Vu, 1°) sous le n° 290259, le recours, enregistré le 15 février 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, du MINISTRE DE L'ECOLOGIE ET DU DEVELOPPEMENT DURABLE ; le MINISTRE DE L'ECOLOGIE ET DU DEVELOPPEMENT DURABLE demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 30 décembre 2005 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a, sur la requête de l'Etablissement public Loire, annulé le jugement du tribunal administratif d'Orléans du 25 novembre 2003 et condamné l'Etat à verser à l'Etablissement public Loire la somme de 6 911 116,46 euros avec intérêts à compter du 31 décembre 1999 en indemnisation du préjudice subi du fait de l'abandon de la réalisation d'un barrage sur le Cher, à Chambonchard (Creuse) ;
Vu, 2°) sous le n° 290260, le recours enregistré le 15 février 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, du MINISTRE DE L'ECOLOGIE ET DU DEVELOPPEMENT DURABLE ; le MINISTRE DE L'ECOLOGIE ET DU DEVELOPPEMENT DURABLE demande au Conseil d'Etat d'ordonner qu'il soit sursis à exécution de l'arrêt du 30 décembre 2005 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a, sur la requête de l'Etablissement public Loire , annulé le jugement du tribunal administratif d'Orléans du 25 novembre 2003 et condamné l'Etat à verser à l'Etablissement public Loire la somme de 6 911 116,46 euros avec intérêts à compter du 31 décembre 1999 en indemnisation du préjudice subi du fait de l'abandon de la réalisation d'un barrage à Chambonchard ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 82-653 du 29 juillet 1982 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jacky Richard, Conseiller d'Etat,
- les observations de la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de l'établissement public Loire,
- les conclusions de M. Didier Casas, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que les recours n° 290259 et 290260 du MINISTRE DE L'ECOLOGIE ET DU DEVELOPPEMENT DURABLE se rapportent à la même affaire ; qu'il convient de les joindre pour statuer par la même décision ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumises au juge du fond que le 13 février 1986, l'Etat, l'agence financière de bassin Loire-Bretagne et l'établissement public d'aménagement de la Loire et de ses affluents (EPALA), ont conclu un protocole d'accord pour la réalisation du programme de l'aménagement hydraulique de la Loire et de ses affluents destiné à la protection contre les inondations, au soutien des étiages et à la qualité des eaux du bassin fluvial ; que ce programme prévoyait la construction d'un ensemble d'ouvrages, dont cinq barrages, pour un montant de 2 330 millions de francs ; que les dépenses afférentes à la réalisation du programme étaient assurées à raison de 50% à la charge de l'EPALA et 50% à répartir entre l'Etat et l'agence financière du bassin ; que, pour prendre en compte les évolutions apportées dans la réalisation du programme, le protocole d'accord initial a été suivi de la signature, entre les mêmes participants, d'une charte d'exécution du plan « Loire grandeur nature », le 6 juillet 1994 et d'une convention-cadre le 21 décembre 2000 ;
Considérant qu'à la suite du comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire du 23 juillet 1999, l'Etat a décidé de ne pas apporter son concours financier à la construction du barrage de Chambonchard ; que par décision du 25 novembre 1999 l'agence de l'eau Loire-Bretagne a renoncé au financement du même aménagement ; que l'établissement public, dénommé aujourd'hui Etablissement public Loire, a demandé la réparation du préjudice subi par lui du fait de l'abandon de la réalisation de cet ouvrage ; que par arrêt du 30 décembre 2005 la cour administrative d'appel de Nantes a mis l'agence de l'eau Loire-Bretagne hors de cause et a condamné l'Etat à verser à l'établissement public Loire, en réparation de son préjudice, la somme de 6 911 116,46 euros avec intérêts à compter du 31 décembre 1999 ; que le ministre de l'écologie et du développement durable se pourvoit en cassation contre cet arrêt ;
Sur l'arrêt en tant qu'il se prononce sur la responsabilité de l'Etat :
Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la loi du 29 juillet 1982 portant réforme de la planification « L'Etat peut conclure avec les collectivités territoriales, les régions, les entreprises publiques ou privées et éventuellement d'autres personnes morales, des contrats de plan comportant des engagements réciproques des parties en vue de l'exécution du plan et de ses programmes prioritaires./ Ces contrats portent sur les actions qui contribuent à la réalisation d'objectifs compatibles avec ceux du plan de la nation. Ils définissent les conditions dans lesquelles l'Etat participe à ces actions./ Le contrat de plan conclu entre l'Etat et la région définit les actions que l'Etat et la région s'engagent à mener conjointement par voie contractuelle pendant la durée du plan. Il précise les conditions de conclusion ultérieure de ces contrats./ Des contrats particuliers fixent les moyens de mise en oeuvre des actions définies dans le contrat de plan. Le représentant de l'Etat dans la région est chargé de préparer pour le compte du Gouvernement le contrat de plan et les contrats particuliers entre l'Etat et les régions. ... » ;
