La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/06/2006 | FRANCE | N°280126

France | France, Conseil d'État, 7eme sous-section jugeant seule, 07 juin 2006, 280126


Vu la requête, enregistrée le 2 mai 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. Francis A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) de déclarer illégales, en exécution du jugement du conseil de prud'hommes de Colmar en date du 24 février 2005, les dispositions de l'article 3-1 de l'annexe 3 au statut du personnel des industries électriques et gazières ainsi que les dispositions du paragraphe 112-35 C du chapitre 263 du manuel pratique des questions du personnel d'Electricité de France et de Gaz de France ;

2°) de mettre à la

charge de Gaz de France une somme de 2 800 euros en application des dispo...

Vu la requête, enregistrée le 2 mai 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. Francis A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) de déclarer illégales, en exécution du jugement du conseil de prud'hommes de Colmar en date du 24 février 2005, les dispositions de l'article 3-1 de l'annexe 3 au statut du personnel des industries électriques et gazières ainsi que les dispositions du paragraphe 112-35 C du chapitre 263 du manuel pratique des questions du personnel d'Electricité de France et de Gaz de France ;

2°) de mettre à la charge de Gaz de France une somme de 2 800 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le Traité instituant la Communauté européenne ;

Vu le code du travail ;

Vu la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 modifiée ;

Vu le décret n° 46-1541 du 22 juin 1946 modifié ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Nathalie Escaut, Maître des Requêtes,

- les observations de Me Haas, avocat de M. A et de la SCP Defrenois, Levis, avocat de la société Gaz de France,

- les conclusions de M. Nicolas Boulouis, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que, par jugement en date du 24 février 2005, le conseil de prud'hommes de Colmar a sursis à statuer sur la demande présentée devant lui par M. A jusqu'à ce que le juge administratif se prononce sur la légalité des dispositions du 1er paragraphe de l'article 3 de l'annexe 3 au statut national du personnel des industries électriques et gazières ainsi que des dispositions du c) du paragraphe 112.35 du chapitre 263 du manuel pratique des questions de personnel d'Electricité de France et de Gaz de France, qui renvoient aux dispositions du 2e paragraphe de l'article 3 de l'annexe 3 au statut ;

Sur la fin de non-recevoir soulevée par la société Gaz de France :

Considérant que la recevabilité d'une requête en appréciation de légalité n'est pas soumise aux conditions prévues pour l'exercice d'un recours pour excès de pouvoir ; qu'ainsi la fin de non-recevoir opposée par la société Gaz de France et tirée de l'absence de caractère réglementaire du manuel pratique des questions du personnel d'Electricité de France et de Gaz de France doit être écartée ;

Sur la légalité des dispositions en litige :

Considérant qu'aux termes du 1er paragraphe de l'article 3 de l'annexe 3 au statut national du personnel des industries électriques et gazières, approuvé par le décret du 22 juin 1946 susvisé : Pour avoir droit aux prestations : pension d'ancienneté, un agent doit avoir 55 ans d'âge, s'il appartient aux services insalubres ou actifs ; 60 ans d'âge, s'il appartient aux services sédentaires et doit totaliser 25 ans de service décomptés conformément au paragraphe 5 de l'article 1er de la présente annexe. / Les agents mères de famille ayant eu trois enfants bénéficieront d'une bonification d'âge et de service d'une année par enfant ; qu'aux termes du 2e paragraphe du même article : Pour avoir droit aux prestations : pension proportionnelle, l'agent doit totaliser quinze ans de services décomptés conformément au paragraphe 5 de l'article 1er. L'agent mère de famille bénéficie des bonifications de service définies à l'alinéa précédent. / La jouissance de la pension proportionnelle est différée jusqu'à l'âge requis pour la pension d'ancienneté, sauf pour l'agent mère de famille répondant aux conditions précisées au paragraphe 1er, 2e alinéa du présent article, qui la perçoit immédiatement ; qu'aux termes du c) du paragraphe 112.35 du chapitre 263 du manuel pratique des questions de personnel d'Electricité de France et de Gaz de France, qui renvoie à ces dernières dispositions : Les agents mères de famille ayant eu trois enfants et réunissant 15 ans de services peuvent bénéficier d'une pension à jouissance immédiate sans condition d'âge ;

