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20/02/2006 | FRANCE | N°290099

France | France, Conseil d'État, Juge des referes, 20 février 2006, 290099


Vu la requête, enregistrée le 10 février 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Jean-Jacques A, demeurant ...76110), M. Louis B, demeurant ... (69003), M. Daniel C, demeurant ... (59222) et M. Jean-Claude D, demeurant ... (37300) ; M. Jean-Jacques A et autres demandent au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension du décret n° 2006-83 du 27 janvier 2006 pris en application de l'ordonnance n° 2005-1528 du 8 décembre 2005 relative à la création

du régime social des indépendants et modifiant le code de la sécurité...

Vu la requête, enregistrée le 10 février 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Jean-Jacques A, demeurant ...76110), M. Louis B, demeurant ... (69003), M. Daniel C, demeurant ... (59222) et M. Jean-Claude D, demeurant ... (37300) ; M. Jean-Jacques A et autres demandent au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension du décret n° 2006-83 du 27 janvier 2006 pris en application de l'ordonnance n° 2005-1528 du 8 décembre 2005 relative à la création du régime social des indépendants et modifiant le code de la sécurité sociale (deuxième partie : décrets en Conseil d'Etat) ;

2°) de condamner l'Etat à payer à chacun des requérants la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

ils exposent que le décret du 27 janvier 2006 a prévu les modalités d'élection des membres des conseils d'administration des caisses du régime social des indépendants (R.S.I.) ; que, sur le fondement de ce décret, un arrêté ministériel du 27 janvier 2006 a fixé la date des élections au 3 avril 2006 ; qu'une circulaire du 30 janvier 2006 a prévu comme date limite pour le dépôt des candidatures le 22 février 2006 avant 19 heures ; qu'en raison de l'intérêt qui s'attache à ce que l'élection des membres du conseil d'administration des caisses de base se déroule dans des conditions régulières, il est satisfait à la condition d'urgence posée par l'article L. 521-1 du code de justice administrative ; qu'en outre, il existe un doute sérieux quant à la légalité du décret critiqué ; qu'à cet égard, il convient de relever, en premier lieu, que le nombre de sièges attribué respectivement au régime des commerçants et au régime des artisans ne tient pas compte de l'importance de chacun de ces régimes ; qu'en prévoyant une répartition des sièges à nombre égal, le pouvoir réglementaire a pratiqué une discrimination positive illégale au profit des artisans ; que cette discrimination est d'autant plus forte que les organisations professionnelles artisanales pourront par le biais de candidats inscrits au répertoire des métiers mais relevant cependant du régime des travailleurs non salariés des professions industrielles et commerciales (ORGANIC), présenter des listes concurrentes dans le collège commerçant alors que la réciproque n'est pas possible ; que le décret viole, en deuxième lieu, le principe d'égalité des citoyens devant le pouvoir de suffrage dès lors que les sièges attribués à chaque catégorie professionnelle ne sont pas répartis proportionnellement au nombre d'électeurs appartenant à chaque catégorie ; que le décret attaqué procède enfin à des distinctions injustifiées par rapport à d'autres modes d'élection, qu'il s'agisse des élections aux chambres de métiers régies par le décret n° 99-433 du 27 mai 1999 ou des élections des membres du conseil d'une communauté urbaine ;

Vu le décret dont la suspension est demandée ;

Vu, enregistré le 13 février 2006 le mémoire en intervention présenté par M. Dominique Leclerc-Chalvet, domicilié 41, rue Bellevue à Chatillon-Le-Duc (25870) ; il conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens et en outre à ce que l'Etat soit condamné à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu, enregistré le 15 février 2006 le mémoire complémentaire présenté par MM. Jean Jacques A et autres qui conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens ; ils font valoir en outre que l'article R. 611-45 du code de la sécurité sociale résultant du décret contesté, qui est relatif aux conditions de prise en charge des frais exposés par les listes de candidats, entraînera pour les commerçants qui sont plus nombreux à voter que les artisans un préjudice réel ;

