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26/07/2006 | FRANCE | N°275895

France | France, Conseil d'État, 2ème et 7ème sous-sections réunies, 26 juillet 2006, 275895


Vu 1°/, sous le n° 275895, la requête, enregistrée le 27 décembre 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Orçun Hasan A, demeurant ...; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement du 24 novembre 2004 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 3 novembre 2004 par lequel le préfet de la Savoie a décidé sa reconduite à la frontière ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir cet arrêté ;

Vu 2°/, sous le n°

276646, la requête, enregistrée le 18 janvier 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'...

Vu 1°/, sous le n° 275895, la requête, enregistrée le 27 décembre 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Orçun Hasan A, demeurant ...; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement du 24 novembre 2004 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 3 novembre 2004 par lequel le préfet de la Savoie a décidé sa reconduite à la frontière ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir cet arrêté ;

Vu 2°/, sous le n° 276646, la requête, enregistrée le 18 janvier 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Orçun Hasan A, demeurant ...; M. A demande au Conseil d'Etat de décider qu'il sera sursis à l'exécution du jugement du 24 novembre 2004 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 3 novembre 2004 par lequel le préfet de la Savoie a décidé sa reconduite à la frontière ;

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le traité instituant la Communauté économique européenne, devenue la Communauté européenne ;

Vu l'accord instituant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie en date du 12 septembre 1963, approuvé et confirmé par la décision 64/732/CEE du Conseil du 23 décembre 1963 ;

Vu la décision n° 1/80 du 19 septembre 1980 du conseil d'association entre la Communauté économique européenne et la Turquie ;

Vu la décision C-237/91 du 16 décembre 1992 de la Cour de justice des Communautés européennes ;

Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-François Mary, Maître des Requêtes,

- les conclusions de Mme Isabelle de Silva, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que les requêtes n° 275895 et n° 276646 sont dirigées contre un même jugement ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Considérant qu'aux termes du I de l'article 22 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, en vigueur à la date de l'arrêté litigieux : « Le représentant de l'Etat dans le département et, à Paris, le préfet de police peuvent, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : (...) 3°) Si l'étranger auquel la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé ou dont le titre de séjour a été retiré, s'est maintenu sur le territoire au-delà du délai d'un mois à compter de la date de notification du refus ou du retrait (...) » ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. A, de nationalité turque, s'est maintenu sur le territoire français plus d'un mois après la notification, le 10 juin 2004, de la décision du préfet de la Savoie du 8 juin 2004 lui refusant la délivrance d'un titre de séjour et l'invitant à quitter le territoire ; qu'il entrait ainsi dans le champ d'application de la disposition précitée ;

Sur l'exception d'illégalité du refus de délivrance de titre de séjour :

Considérant qu'aux termes du troisième alinéa de l'article 12 quater de l'ordonnance du 2 novembre 1945, en vigueur à la date du refus de titre de séjour litigieux, la commission du titre de séjour : « est saisie par le préfet... lorsque celui-ci envisage de refuser de délivrer ou de renouveler une carte de séjour temporaire à un étranger mentionné à l'article 12 bis... » ; qu'aux termes de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 : « Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention vie privée et familiale est délivrée de plein droit : (...) / 4° A l'étranger, ne vivant pas en état de polygamie, marié avec un ressortissant de nationalité française, à condition que son entrée sur le territoire français ait été régulière, que la communauté de vie n'ait pas cessé, que le conjoint ait conservé la nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, qu'il ait été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français (...). / Le renouvellement de la carte de séjour délivrée au titre du 4° ci-dessus est subordonné au fait que la communauté de vie n'ait pas cessé (...) » ;

Considérant que si M. A soutient qu'en l'absence de rupture de vie commune avec son épouse, il avait droit au renouvellement de son titre de séjour et que la commission du titre de séjour devait être saisie en application des dispositions combinées des articles 12 bis et 12 quater précités, il ressort des pièces du dossier qu'à la date du refus contesté M. A ne pouvait plus justifier d'une telle vie commune ; que, par suite, le préfet n'était pas tenu, en application de l'article 12 quater précité, de soumettre son cas à la commission du titre de séjour avant de rejeter sa demande ;

Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la décision du 19 septembre 1980 du conseil d'association institué par l'accord d'association conclu le, 12 septembre 1963, entre la Communauté économique européenne et la République de Turquie : « 1. Sous réserve des dispositions de l'article 7 relatif au libre accès à l'emploi des membres de sa famille, le travailleur turc, appartenant au marché régulier de l'emploi d'un Etat membre : / - a droit, dans cet Etat membre, après un an d'emploi régulier, au renouvellement de son permis de travail auprès du même employeur, s'il dispose d'un emploi... » ;

Considérant qu'il résulte de l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes en date du 16 décembre 1992, que l'article 6 premier paragraphe, premier tiret, de la décision du 19 septembre 1980 du conseil d'association, qui a un effet direct en droit interne, doit être interprété en ce sens que, d'une part, un ressortissant turc qui a obtenu un permis de séjour sur le territoire d'un Etat membre pour y épouser une ressortissante de cet Etat membre et y a travaillé depuis plus d'un an auprès du même employeur sous le couvert d'un permis de travail valide a droit au renouvellement de son permis de travail en vertu de cette disposition, même si, au moment où il est statué sur la demande de renouvellement, son mariage a été dissous et que, d'autre part, un travailleur turc qui remplit les conditions de l'article 6, premier paragraphe, premier tiret, de la décision susmentionnée peut obtenir, outre la prorogation du permis de travail, celle du permis de séjour, le droit de séjour étant indispensable à l'accès et à l'exercice d'une activité salariée ; que, toutefois, si M. A invoque, à l'appui de l'exception d'illégalité du refus de titre de séjour, l'article 6 de la décision du 19 septembre 1980, il ressort des pièces du dossier que c'est en qualité de conjoint de ressortissant français, et non de salarié, qu'il a sollicité le renouvellement de son titre de séjour ; qu'au surplus, s'il fournit des fiches et attestations de paie correspondant à la période du 5 juin 2003 au 30 septembre 2004, le récépissé qu'il s'est vu délivrer à l'occasion de sa demande de renouvellement de titre de séjour ne l'a autorisé à travailler, en tout état de cause, sur le territoire français que jusqu'au 15 septembre 2003 ; qu'ainsi, il ne justifiait pas avoir travaillé pendant plus d'un an sous le couvert d'un permis de travail valide et avoir satisfait à la condition d'emploi régulier introduite par l'article 6 précité de la décision du 19 septembre 1980 ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A n'est pas fondé à invoquer, par la voie de l'exception, l'illégalité du refus de titre de séjour qui lui a été opposé, au soutien de ses conclusions dirigées contre l'arrêté ordonnant sa reconduite à la frontière ;

Sur les autres moyens :

Considérant que si M. A fait valoir que son frère et ses deux soeurs résident régulièrement en France, que sa mère y passe six mois par an et qu'il y a fondé, avec son frère et sa belle-soeur, un commerce de restauration rapide, il ressort des pièces du dossier que l'intéressé, entré sur le territoire en juillet 2002 à l'âge de vingt-deux ans, est divorcé sans enfant et n'est pas dépourvu de liens familiaux dans son pays d'origine, sa mère y résidant encore ; que, dès lors, l'arrêté contesté n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris et n'a donc pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande ; qu'il n'y a pas lieu de statuer, en conséquence, sur les conclusions de M. A tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement ;

Considérant que la présente décision, qui rejette la requête de M. A, n'appelle aucune mesure d'exécution ; que, par suite, les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de délivrer à M. A un titre de séjour doivent être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que M. A demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

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Article 1er : La requête n° 275895 de M. A est rejetée.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 276646.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Orçun Hasan A, au préfet de la Savoie et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.


Synthèse
Formation : 2ème et 7ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 275895
Date de la décision : 26/07/2006
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES ET UNION EUROPÉENNE - PORTÉE DES RÈGLES DE DROIT COMMUNAUTAIRE ET DE L'UNION EUROPÉENNE - DÉCISION DU 19 SEPTEMBRE 1980 DU CONSEIL D'ASSOCIATION INSTITUÉ PAR L'ACCORD D'ASSOCIATION CONCLU LE 12 SEPTEMBRE 1963 ENTRE LA COMMUNAUTÉ ÉCONOMIQUE EUROPÉENNE ET LA RÉPUBLIQUE DE TURQUIE - ARTICLE 6 RELATIF AU DROIT AU SÉJOUR DU TRAVAILLEUR TURC CONJOINT D'UN RESSORTISSANT COMMUNAUTAIRE - EFFET DIRECT - INTERPRÉTATION.

