d'épilepsie partielle et une autonomie réduite ; qu'il sera fait une juste appréciation de ses souffrances physiques et morales, de son préjudice esthétique et des troubles dans ses conditions d'existence en les évaluant à 120 000 euros ; que, la perte de chance de subir ces préjudices étant fixée à 50%, les préjudices indemnisables s'élèvent à 60 000 euros ; que cette somme doit être allouée à M. A ;
Sur le total des indemnités dues par le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL D'ORLEANS :
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la somme totale que le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL D'ORLEANS est condamné à verser à M. A par l'arrêt attaqué doit être fixée à 141 070,34 euros dont il convient de déduire la provision de 15 000 euros allouée par l'arrêt de la cour du 20 juin 2003, ce qui ramène cette somme à 126 070,34 euros ; que la somme qu'il est condamné à verser à la caisse nationale militaire doit être fixée à 43 542,05 euros ; que la somme totale qu'il est condamné à verser à l'Etat doit être fixée à 11 704,23 euros ;
Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :
Considérant que M. A a droit à ce que la somme qui lui est accordée porte intérêts à compter du 1er mars 1999, date de réception de sa demande préalable d'indemnité adressée au CENTRE HOSPITALIER REGIONAL D'ORLEANS ; qu'il a demandé la capitalisation des intérêts dans son mémoire enregistré au tribunal administratif le 21 juillet 2000 ; qu'il y a lieu de faire droit à cette demande à cette dernière date puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge du CENTRE HOSPITALIER REGIONAL D'ORLEANS la somme de 4 000 euros que demande M. A au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 14 novembre 2005 est annulé en tant qu'il fixe et répartit les indemnités dues par le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL D'ORLEANS.
Article 2 : Le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL D'ORLEANS est condamné à payer à M. A la somme de 126 070,34 euros avec intérêts au taux légal à compter du 1er mars 1999. Les intérêts échus le 21 juillet 2000 seront capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêts, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Article 3 : Le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL D'ORLEANS est condamné à payer à la caisse nationale militaire de sécurité sociale la somme de 43 542,05 euros.
Article 4 : Le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL D'ORLEANS est condamné à payer à l'Etat la somme de 11 704,23 euros.
Article 5 : Le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL D'ORLEANS versera à M. A au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative la somme de 4 000 euros.
Article 6 : Les surplus des conclusions du pourvoi du CENTRE HOSPITALIER REGIONAL D'ORLEANS, le surplus du pourvoi incident et de l'appel de M. A, et le surplus des appels incidents de l'Etat et de la caisse nationale militaire de sécurité sociale sont rejetés.
Article 7 : La présente décision sera notifiée au CENTRE HOSPITALIER REGIONAL D'ORLEANS, à M. Pascal A, à la caisse nationale militaire de sécurité sociale et au ministre de la défense.