Vu la requête, enregistrée le 19 octobre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la société ALMIRALL, dont le siège est ..., prise en la personne de son représentant légal en exercice ; la société ALMIRALL demande au juge des référés du Conseil d'Etat :
1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision en date du 29 novembre 2005 par laquelle le directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) a délivré aux Laboratoires Alter une autorisation de mise sur le marché de la spécialité Ebastine Alter 10 mg, comprimé pelliculé en qualité de générique de la spécialité Kestin 10 mg ;
2°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision en date du 28 février 2006 d'inscription au répertoire des groupes génériques de la spécialité Ebastine Alter 10 mg, comprimé pelliculé ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat et la société Laboratoires Alter la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
elle soutient que ne peuvent être reconnues comme spécialités génériques d'une spécialité de référence que les spécialités qui répondent à certaines conditions ; qu'en vertu de l'article L. 5121-1 du code de la santé publique, spécialité de référence et spécialité générique doivent avoir la même composition quantitative et qualitative en principe actif, la même forme pharmaceutique et justifier de leur bioéquivalence ; que la décision « Generics » de la Cour de justice des Communautés européennes impose également une absence de différences significatives s'agissant de la sécurité et de l'efficacité ; qu'en l'espèce la bioéquivalence n'a pas été démontrée par les Laboratoires Alter ; que l'autorisation de mise sur le marché a été délivrée pour une formule non micronisée de l'ébastine, dont la composition en principe actif est différente de celui de la spécialité Kestin, qui contient de l'ébastine micronisée ; que le directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé a lui-même manifesté des doutes sur la bioéquivalence dans ses mémoires en défense produits devant le Conseil d'Etat les 5 avril 2006 et 29 mai 2006 et surtout dans un courrier du 22 juin 2006 ; que l'ensemble de ces moyens est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité des décisions dont la suspension est demandée ; qu'en outre la condition d'urgence est remplie dès lors que ces décisions entraînent une perte de chance pour le patient de suivre un traitement approprié, ce qui constitue un risque au regard de l'intérêt général de protection de la santé publique ;
Vu les décisions dont la suspension est demandée ;
Vu la requête à fin d'annulation présentée à l'encontre de ces décisions ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 2 novembre 2006, présenté pour la société Laboratoires Alter, qui conclut au rejet de la requête ; elle soutient qu'il n'existe aucune circonstance de fait nouvelle par rapport à la précédente instance de référé pouvant justifier d'un nouveau référé ; qu'il n'existe pas de doute sérieux quant à la légalité des décisions dont la suspension est demandée dès lors que la société requérante ne démontre pas l'absence de bioéquivalence entre les deux spécialités, qu'il y a déjà eu une étude fournie à l'AFSSAPS dans le passé par la requérante qui démontrait la bioéquivalence d'une spécialité non micronisée avec une spécialité micronisée et qu'il est fait une lecture erronée des documents fournis, notamment du courrier du directeur de l'AFSSAPS en date du 22 juin 2006 ; qu'elle a soumis l'ensemble des informations exigées par les réglementations françaises et communautaires nécessaires à la délivrance d'une autorisation de mise sur le marché ; qu'elle s'est conformée à l'article R. 5121 ;9 du code de la santé publique ; qu'elle a procédé à une comparaison de la spécialité de référence sous forme micronisée avec son produit sous forme non-micronisée ; que la micronisation ne modifie pas le comportement des produits ; que la condition d'urgence n'est pas remplie ; qu'en effet il n'y a pas de danger pour la santé publique, la société requérante ayant elle-même commercialisé une version non-micronisée pendant quinze ans en Espagne et les rhinites allergiques tout comme l'urticaire que se propose de traiter l'ébastine n'entraînant pas de risque pour le pronostic vital ; que le préjudice financier allégué n'est pas démontré de façon objective et précise dès lors que la baisse de 15% du prix de la spécialité de référence imposée par le comité économique des produits de santé n'est que l'application d'une obligation à caractère réglementaire et qu'une baisse était de toute façon envisageable depuis l'expiration, en 2004, des droits de propriété intellectuelle de la société requérante ; que de toute façon, un tel préjudice, à le supposer avéré, doit être mis en balance avec l'objectif d'équilibre des dépenses d'assurance maladie ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 2 novembre 2006, présenté par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, qui conclut au rejet de la requête ; elle soutient qu'aucun élément nouveau n'est de nature à justifier l'introduction d'une nouvelle requête en référé ; que la condition d'urgence n'est pas remplie ; qu'en effet il n'existe pas d'atteinte grave et immédiate à l'intérêt général de protection de la santé publique puisque le pronostic vital n'est pas en jeu ; qu'au demeurant la société requérante a commercialisé le même produit en