Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 8 juillet et 10 novembre 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Serge X, demeurant ... ; M. X demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision du 25 avril 2003 par laquelle la section des assurances sociales du conseil national de l'ordre des pharmaciens, réformant la décision du 8 février 2002 de la section des assurances sociales du conseil régional de l'ordre des pharmaciens d'Ile-de-France, a ramené de cinq ans à trois ans la sanction d'interdiction de servir des prestations aux assurés sociaux prononcée à son encontre ;
2°) de rejeter la plainte introduite le 22 novembre 1999 à son encontre devant la section des assurances sociales du conseil régional de l'ordre des pharmaciens d'Ile-de-France par le directeur général de la caisse primaire d'assurance maladie de Paris ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu la loi n° 2002-1062 portant amnistie ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Thomas Campeaux, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de M. X, de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat du conseil national de l'ordre des pharmaciens et de la SCP Gatineau, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de Paris,
- les conclusions de M. Terry Olson, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, sur plainte du directeur de la caisse primaire d'assurance maladie de Paris portant sur des faits commis pendant la période du 18 septembre 1997 au 17 septembre 1998, la chambre de discipline du conseil régional de l'ordre des pharmaciens d'Ile-de-France a infligé à M. X, par une décision du 21 mai 2001, la sanction de l'interdiction d'exercer la pharmacie pendant une période de trois ans ; que, par une décision du 15 novembre 2002, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a refusé l'admission du pourvoi en cassation présenté par M. X contre la décision du 29 janvier 2002 du conseil national de l'ordre des pharmaciens constitué en chambre de discipline ayant rejeté l'appel introduit à l'encontre de la décision de première instance ; que, par ailleurs, la section des assurances sociales du conseil régional de l'ordre des pharmaciens d'Ile-de-France a infligé à M. X, pour les mêmes faits, la sanction de l'interdiction de servir des prestations aux assurés sociaux pendant une durée de cinq ans par une décision du 8 février 2002 ; que, sur appel de M. X, la section des assurances sociales du conseil national de l'ordre des pharmaciens a ramené cette durée de cinq ans à trois ans, par une décision du 25 avril 2003 contre laquelle M. X se pourvoit en cassation ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :
Considérant qu'aux termes de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement (...) ;
Considérant que les sanctions prononcées par la section des assurances sociales du conseil national de l'ordre des pharmaciens peuvent comporter l'interdiction d'exercice de cette profession à l'égard des assurés sociaux et sont susceptibles de porter ainsi atteinte à un droit de caractère civil au sens des stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, par suite, les stipulations de cet article imposent le respect devant la section des assurances sociales du conseil national de l'ordre des pharmaciens du principe de publicité des décisions de justice ;
Considérant qu'il ne ressort ni des pièces du dossier, ni des mentions de la décision attaquée, et qu'il n'est d'ailleurs pas allégué par le conseil national de l'ordre des pharmaciens, que cette décision ait été lue en séance publique ni qu'une mesure équivalente ait été prise par la section des assurances sociales pour rendre publique cette décision ; que celle-ci doit, dès lors, être regardée comme ayant été prise dans des conditions irrégulières ; que M. X est fondé à en demander l'annulation pour ce motif ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;
Sur les faits reprochés à M. X :
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, durant la période du 18 septembre 1997 au 17 septembre 1998 sur laquelle a porté l'enquête diligentée par la caisse primaire d'assurance maladie de Paris, M. X s'est livré à l'émission de factures subrogatoires irrégulières à l'occasion de leur télétransmission à la caisse, en procédant au renouvellement de prescriptions médicales ne comportant pas cette indication et à la facturation de produits non effectivement délivrés ; que l'enquête de la caisse a fait ainsi apparaître, sur cette période, un total de 321 factures irrégulières ayant procuré à l'intéressé un remboursement indu d'un montant de 309 895,22 francs (47 243,22 euros) ;
Considérant qu'il n'est nullement établi que, comme le soutient M. X, ces facturations irrégulières auraient eu pour cause des problèmes informatiques ; que si l'intéressé invoque également, pour tenter de démontrer le caractère non intentionnel de ces agissements, la succession rapide d'assistants et de stagiaires dans son officine ainsi que son état de santé, ces éléments, à les supposer établis, ne sont pas de nature à ôter aux faits qui lui sont reprochés leur caractère de fraudes au sens de l'article R. 145-1 du code de la sécurité sociale ; qu'est par ailleurs sans influence, à cet égard, la circonstance que la caisse primaire d'assurance maladie de Paris aurait elle-même réparé son préjudice en ne procédant pas, pour un montant équivalent, au remboursement de factures qui lui ont été transmises par M. X ;
Sur le bénéfice de l'amnistie et le quantum de la sanction :
Considérant qu'eu égard à leur gravité et à leur caractère systématique et répété pendant la période d'un an sur laquelle a porté le contrôle effectué par la caisse primaire d'assurance maladie de Paris, les faits reprochés à M. X constituent un manquement à l'honneur et à la probité ; qu'ils sont, par suite, exclus du bénéfice de l'amnistie en application de l'article 11 de la loi du 6 août 2002 ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation de la gravité des fautes commises par l'intéressé en ramenant de cinq ans à quatre ans la durée de l'interdiction de servir des prestations aux assurés sociaux prononcée à son encontre par la section des assurances sociales du conseil régional de l'ordre des pharmaciens d'Ile-de-France ;
Considérant, par ailleurs, que M. X a sollicité le bénéfice du sursis lors de l'audience qui s'est déroulée devant la section des assurances sociales du conseil national de l'ordre des pharmaciens ; qu'il ressort des pièces du dossier que, par une décision du 21 mai 2001 devenue définitive, la chambre de discipline du conseil régional de l'ordre des pharmaciens d'Ile-de-France a infligé à l'intéressé, pour les mêmes faits que ceux qui lui sont reprochés devant les juridictions du contentieux du contrôle technique de la sécurité sociale, la sanction de l'interdiction d'exercer la pharmacie pendant une durée de trois ans ; que, par un arrêté en date du 19 août 2004, le préfet de l'Essonne a fixé au 15 novembre 2004 la date de départ de cette interdiction ; que, dans ces circonstances, il y a lieu de fixer au 15 novembre 2005 la date de départ de l'interdiction de servir des prestations aux assurés sociaux prononcée par la présente décision et d'accorder à M. X le bénéfice du sursis pour une durée de deux ans ;
Sur les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de Paris tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de M. X une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la caisse primaire d'assurance maladie de Paris et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : La décision de la section des assurances sociales du conseil national de l'ordre des pharmaciens du 25 avril 2003 est annulée.
Article 2 : La durée de la sanction d'interdiction de servir des prestations aux assurés sociaux, prononcée à l'encontre de M. X par la section des assurances sociales du conseil régional de l'ordre des pharmaciens d'Ile-de-France dans sa décision du 8 février 2002, est ramenée de cinq ans à quatre ans, dont deux ans avec sursis. Cette sanction prendra effet le 15 novembre 2005.
Article 3 : La décision de la section des assurances sociales du conseil régional de l'ordre des pharmaciens d'Ile-de-France du 8 février 2002 est réformée en ce qu'elle a de contraire à la présente décision.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. X est rejeté.
Article 5 : M. X versera une somme de 2 000 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. Serge X, au conseil national de l'ordre des pharmaciens, à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris et au ministre de la santé et des solidarités.