Considérant que la cour administrative d'appel de Nantes a souverainement apprécié, sans dénaturer les pièces du dossier, d'une part la nature contractuelle du protocole d'accord du 13 février 1986 précité et de la charte du 6 juillet 1994 qui l'a complété, et, d'autre part, que ces engagements ont été fixés par un contrat de plan impliquant toutes les régions traversées par la Loire, conclu dans le cadre du IXème Plan, afin de permettre la réalisation des actions qu'il avait prévues ; que la cour n'a pas commis d'erreur de droit ni en qualifiant le protocole d'accord et la charte ultérieure, de contrats particuliers, au sens des dispositions précitées de l'article 11 de la loi du 29 juillet 1982 portant réforme de la planification, lesquels peuvent être conclus avec plusieurs régions, ni en jugeant que l'EPALA pouvait, par voie de conséquence, rechercher la responsabilité contractuelle de l'Etat pour manquement à ses obligations découlant de ces contrats particuliers ;
Considérant que le moyen tiré par le requérant de l'absence de faute de l'Etat à avoir résilié le contrat est inopérant, la cour administrative d'appel ne s'étant pas fondée sur ce moyen pour faire droit à l'appel de l'EPALA ;
Sur l'arrêt en tant qu'il se prononce sur le montant du préjudice subi :
Considérant qu'après avoir regardé comme établie la réalité du préjudice subi par l'établissement public Loire, la cour administrative d'appel de Nantes, pour en chiffrer le montant, s'est fondée en particulier sur les observations présentées par la chambre régionale des comptes, dont la cour a repris le total des dépenses consacrés par l'établissement à l'opération abandonnée ; qu'elle a jugé que l'évaluation des charges qu'il convenait de déduire reposait sur un bilan financier complet, élaboré avec les services déconcentrés du ministère de l'équipement et arrêté par la chambre régionale des comptes et qu'ainsi la totalité des prétentions de l'établissement public devait être retenue ; qu'en procédant ainsi, sans rechercher, dans l'évaluation comptable de l'ensemble de l'opération, à distinguer dans les dépenses celles, non récupérables, consacrées à la mise en service de l'ouvrage futur, et les dépenses ayant servi au seul fonctionnement de l'établissement ou à accroître son patrimoine ou celles n'étant pas restées à sa charge, la cour a commis une erreur de droit ; que, dès lors, le MINISTRE DE L'ECOLOGIE ET DU DEVELOPPEMENT DURABLE est fondé à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes en tant qu'il a déterminé le montant du préjudice subi par l'établissement public Loire ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie ; que dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond dans les limites de l'annulation ci-dessus prononcée ;
Sur le montant du préjudice :
Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment des observations définitives de la chambre régionale des comptes de la région Centre, que les dépenses entraînées pour l'établissement public Loire par le projet de construction du barrage de Chambonchard s'établissent à un montant de 92,6 millions de francs ; que ce montant doit être réparti entre trois postes distincts, dont l'établissement demande à être indemnisé ;
Considérant, d'une part, que les dépenses de frais d'études et de maîtrise d'oeuvre consenties par l'établissement public doivent être retenues pour un montant de 50,2 millions de francs, auxquels il convient d'ajouter 4,5 millions de francs au titre du coût des travaux préparatoires de construction ; que le ministre, dans son pourvoi, pas plus que dans ses écritures d'appel, n'apporte d'élément de nature à établir qu'une part de ces études et travaux peuvent avoir un caractère d'utilité pour l'établissement public, dont la mission d'aménagement du bassin du fleuve s'est poursuivie postérieurement à l'abandon du projet de barrage en cause, notamment en application de la « convention-cadre pour la mise en oeuvre du programme interrégional Loire grandeur nature 2000-2006 », signée le 21 décembre 2000 ; que, dans ces conditions, l'intégralité des dépenses mentionnées à ce titre, soit 54,7 millions de francs doit être incluse dans l'évaluation du préjudice ;
