Vu la requête, enregistrée le 18 octobre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. I...F..., M. G...E..., Mme H...L..., Mme D...C..., Mme J...B..., M. A... K...demeurant de la compétence de l'Etat, énumérées par l'article 14 de la loi organique et s'il relève, par suite, de la compétence de la Polynésie française, la recherche et le constat des infractions au droit du travail demeure de la compétence de l'Etat en application des dispositions des articles 14 et 31 de la loi organique; M. I... F...et autres demandent au Conseil d'Etat :
1°) de déclarer la " loi du pays " n° 2006-9 LP/APF du 6 octobre 2006 relative aux contrôles en matière de travail clandestin non conforme au bloc de légalité tel qu'il est défini au III de l'article 176 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française ;
2°) de déclarer que cette " loi du pays " ne peut être promulguée ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution, notamment ses articles 73 et 74 ;
Vu la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Fabienne Lambolez, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP de Chaisemartin, Courjon, avocat du président de la Polynésie française,
- les conclusions de Mme Marie-Hélène Mitjavile, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'aux termes de l'article 176 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française : " I. - A l'expiration de la période de huit jours suivant l'adoption d'un acte prévu à l'article 140 dénommé " loi du pays " ..., le haut-commissaire, le président de la Polynésie française, le président de l'assemblée de la Polynésie française ou six représentants à l'assemblée de la Polynésie française peuvent déférer cet acte au Conseil d'Etat./ Ils disposent à cet effet d'un délai de quinze jours. (...)/ ..." ; qu'il est spécifié au premier alinéa du III du même article 176 que " Le Conseil d'Etat se prononce sur la conformité des actes prévus à l'article 140 dénommés " lois du pays " au regard de la Constitution, des lois organiques, des engagements internationaux et des principes généraux du droit. ..." ; que l'article 177 dispose que " Le Conseil d'Etat se prononce dans les trois mois de sa saisine ; (...)/Si le Conseil d'Etat constate qu'un acte prévu à l'article 140 dénommé " loi du pays " contient une disposition contraire à la Constitution, aux lois organiques, ou aux engagements internationaux ou aux principes généraux du droit, et inséparable de l'ensemble de l'acte, celle-ci ne peut être promulguée " ;
Considérant que M. F...et cinq autres représentants à l'assemblée de la Polynésie française défèrent au Conseil d'Etat la " loi du pays " n° 2006-9 LP/APF du 6 octobre 2006 relative aux contrôles en matière de travail clandestin, adoptée au titre de la participation de la Polynésie française à l'exercice des compétences de l'Etat ;
Considérant qu'aux termes de l'article 14 de la loi organique du 27 février 2004 : "Les autorités de l'Etat sont compétentes dans les seules matières suivantes :...2° garanties des libertés publiques...droit pénal, procédure pénale... " ; qu'aux termes de l'article 31 de la même loi organique : " Les institutions de la Polynésie française sont habilitées, dans le respect des garanties accordées sur l'ensemble du territoire national pour l'exercice des libertés publiques, sous le contrôle de l'Etat, à participer à l'exercice des compétences qu'il conserve dans le domaine législatif et réglementaire en application de l'article 14 :/ ... 2° Recherche et constatation des infractions ; ... " ; qu'aux termes du I de l'article 32 : " Les actes prévus à l'article 140 dénommés "lois du pays" intervenant dans le champ d'application de l'article 31 sont adoptés dans les conditions suivantes, sans préjudice des dispositions de la section 5 du chapitre II du titre IV et du chapitre II du titre VI./ Le projet ou la proposition d'acte prévu à l'article 140 dénommé "loi du pays" est transmis par le président de la Polynésie française ou par le président de l'assemblée de la Polynésie française au ministre chargé de l'outre-mer qui en accuse réception sans délai ; à compter de cette réception, ce ministre et, le cas échéant, les autres ministres intéressés proposent au Premier ministre, dans le délai de deux mois, un projet de décret tendant soit à l'approbation totale ou partielle du texte, soit au refus d'approbation. /Le décret qui porte refus d'approbation est motivé ; il est notifié, selon le cas, au président de la Polynésie française ou à l'assemblée de la Polynésie française. /Le décret portant approbation est transmis, selon le cas, au président de la Polynésie française ou à l'assemblée de la Polynésie française. Le projet ou la proposition d'acte ne peut être adopté par l'assemblée de la Polynésie française que dans les mêmes termes. /Les décrets mentionnés au deuxième alinéa du présent I deviennent caducs s'ils n'ont pas été ratifiés par la loi /..." ; qu'enfin l'article 35 dispose : " Les actes prévus à