Vu, enregistrée le 22 mai 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'ordonnance du 10 mai 2007 par laquelle le président du tribunal administratif de Paris a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête de M. Philippe A ;
Vu la requête, enregistrée le 3 février 2005 au greffe du tribunal administratif de Paris, par laquelle M. A, ingénieur principal de l'armement, demeurant ... demande, sur question préjudicielle posée par arrêt de la cour d'appel de Paris du 24 janvier 2005 :
1°) de déclarer que les dispositions des articles 4 des arrêtés du ministre de la défense du 31 janvier 1992 et du 19 juillet 1996 le plaçant en position de détachement sont entachées d'illégalité ;
2°) de mettre la somme de 2 500 euros à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la note en délibéré produite le 26 mars 2008 par la société Le Crédit Lyonnais ;
Vu la loi du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires ;
Vu le décret du 22 avril 1974 relatif aux positions statutaires des militaires de carrière ;
Vu le code du travail ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Hubert Legal, Conseiller d'Etat ;
- les observations de la SCP Vier, Barthélemy, Matuchansky, avocat de la société Le Crédit Lyonnais ;
- les conclusions de M. Nicolas Boulouis, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que M. A, ingénieur principal de l'armement, a été placé sur sa demande en position de service détaché pour occuper un emploi auprès de la société Le Crédit Lyonnais du 1er juillet 1991 au 31 juin 1996, puis du 1er juillet 1996 au 31 juin 2001, par deux arrêtés successifs du ministre de la défense, respectivement en date du 31 janvier 1992 et du 19 juillet 1996 ; que chacun de ces arrêtés comporte un article 4 ainsi libellé : « En aucun cas l'ingénieur [...] de l'armement A ne pourra, lorsqu'il sera mis fin à son détachement pour quelque cause que ce soit, bénéficier d'une indemnisation de fin de détachement telle que, notamment, indemnité de départ à la retraite, indemnité de licenciement, indemnité de congé non pris » ; que, par arrêt du 24 janvier 2005, la cour d'appel de Paris a sursis à statuer sur le litige opposant M. A à la société Le Crédit Lyonnais, en appel d'un jugement du 27 juin 2003 du conseil des prud'hommes de Paris rejetant les demandes indemnitaires présentées par M. A en relation avec la fin de ses fonctions dans cette société, jusqu'à décision définitive des juridictions administratives sur la légalité de l'article 4 des arrêtés portant détachement de M. A auprès de la société le Crédit Lyonnais ; que M. A a saisi le tribunal administratif de Paris, qui a transmis au Conseil d'Etat, juridiction compétente pour en connaître, la question préjudicielle de la légalité des dispositions visées par l'arrêt de la juridiction judiciaire ;
Sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête ;
Considérant qu'aux termes de l'article 56 de la loi du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires alors en vigueur: « Le militaire en service détaché est soumis à l'ensemble des règles régissant la fonction qu'il exerce par l'effet de son détachement » ; qu'aux termes de l'article 13 du décret du 22 avril 1974 relatif aux positions statutaires des militaires de carrière : « Les arrêtés [de mise en position de service détaché] précisent la nature, la durée et le lieu d'exercice des fonctions » ; qu'il résulte de ces dispositions qu'il n'appartenait pas au ministre de la défense, lorsqu'il accordait au militaire un détachement sur un emploi régi par le droit privé, d'y mettre des conditions ayant pour effet d'exclure l'application de certaines des règles, législatives, réglementaires ou conventionnelles, qui constituent le droit du travail régissant l'emploi de détachement ; que la circonstance que la loi du 24 mars 2005 portant statut général des militaires ait, par la suite, exclu que le militaire en fin de détachement puisse bénéficier de certaines indemnités est à cet égard inopérante, comme l'est la circonstance que la réintégration dans son corps de M. A à la fin de son détachement pourrait ne pas être regardée comme un licenciement pour l'application du droit du travail ;
Considérant dès lors qu'en excluant qu'à l'occasion de la fin de son détachement le militaire concerné puisse bénéficier d'une indemnisation quelconque de la part de son employeur de droit privé, le ministre de la défense a méconnu la compétence qu'il tient des dispositions précitées du statut général des militaires, dans sa version applicable à l'espèce ;
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros que M. A demande au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que ces mêmes dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. A, qui n'a pas dans la présente instance la qualité de partie perdante, la somme que demande la société Le Crédit Lyonnais au titre de frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : Les dispositions des articles 4 des arrêtés du ministre de la défense du 31 janvier 1992 et du 19 juillet 1996, plaçant l'ingénieur principal de l'armement A en position de détachement pour occuper un emploi auprès de la société Le Crédit Lyonnais, sont entachées d'illégalité.
Article 2 : L'Etat versera à M. A une somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions de la société Le Crédit Lyonnais tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Philippe A, au ministre de la défense et à la société Le Crédit Lyonnais.