Considérant, d'autre part, que l'établissement public et la chambre régionale des comptes font état de divers frais d'administration et de gestion liés à l'opération de construction de l'ouvrage, d'un montant de 2,3 millions de francs ; que, eu égard à la poursuite du projet d'aménagement de la Loire et à l'intérêt que ces dépenses peuvent avoir pour l'établissement, il sera fait une juste appréciation du préjudice réellement supporté en retenant un montant égal à la moitié des sommes demandées à ce titre, soit 1,15 million de francs ;
Considérant enfin, toutefois, que les dépenses engagées par l'établissement public Loire, pour un montant de 31,8 millions de francs, au titre de l'acquisition des biens fonciers nécessaires à l'ouvrage, ne sauraient être retenues au titre du préjudice subi par cet établissement, dès lors que ces propriétés ont été incorporées à son patrimoine et qu'il n'est pas contesté qu'il en a la libre disposition ; qu'il en va de même de la somme de 4,1 millions de francs au titre de « mesures d'accompagnement » dont il n'est pas établi qu'elle soit restée à la charge de l'EPALA ;
Considérant que, des sommes ainsi retenues, soit 55,85 millions de francs, doivent être déduits d'une part le montant des subventions versées à l'établissement, soit 40 181 321,96 francs, et les recettes provenant du fonds de compensation de la taxe à la valeur ajoutée (FCTVA) pour un montant de 6 313 123 francs ; que le solde indemnisable demeuré à la charge de l'établissement public s'élève en conséquence à 9 355 555,04 francs, soit 1 426 245,21 euros ; que l'Etat doit être condamné au versement de cette somme en réparation du préjudice subi ;
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
Considérant que, conformément à ses conclusions, l'établissement public Loire a droit aux intérêts de la somme de 1 426 245,21 euros à compter du 31 décembre 1999, le Premier ministre ayant reçu la demande d'indemnisation le 9 décembre 1999 ; que la capitalisation des intérêts ayant été demandée le 19 juillet 2001, l'EPALA a droit à cette capitalisation à la date du 31 décembre 2000 à laquelle il était due une année d'intérêts ainsi qu'à chaque échéance annuelle ; que l'établissement public étant en mesure de recourir au mandatement d'office, il n'y a pas lieu de faire application, comme il le demande, de la majoration de l'intérêt légal ;
Sur les conclusions tendant à enjoindre à l'Etat d'exécuter la présente décision sous astreinte de 8 000 euros par jour de retard :
Considérant que l'EPALA, en cas d'inexécution de la présente décision, pouvant obtenir le mandatement d'office de la somme dont elle fixe le montant, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de l'établissement public sur ce point ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'Etat, une somme de 4 000 euros au titre des frais exposés par l'établissement public Loire et non compris dans les dépens ;
Sur le recours n° 290260 du MINISTRE DE L'ECOLOGIE ET DU DEVELOPPEMENT DURABLE tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de l'arrêt du 30 décembre 2005 de la cour administrative d'appel de Nantes susvisé :
Considérant que, compte tenu du rejet du recours du MINISTRE DE L'ECOLOGIE ET DU DEVELOPPEMENT DURABLE dirigée contre l'arrêt du 20 décembre 2005 de la cour administrative d'appel de Nantes, les conclusions du recours tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de cet arrêt sont devenues sans objet ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 30 décembre 2005 est annulé en tant qu'il a déterminé le montant du préjudice subi par l'établissement public Loire.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à l'Etablissement public Loire la somme de 1 426 245,21 euros qui portera intérêt au taux légal à compter du 31 décembre 1999. Les intérêts seront capitalisés à compter du 31 décembre 2000 et à chaque échéance annuelle ultérieure.
Article 3 : L'Etat versera à l'établissement public Loire une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions du recours enregistré sous le n° 290 259 du MINISTRE DE L'ECOLOGIE ET DU DEVELOPPEMENT DURABLE et les conclusions d'appel de l'établissement public Loire relatives à l'évaluation du préjudice et tendant à l'application des articles L. 911-1, 2 et L 911-3 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 5 : Il n'y a pas lieu à statuer sur le recours n° 290260 du MINISTRE DE L'ECOLOGIE ET DU DEVELOPPEMENT DURABLE.
Article 6 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE D'ETAT, MINISTRE DE L'ECOLOGIE, DU DEVELOPPEMENT ET DE L'AMENAGEMENT DURABLES et à l'établissement public Loire et à l'agence de l'eau Loire-Bretagne.