Vu, enregistré le 16 février 2006 le mémoire en défense présenté par le ministre de la santé et des solidarités qui conclut au rejet de la requête ; il fait valoir que le décret ne saurait être illégal dès lors qu'il se conforme aux dispositions de l'article L. 611-12 du code de la sécurité sociale en vertu desquelles le conseil d'administration des caisses de base doit comprendre « en nombre égal des représentants du groupe professionnel des artisans et de celui des commerçants » ; qu'il ressort de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que le législateur dispose pour organiser des élections dans le domaine de la protection sociale d'une latitude plus grande qu'en ce qui concerne d'autres élections, notamment politiques ; que les conditions de prise en charge des frais électoraux ne sont pas discriminatoires dans la mesure où elles s'appliquent indistinctement à toutes les listes de candidats à élire ; que la répartition paritaire des sièges à pourvoir n'a aucune incidence sur le coût des dépenses électorales ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la sécurité sociale, notamment son livre VI ;

Vu la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit, notamment le 12° de son article 71 ;

Vu l'ordonnance n° 2005-1528 du 8 décembre 2005 relative à la création du régime social des indépendants ;

Vu la décision du Conseil constitutionnel n° 82/148 DC du 14 décembre 1982 ;

Vu le code de justice administrative, notamment ses articles L. 511-2, L. 521-1 et L. 761-1 ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part MM. Jean-Jacques A et autres, ainsi que M. Leclerc-Chalvet, d'autre part, le ministre de la santé et des solidarités et le ministre des petites et moyennes entreprises, des commerces et de l'artisanat et des professions libérales ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du vendredi 17 février 2006 à 15 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :

- M. A ;

- M. Leclerc-Chalvet ;

- les représentants du ministre de la santé et des solidarités ;

- le représentant du ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce et de l'artisanat et des professions libérales ;

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation …, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision » ;

- Sur l'intervention de M. Leclerc-Chalvet :

Considérant que M. Leclerc-Chalvet, président de la caisse du régime des travailleurs non salariés des professions industrielles et commerciales (ORGANIC) de Franche-Comté justifie d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de la requête ; qu'ainsi son intervention doit être admise ;

- Sur le contenu des dispositions dont la suspension est demandée :

Considérant que le a) du 12°) de l'article 71 de la loi du 9 décembre 2004 de simplification du droit a habilité le gouvernement, agissant par voie d'ordonnance, à prendre les mesures nécessaires à la « création d'un régime social des travailleurs indépendants » se substituant aux régimes d'assurance-vieillesse et invalidité-décès des professions artisanales, industrielles et commerciales et au régime d'assurance maladie et maternité des travailleurs non salariés des professions non agricoles ; que, sur ce fondement, est intervenue l'ordonnance du 8 décembre 2005, publiée au journal officiel du 9 décembre 2005, relative à la création du « régime social des indépendants » ; que ce texte a introduit au sein du livre VI du code de la sécurité sociale un titre Ier, qui comporte notamment un chapitre Ier consacré à l'organisation administrative du régime composé des articles L. 611-1 à L. 611-20 du code de la sécurité sociale ; que selon l'article L. 611-3, le régime comprend « une caisse nationale et des caisses de base » ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 611-5, « la Caisse nationale est administrée par un conseil d'administration composé des représentants des caisses de base élus par leur conseil d'administration » ; qu'il est spécifié au troisième alinéa du même article que « le conseil peut siéger en sections professionnelles pour délibérer sur les questions propres à un ou plusieurs groupes de profession » ; que l'article L. 611-12 relatif à la composition du conseil d'administration des caisses de base énonce au deuxième alinéa de son I que ledit conseil doit comprendre « en nombre égal » des représentants du groupe professionnel des artisans et de celui des industriels et commerçants ; que le II du même article prévoit que le conseil d'administration peut siéger en sections professionnelles pour délibérer sur les questions propres à chaque groupe de professions ; que dans son article 11 l'ordonnance laisse à un décret en Conseil d'Etat le soin de fixer ses modalités d'application ;

