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28/02/2007 | FRANCE | N°284566

France | France, Conseil d'État, 9ème et 10ème sous-sections réunies, 28 février 2007, 284566


Vu le recours et le mémoire complémentaire, enregistrés les 29 août 2005 et 30 mars 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE ; le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 23 juin 2005 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a accordé à Mme Renée A la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et pénalités auxquelles elle était restée assujettie au titre de chacune des années 1978 à 1982 ;

Vu les

autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts et le livre de...

Vu le recours et le mémoire complémentaire, enregistrés les 29 août 2005 et 30 mars 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE ; le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 23 juin 2005 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a accordé à Mme Renée A la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et pénalités auxquelles elle était restée assujettie au titre de chacune des années 1978 à 1982 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Daniel Fabre, Conseiller d'Etat,

- les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de Mme A,

- les conclusions de M. Laurent Vallée, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis à la cour administrative d'appel de Lyon que M. Marius B, son ancienne épouse Mme Renée A et leur fille, Mme Michèle B, ont, en juillet 1981, cédé à la société civile particulière P.L.C., constituée entre eux en 1977 et ayant pour objet l'acquisition et la gestion de valeurs mobilières et de biens immobiliers, la quasi-totalité des actions de la S.A. Peco dont chacun d'eux restait détenteur après avoir fait apport d'une partie de celles dont il disposait alors à la même société civile particulière à la date de sa création ; que l'actif de la S.A. Peco, constituée en 1960 et qui exerçait une activité industrielle de transformation de matières plastiques, étant à titre prépondérant composé de biens immobiliers non affectés à cette exploitation, les gains nets réalisés à l'occasion des susdites cessions d'actions sont entrés dans les prévisions de l'article 150 A bis du code général des impôts, en vertu duquel, relevant exclusivement du régime d'imposition des plus-values de cessions de biens immeubles, ils se trouvaient, eu égard à la durée de détention des titres et par application des dispositions alors en vigueur de l'article 150 M du même code, exonérés de l'impôt sur le revenu ; que, toutefois, les actions ainsi cédées ayant, en exécution d'un accord conclu le 13 novembre 1981 entre la S.A. Peco et la société civile particulière P.L.C., devenue son principal actionnaire, et qu'une assemblée générale extraordinaire de la société anonyme a approuvé le 31 décembre 1981, été rachetées par celle-ci, pour leur majeure partie, moyennant l'attribution d'immeubles et de droits immobiliers, issus de son actif, à la société civile particulière, l'administration a estimé que M. Marius B, Mme Renée A et Mme Michèle B n'avaient, préalablement à l'opération de cette réduction du capital de la S.A. Peco, cédé leurs titres à la société civile particulière P.L.C. qu'en vue d'échapper à l'imposition qu'en application des dispositions de l'article 161 du code général des impôts chacun d'eux eût dû supporter à raison du boni recueilli d'un rachat direct de ses actions par la S.A. Peco ; que, regardant lesdites cessions comme, de ce fait, constitutives d'un abus de droit, et se prévalant des dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, l'administration a, par voie de redressement, rapporté aux bases de l'impôt sur le revenu dû par chacun des intéressés au titre de l'année 1982, au cours de laquelle était, selon elle, intervenu le rachat des actions par la S.A. Peco, le montant d'un boni déterminé suivant les modalités fixées par l'article 161 du code général des impôts ; que Mme Renée A a, principalement en conséquence de ce chef de redressement, et après avoir obtenu le bénéfice de l'étalement des revenus exceptionnels prévu par l'article 163 du code général des impôts, été assujettie à des suppléments d'impôt sur le revenu, assortis de pénalités, au titre de chacune des années 1978 à 1982 ; que, par l'arrêt contre lequel le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE se pourvoit, la cour administrative d'appel lui en a accordé la décharge, au motif que les dispositions de l'article 150 A bis du code général des impôts faisaient, en tout état de cause, obstacle à ce que le revenu litigieux fût imposé par application des dispositions de l'article 161 dudit code ;

Considérant qu'aux termes de l'article 161 du code général des impôts applicable en l'espèce : Le boni attribué lors de la liquidation d'une société aux titulaires de droits sociaux en sus de leur apport n'est compris, le cas échéant, dans les bases de l'impôt sur le revenu que jusqu'à concurrence de l'excédent du remboursement des droits sociaux annulés sur le prix d'acquisition de ces droits dans le cas où ce dernier est supérieur au montant de l'apport. La même règle est applicable dans le cas où la société rachète au cours de son existence les droits de certains associés, actionnaires ou porteurs de parts bénéficiaires ; qu'il résulte de ces dispositions que, lorsqu'une société rachète, au cours de son existence, à certains de ses associés ou actionnaires personnes physiques les droits sociaux qu'ils détiennent, l'excédent éventuel du remboursement des droits sociaux annulés sur le prix d'acquisition de ceux-ci, dans la mesure où ce prix d'acquisition est supérieur au montant de l'apport remboursable en franchise d'impôt, constitue, sauf dans les hypothèses particulières où le législateur en aurait disposé autrement, non un gain net en capital relevant du régime d'imposition des plus-values de cession, mais un boni de cession qui a la même nature qu'un boni de liquidation, imposable à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers ;