15-02 Aux termes de l'article 6 de la décision du 19 septembre 1980 du conseil d'association institué par l'accord d'association conclu le 12 septembre 1963 entre la Communauté économique européenne et la République de Turquie : « 1. Sous réserve des dispositions de l'article 7 relatif au libre accès à l'emploi des membres de sa famille, le travailleur turc, appartenant au marché régulier de l'emploi d'un Etat membre : / - a droit, dans cet Etat membre, après un an d'emploi régulier, au renouvellement de son permis de travail auprès du même employeur, s'il dispose d'un emploi (…) ». Il résulte de l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes en date du 16 décembre 1992, que l'article 6 premier paragraphe, premier tiret, de la décision du 19 septembre 1980 du conseil d'association, qui a un effet direct en droit interne, doit être interprété en ce sens que, d'une part, un ressortissant turc qui a obtenu un permis de séjour sur le territoire d'un Etat membre pour y épouser un ressortissant de cet Etat membre et y a travaillé depuis plus d'un an auprès du même employeur sous le couvert d'un permis de travail valide a droit au renouvellement de son permis de travail en vertu de cette disposition, même si, au moment où il est statué sur la demande de renouvellement, son mariage a été dissous et que, d'autre part, un travailleur turc qui remplit les conditions de l'article 6, premier paragraphe, premier tiret, de la décision susmentionnée peut obtenir, outre la prorogation du permis de travail, celle du permis de séjour, le droit de séjour étant indispensable à l'accès et à l'exercice d'une activité salariée.

ÉTRANGERS - SÉJOUR DES ÉTRANGERS - TEXTES APPLICABLES - CONVENTIONS INTERNATIONALES - DÉCISION DU 19 SEPTEMBRE 1980 DU CONSEIL D'ASSOCIATION INSTITUÉ PAR L'ACCORD D'ASSOCIATION CONCLU LE 12 SEPTEMBRE 1963 ENTRE LA COMMUNAUTÉ ÉCONOMIQUE EUROPÉENNE ET LA RÉPUBLIQUE DE TURQUIE - ARTICLE 6 RELATIF AU DROIT AU SÉJOUR DU TRAVAILLEUR TURC CONJOINT D'UN RESSORTISSANT COMMUNAUTAIRE - EFFET DIRECT - INTERPRÉTATION.

335-01-01-02 Aux termes de l'article 6 de la décision du 19 septembre 1980 du conseil d'association institué par l'accord d'association conclu le 12 septembre 1963 entre la Communauté économique européenne et la République de Turquie : « 1. Sous réserve des dispositions de l'article 7 relatif au libre accès à l'emploi des membres de sa famille, le travailleur turc, appartenant au marché régulier de l'emploi d'un Etat membre : / - a droit, dans cet Etat membre, après un an d'emploi régulier, au renouvellement de son permis de travail auprès du même employeur, s'il dispose d'un emploi (…) ». Il résulte de l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes en date du 16 décembre 1992, que l'article 6 premier paragraphe, premier tiret, de la décision du 19 septembre 1980 du conseil d'association, qui a un effet direct en droit interne, doit être interprété en ce sens que, d'une part, un ressortissant turc qui a obtenu un permis de séjour sur le territoire d'un Etat membre pour y épouser un ressortissant de cet Etat membre et y a travaillé depuis plus d'un an auprès du même employeur sous le couvert d'un permis de travail valide a droit au renouvellement de son permis de travail en vertu de cette disposition, même si, au moment où il est statué sur la demande de renouvellement, son mariage a été dissous et que, d'autre part, un travailleur turc qui remplit les conditions de l'article 6, premier paragraphe, premier tiret, de la décision susmentionnée peut obtenir, outre la prorogation du permis de travail, celle du permis de séjour, le droit de séjour étant indispensable à l'accès et à l'exercice d'une activité salariée.


Publications
Proposition de citation : CE, 26 jui. 2006, n° 275895
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Martin
Rapporteur public ?: Mme de Silva

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2006:275895.20060726
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