Considérant qu'aux termes de l'article 141 (ex-article 119) du traité instituant la Communauté européenne : 1. Chaque Etat membre assure l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même travail ou un travail de même valeur. / 2. Aux fins du présent article, on entend par rémunération, le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum, et tous autres avantages payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l'employeur au travailleur en raison de l'emploi de ce dernier. (…) / 4. Pour assurer concrètement une pleine égalité entre hommes et femmes dans la vie professionnelle, le principe de l'égalité de traitement n'empêche pas un Etat membre de maintenir ou d'adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l'exercice d'une activité professionnelle par le sexe sous-représenté ou à prévenir ou compenser des désavantages dans la carrière professionnelle ;

Considérant que les pensions servies par le régime spécial de retraite des industries électriques et gazières, organisé par le statut national du personnel de ces industries, entrent dans le champ d'application des stipulations précitées de l'article 141 du traité instituant la Communauté européenne, telles qu'interprétées par la Cour de justice des communautés européennes dans ses arrêts C-147/95 du 17 avril 1997, C-366/99 du 29 novembre 2001 et C ;206/00 du 13 décembre 2001 ;

Considérant que les dispositions précitées du statut national du personnel des industries électriques et gazières et du manuel pratique des questions de personnel d'Electricité de France et de Gaz de France prévoient l'attribution aux agents féminins ayant eu trois enfants ou plus au moment de leur départ à la retraite d'une bonification d'ancienneté d'un an par enfant pour le calcul de leurs droits à pension, ainsi que la possibilité, pour ces mêmes agents, de bénéficier sous certaines conditions d'une pension à jouissance immédiate ; qu'aucune autre disposition ne prévoit l'octroi d'avantages analogues aux agents masculins qui ont assuré l'éducation de leurs enfants ; qu'ainsi les dispositions litigieuses introduisent une discrimination entre agents féminins et agents masculins qui n'est justifiée par aucune différence de situation relativement à l'octroi des avantages en cause et qui, par suite, sans qu'il soit besoin de renvoyer la question devant la Cour de justice des Communautés européennes, est incompatible avec les stipulations précitées de l'article 141 du traité instituant la Communauté européenne, dont le 4e paragraphe ne peut être interprété comme autorisant le maintien d'une telle discrimination ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que les dispositions litigieuses du statut national du personnel des industries électriques et gazières et du manuel pratique des questions de personnel d'EDF ;GDF doivent être déclarées illégales dans la mesure où elles excluent du bénéfice des avantages qu'elles instituent les agents masculins ayant assuré l'éducation de leurs enfants ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. A, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que la société Gaz de France demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de la société Gaz de France la somme de 2 800 euros que M. A demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il est déclaré que les dispositions des 1er et 2e paragraphes de l'article 3 de l'annexe 3 au statut national du personnel des industries électriques et gazières ainsi que les dispositions du c) du paragraphe 112.35 du chapitre 263 du manuel pratique des questions de personnel d'Electricité de France et de Gaz de France sont illégales en tant qu'elles excluent du bénéfice des avantages qu'elles instituent les agents masculins ayant assuré l'éducation de leurs enfants.

Article 2 : La société Gaz de France versera à M. A la somme de 2 800 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions de la société Gaz de France tendant à l'application des dispositions de l'article L 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A et à la société Gaz de France.


Synthèse
Formation : 7eme sous-section jugeant seule
Numéro d'arrêt : 280126
Date de la décision : 07/06/2006
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Appréciation de la légalité

Publications
Proposition de citation : CE, 07 jui. 2006, n° 280126
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Delarue
Rapporteur ?: Mme Nathalie Escaut
Rapporteur public ?: M. Boulouis
Avocat(s) : SCP DEFRENOIS, LEVIS ; HAAS

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2006:280126.20060607
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award