Considérant qu'en se fondant, pour statuer ainsi qu'il a été dit plus haut, sur ce que les dispositions de l'article 150 A bis du code général des impôts, en vertu desquelles les gains nets retirés de cessions de droits sociaux de sociétés non cotées dont l'actif est principalement constitué d'immeubles ou de droits immobiliers non affectés à leur exploitation industrielle, commerciale, agricole ou à l'exercice d'une profession non commerciale relèvent exclusivement du régime d'imposition des plus-values de cession d'immeubles, seraient, notamment, applicables aux bonis de cession attribués par de telles sociétés à l'occasion d'un rachat des droits de certains de leurs associés au cours de leur existence, alors que ces dispositions visent uniquement les gains nets en capital retirés par un associé qui cède ses droits sociaux à un tiers, et n'ont pas pour objet d'apporter une exception à l'application des dispositions susanalysées de l'article 161 du code général des impôts relatives à l'imposition des bonis perçus par un associé de la société elle-même, lors de sa liquidation ou d'un rachat par elle, au cours de son existence, de droits sociaux que détenait cet associé, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit ; que, dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi, le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE est fondé à demander que l'arrêt attaqué soit annulé ;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, par application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au fond ;

Sur l'étendue du litige :

Considérant que, par décision du 7 octobre 1999, postérieure à l'introduction de la requête d'appel de Mme A, le directeur des services fiscaux de l'Ain a prononcé d'office un dégrèvement de 18 447 F (2 812,23 euros), en réduction des majorations appliquées aux droits établis au titre de chacune des années 1979, 1980 et 1981 ; que les conclusions de la requête de Mme A sont, dans cette mesure, devenues sans objet, et qu'il n'y a lieu d'y statuer ;

Sur le surplus des conclusions de la requête de Mme A :

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés au soutien de ces conclusions :

Considérant qu'ainsi qu'il a été dit plus haut, l'administration, pour établir les impositions litigieuses sur le fondement des dispositions de l'article 161 précité du code général des impôts, s'est prévalue de celles de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ; qu'aux termes dudit article, dans sa rédaction alors en vigueur : Ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses... qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus... L'administration est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse. Si elle s'est abstenue de prendre l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit..., il lui appartient d'apporter la preuve du bien-fondé du redressement ; qu'il résulte de ces dispositions que, lorsque l'administration use de la faculté qu'elles lui confèrent dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors qu'elle établit que ces actes ont un caractère fictif, ou, que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles ;

Considérant qu'il est constant que la société civile particulière P.L.C., à laquelle ont été cédées, en juillet 1981, les actions de la S.A. Peco dont l'administration entend écarter le transfert comme ne lui étant pas opposable, avait été constituée dès 1977 entre M. Marius B, Mme Renée A et Mme Michèle B, et qu'il entrait dans son objet statutaire comme dans ses activités réelles de détenir et gérer des valeurs mobilières et des biens ou droits immobiliers tels que ceux qui lui ont ultérieurement été attribués par la S.A. Peco en contrepartie de l'annulation d'une partie des susdites actions ; que, dans ces conditions, l'administration n'apporte pas la preuve, qui lui incombe, dès lors qu'elle s'est abstenue de prendre l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit, que la cession par Mme A des actions de la S.A. Peco à la société civile particulière P.L.C. avant qu'elles ne soient rachetées par leur émetteur présentait un caractère artificiel et ne pouvait ainsi être motivée que par la volonté d'éluder l'impôt ;

Considérant qu'il suit de là que Mme A est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement dont elle fait appel, le tribunal administratif de Lyon ne lui a pas accordé la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles elle a été assujettie au titre de chacune des années 1978 à 1981, la réduction à 1 630 F (248,49 euros) de droits non contestés de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle elle est restée assujettie au titre de l'année 1982, et la décharge des pénalités maintenues en complément de chacune de ces impositions ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, par application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat, en remboursement des frais exposés par Mme A tant en appel que devant le Conseil d'Etat et non compris dans les dépens, la somme de 4 400 euros ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 23 juin 2005 est annulé.

Article 2 : Il n'y a lieu de statuer sur les conclusions de la requête présentée par Mme A à la cour administrative d'appel de Lyon à concurrence des pénalités dont le dégrèvement a été prononcé d'office par le directeur des services fiscaux de l'Ain le 7 octobre 1999, et s'élevant à 18 447 F (2 812,23 euros).

Article 3 : Il est accordé à Mme A la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles elle est restée assujettie au titre de chacune des années 1978 à 1981, la réduction à 1 630 F (248,49 euros) de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle elle est restée assujettie au titre de l'année 1982, et la décharge des pénalités maintenues en complément de chacune de ces impositions.

Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Lyon du 15 décembre 1998 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 3 ci-dessus.

Article 5 : L'Etat versera à Mme A, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 4 400 euros.

Article 6 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE et à Mme Renée A.


Synthèse
Formation : 9ème et 10ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 284566
Date de la décision : 28/02/2007
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 28 fév. 2007, n° 284566
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Delarue
Rapporteur ?: M. Daniel Fabre
Rapporteur public ?: M. Vallée
Avocat(s) : SCP CELICE, BLANCPAIN, SOLTNER

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2007:284566.20070228
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