l'article 140 dénommés "lois du pays" peuvent comporter, dans les mêmes limites et conditions que celles fixées par la loi, des dispositions permettant aux fonctionnaires et agents assermentés des administrations et services publics de la Polynésie française, autres que ceux mentionnés à l'article 34, de rechercher et de constater les infractions aux actes prévus à l'article 140 dénommés "lois du pays", aux délibérations de l'assemblée de la Polynésie française et aux arrêtés réglementaires du conseil des ministres dont ces administrations et services publics sont spécialement chargés de contrôler la mise en oeuvre. /Ces agents constatent ces infractions par procès-verbal. Au titre de la recherche de ces infractions, ils peuvent demander aux contrevenants de justifier de leur identité, procéder à des consignations, des prélèvements d'échantillons, des saisies conservatoires, des retraits de la consommation, édicter des interdictions ou des prescriptions, conduire les contrevenants devant un officier de police judiciaire. / Ils peuvent également être habilités à effectuer des visites en présence d'un officier de police judiciaire requis à cet effet. /Ces agents sont commissionnés par le président de la Polynésie française après avoir été agréés par le procureur de la République. Ils prêtent serment devant le tribunal de première instance. L'agrément peut être retiré ou suspendu après information du président de la Polynésie française. /Les agents assermentés des ports autonomes chargés de la police portuaire peuvent effectuer tout constat et rechercher les infractions aux règlements que ces établissements sont chargés d'appliquer. /Les agents assermentés de contrôle de la Caisse de prévoyance sociale peuvent effectuer tout constat et rechercher les infractions aux règlements que cette caisse est chargée d'appliquer. " ;
Considérant que si le droit du travail n'est pas au nombre des matières demeurant... ; que l'article 1er de la " loi du pays " déférée, prise en application de l'article 35 de la loi organique, dispose que les infractions en matière de travail clandestin aux " lois du pays " et autres actes de la Polynésie française sont recherchés par les agents assermentés de contrôle de la Caisse de prévoyance sociale, les inspecteurs du travail et les contrôleurs du travail ; qu'il confère à ces agents le droit d'obtenir communication, à cette fin, de documents qu'il énumère, et le pouvoir d'entendre toute personne ayant été rémunérée par l'employeur suspecté d'infraction, avec l'accord de cette personne ; que l'article 2 fixe les conditions dans lesquelles ces agents peuvent échanger des informations entre eux, communiquer des informations aux officiers et agents de police judiciaire et en recevoir de la part des agents des services fiscaux et des douanes ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;
Considérant que l'article 31 de la loi organique du 27 février 2004 fixe la liste des matières dans lesquelles la Polynésie française est autorisée à participer à l'exercice des compétences de l'Etat par l'adoption de " lois du pays " ou d'arrêtés du conseil des ministres ; que l'accord préalable de l'Etat auquel son article 32 subordonne l'adoption et l'entrée en vigueur de tels textes, répond à une exigence constitutionnelle ; que si l'article 35 de la même loi fixe des règles que doivent respecter les " lois du pays " applicables aux agents de la Polynésie française dans la recherche et la constatation des infractions au droit du travail, aucune disposition des articles 31 à 35 ne soustrait ces " lois du pays " à l'accord préalable de l'Etat ; que, dès lors, les " lois du pays " prises sur le fondement et pour l'application de l'article 35 ne peuvent être adoptées qu'avec l'accord préalable de l'Etat dans les conditions et selon la procédure prévue par l'article 32 ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la " loi du pays " du 6 octobre 2006 n'a pas été transmise au ministre de l'outre-mer et n'a pas été approuvée par décret préalablement à son adoption par l'assemblée de la Polynésie française ; qu'ainsi, les requérants sont fondés à soutenir qu'elle est illégale et ne peut être promulguée ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge des requérants qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande le président de la Polynésie française au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : La " loi du pays " n° 2006-9 LP/APF du 6 octobre 2006 est illégale et ne peut être promulguée.
Article 2 : Les conclusions du président de la Polynésie française tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française, au Journal officiel de la Polynésie française et sera notifiée à M. I...F..., à M. G...E..., à Mme H...L..., à Mme D...C..., à Mme J...B..., à M. A...K..., au président de la Polynésie française, au président de l'Assemblée de la Polynésie française, au ministre de l'outre-mer et au Haut-commissaire de la République en Polynésie française.