Espagne pendant quatorze ans ; que le préjudice financier doit être examiné au regard de l'ensemble du chiffre d'affaires réalisé par la société ; que la baisse de 15% du prix a eu lieu au 1er septembre alors que la société requérante a attendu jusqu'au 19 octobre pour introduire sa requête à fin de suspension et que de toute façon le préjudice doit être confronté à l'objectif d'équilibre des comptes du régime général de l'assurance maladie ; qu'en outre il n'existe pas de doute sérieux quant à la légalité des décisions dont la suspension est demandée dès lors que la société requérante fait une présentation erronée d'une décision du 28 décembre 2004 par laquelle le directeur général de l'AFSSAPS avait refusé de faire droit à une demande de modification de l'autorisation de mise sur le marché de la spécialité de référence, que les études ont été réalisées in vitro et non in vivo et que la société Laboratoires Alter a bien démontré la bioéquivalence ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 3 novembre 2006, présenté pour la société ALMIRALL, qui reprend les conclusions et les moyens de sa requête ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la société ALMIRALL et d'autre part, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé et la société Laboratoires Alter ;
Vu le procès-verbal de l'audience publique du 6 novembre 2006 à 11 heures au cours de laquelle ont été entendus :
- Me Y..., avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société ALMIRALL ;
- Les représentants de la société ALMIRALL ;
- Me X..., avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société Laboratoires Alter ;
- Les représentants de la société Laboratoires Alter ;
- Les représentants de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 7 novembre 2006, présentée pour la société ALMIRALL ;
Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision » ;
Considérant que, par décision du 29 novembre 2005, le directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) a délivré à la société Laboratoires Alter une autorisation de mise sur le marché de la spécialité Ebastine Alter 10 mg, comprimé pelliculé en qualité de générique de la spécialité Kestin 10 mg, comprimé pelliculé ; que, par décision du 28 février 2006, le directeur général de l'AFSSAPS a inscrit la spécialité Ebastine Alter au répertoire des groupes génériques ; que de précédentes requêtes de la société ALMIRALL tendant à la suspension de ces décisions ont été rejetées, pour défaut d'urgence, par une ordonnance du juge des référés du Conseil d'Etat en date du 14 avril 2006 ; que la société ALMIRALL présente une nouvelle requête à fin de suspension de ces décisions en se prévalant de doutes, exprimés notamment dans une lettre du 22 juin 2006, que le directeur général de l'AFSSAPS aurait lui-même éprouvés quant à la bioéquivalence entre la spécialité de référence et le produit générique ; qu'elle soutient que l'utilisation de ce produit entraîne en conséquence un grave risque pour la santé publique dans des conditions qui constituent une situation d'urgence ;
Mais considérant, d'une part, que l'ébastine est utilisée comme anti-histaminique pour le traitement de la rhinite allergique et de l'urticaire et qu'il a été expliqué au cours de l'audience publique qu'il n'y est recouru que lorsque ces affections se présentent sous une forme symptomatique et non dans les cas où elles revêtent une forme sévère ; que, d'autre part, les documents produits au cours de l'audience publique font apparaître qu'en réponse à la lettre du directeur général de l'AFSSAPS en date du 22 juin 2006 mentionnée ci-dessus, la société Laboratoires Alter a donné des explications qui ont conduit le directeur de l'Agence à écarter toute mesure immédiate de retrait ou de suspension des autorisations délivrées à cette société et à demander seulement à celle-ci une nouvelle étude de bioéquivalence avant la fin du mois de mars 2007, avec la remise d'un pré-rapport à la mi-janvier ; que, dans ces conditions, et eu égard notamment à la nature des pathologies traitées, il ne résulte ni de l'instruction écrite ni des débats tenus au cours de l'audience publique que le recours à une forme non micronisée d'ébastine, au demeurant déjà utilisée en Espagne durant quatorze années sans que des difficultés soient apparues, serait de nature à représenter pour la santé publique un risque propre à caractériser une situation d'urgence ; qu'au surplus l'instruction des requêtes à fin d'annulation présentées par la société ALMIRALL à l'encontre des décisions dont la suspension est demandée est suffisamment avancée pour que le Conseil d'Etat soit à même de se prononcer sur ces pourvois dans un délai n'excédant pas six mois ; qu'ainsi la condition d'urgence n'est pas remplie ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la requête à fin de suspension présentée par la société ALMIRALL ne peut être accueillie ; que, par voie de conséquence, les conclusions présentées par cette société tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société ALMIRALL la somme que la société Laboratoires Alter demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de la société ALMIRALL est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la société Laboratoires Alter tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société ALMIRALL, à la société Laboratoires Alter et à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé.