Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 24 octobre 2006 et 24 janvier 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Muhammed A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 17 février 2006 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 20 octobre 2005 ordonnant sa reconduite à la frontière et de la décision du même jour fixant la Turquie comme pays de destination de la reconduite et, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint au préfet des Côtes-d'Armor de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et de travail dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de la décision à intervenir ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mlle Anne Courrèges, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Thouin-Palat, avocat de M. A,
- les conclusions de M. Christophe Devys, Commissaire du gouvernement ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :
Considérant qu'aux termes de l'article R. 611-7 du code de justice administrative : « (...) Lorsque la décision lui paraît susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office, le président de la formation de jugement ou, au Conseil d'Etat, la sous-section chargée de l'instruction en informe les parties avant la séance de jugement et fixe le délai dans lequel elles peuvent, sans qu'y fasse obstacle la clôture éventuelle de l'instruction, présenter leurs observations sur le moyen communiqué » ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que le préfet des Côtes-d'Armor n'a pas opposé devant la cour administrative d'appel de Nantes d'irrecevabilité à un moyen présenté pour la première fois en appel par M. A et tiré du défaut de motivation de l'arrêté de reconduite à la frontière le concernant ; que le juge d'appel, en écartant d'office ce moyen comme irrecevable sans en avertir les parties, a méconnu les dispositions précitées du code de justice administrative ; que l'arrêt du 17 février 2006 rendu par la cour administrative d'appel de Nantes étant entaché d'irrégularité, il doit, par suite, être annulé ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au fond ;
Sur la légalité de la mesure de reconduite à la frontière :
Considérant, en premier lieu, que le moyen tiré de ce que cette mesure de reconduite serait insuffisamment motivée est nouveau en appel et fondé sur une cause juridique distincte de celle des moyens soulevés en première instance ; qu'il n'est, dès lors, pas recevable ;
Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : « L'étranger admis à séjourner en France bénéficie du droit de s'y maintenir jusqu'à la notification de la décision de l'office français de protection des réfugiés et apatrides ou, si un recours a été formé, jusqu'à la notification de la décision de la commission des recours. Il dispose d'un délai d'un mois à compter de la notification du refus de renouvellement ou du retrait de son autorisation de séjour pour quitter volontairement le territoire français » ; que l'article L. 742-7 de ce code précise que le refus de l'étranger de quitter le territoire français l'expose à une mesure d'éloignement prévue au titre Ier du livre V du même code ; qu'enfin, en vertu du 6° du II de l'article L. 511-1 alors en vigueur, un étranger peut être reconduit à la frontière si l'autorisation provisoire de séjour qui lui avait été délivrée lui a été retirée ou n'a pas été renouvelée ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la notification du délai d'un mois dont disposait M. A pour quitter le territoire français, prévue par les dispositions précitées de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a été reçue par l'intéressée le 25 juin 2005 ; que ce dernier n'ayant pas quitté le territoire dans le délai fixé, le préfet pouvait légalement prendre, le 20 octobre 2005, la mesure de reconduite litigieuse ; que, par suite, comme l'a jugé à bon droit le tribunal administratif de Rennes, le moyen tiré de ce qu'il appartiendrait au préfet de démontrer le maintien de M. A sur le territoire ne peut qu'être écarté ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 20 octobre 2005 du préfet des Côtes-d'Armor en tant qu'il ordonne sa reconduite à la frontière ;
Sur la décision fixant le pays de destination de la reconduite :
Considérant que, par une décision du même jour, le préfet des Côtes-d'Armor a décidé que M. A serait reconduit à destination de la Turquie ou de tout autre pays dans lequel il établit être légalement admissible ; qu'il ressort des pièces produites devant le Conseil d'Etat par M. A que celui-ci, qui appartient à la minorité kurde de religion alévite, a fait l'objet de violences en tant que militant de la cause kurde et du M.L.K.P. ; que la réalité de risques personnels graves auxquels l'intéressé serait exposé en cas de retour dans son pays d'origine est suffisamment établie par les éléments produits devant le juge administratif ; que, dans ces conditions, la décision fixant la Turquie comme pays de destination de la reconduite à la frontière de M. A doit être regardée comme méconnaissant les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens invoqués à l'encontre de cette décision, M. A est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 20 octobre 2005 du préfet des Côtes-d'Armor désignant la Turquie comme pays de destination de la reconduite ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
Considérant que la présente décision, qui n'annule pas la mesure de reconduite elle-même, n'implique pas nécessairement la délivrance à M. A d'une autorisation provisoire de séjour et de travail ; que, par suite, ses conclusions à fin d'injonction ne peuvent être accueillies ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. A d'une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes en date du 17 février 2006 est annulé.
Article 2 : La décision du 20 octobre 2005 du préfet des Côtes-d'Armor désignant la Turquie comme pays à destination duquel M. A peut être reconduit est annulée.
Article 3 : Le jugement du magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Rennes en date du 31 octobre 2005 est annulé en tant qu'il rejette la demande de M. A tendant à l'annulation de la décision du 20 octobre 2005 du préfet des Côtes-d'Armor désignant la Turquie comme pays à destination duquel il peut être reconduit.
Article 4 : L'Etat versera à M. A la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. Muhammed A et au ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du codéveloppement.