Considérant qu'est intervenu à cet effet, le décret n° 2006-83 du 27 janvier 2006 ; que ce texte confère notamment une nouvelle rédaction aux dispositions du titre Ier du livre VI de la deuxième partie du code de la sécurité sociale, en y insérant des articles R. 611-1 à R. 611-68, regroupés dans un chapitre Ier relatif à l'organisation administrative du « régime social des indépendants » ; que l'article R. 611-23, après avoir indiqué dans un premier alinéa que les caisses de base sont administrées par des conseils d'administration de 24, 30 ou 36 membres, précise dans un second alinéa que la composition des conseils d'administration de chacune des caisses, définie en fonction du nombre de leurs ressortissants, ainsi que la répartition de leurs membres entre administrateurs actifs et retraités sont fixés à l'annexe 2 du chapitre Ier ; que cette annexe a été établie dans le respect de la règle fixée par le deuxième alinéa du I de l'article L. 611-12 selon laquelle le conseil d'administration « doit comprendre en nombre égal des représentants du groupe professionnel des artisans et de celui des industriels et commerçants » ; que, selon le premier alinéa du I de l'article R. 611-31, les membres des conseils d'administration des caisses de base sont élus au scrutin de liste, à la représentation proportionnelle, sans panachage ni vote préférentiel, suivant la règle de la plus forte moyenne ; que l'article R. 611-45 subordonne dans son sixième alinéa le remboursement des dépenses électorales qu'il énumère à l'obtention par les listes de candidats d'au moins 10 p 100 des suffrages exprimés ou d'un siège au moins ;

Sur l'argumentation des requérants :

Considérant que les requérants soutiennent que les règles ainsi édictées opèrent une discrimination contraire au principe d'égalité à l'égard des affiliés au régime des commerçants et en faveur des affiliés au régime des artisans ; que cette discrimination est d'autant plus forte que plusieurs décrets ont antérieurement rattaché certaines catégories d'artisans au régime des travailleurs non salariés des professions industrielles et commerciales (ORGANIC) ; qu'en outre, ils font valoir que les conditions de prise en charge des frais exposés par les listes en présence entraînera pour les commerçants qui sont plus nombreux à voter que les artisans un préjudice ;

Considérant qu'eu égard notamment à la circonstance que la règle prescrivant une représentation en nombre égal du groupe professionnel des artisans et de celui des industriels et commerçants résulte des termes mêmes de l'article L. 611-12 du code de la sécurité sociale tel qu'il est issu de l'ordonnance du 8 décembre 2005 ainsi d'ailleurs qu'à l'absence de contestation de la légalité de cette ordonnance par les requérants, aucun des moyens invoqués par eux n'est propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité du décret contesté ;

Sur les conclusions relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le paiement de la somme réclamée par les requérants au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ; qu'en outre, la demande poursuivant le même objet formulée par M. Leclerc Chalvet, qui n'a pas la qualité de partie à l'instance mais celle d'intervenant est, de ce seul fait, irrecevable ;

O R D O N N E :

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Article 1er : L'intervention de M. Leclerc-Chalvet est admise.

Article 2 : La requête de MM. Jean-Jacques A et autres est rejetée.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. Jean-Jacques A et autres, à M. Leclerc-Chalvet, au ministre de la santé et des solidarités, et au ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce et de l'artisanat et des professions libérales.


Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 20 fév. 2006, n° 290099
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : M. Genevois
Rapporteur ?: M. Bruno Genevois

Origine de la décision
Formation : Juge des referes
Date de la décision : 20/02/2006
Date de l'import : 04/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 290099
Numéro NOR : CETATEXT000008237763 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2006-02-20;290099 ?
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