Vu le recours du GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE, enregistré le 8 mars 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat ; le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE demande au Conseil d'Etat d'annuler le jugement du 19 décembre 2003 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Limoges a, à la demande de M. Jean-Michel X, annulé la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le directeur du centre de détention d'Uzerche sur sa demande en date du 19 mai 2003 de se voir délivrer une copie de sa fiche pénale, et a enjoint à l'administration pénitentiaire de lui délivrer copie de sa fiche pénale ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Agnès Daussun, Conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Francis Donnat, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE se pourvoit en cassation contre un jugement du 19 décembre 2003 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Limoges a annulé, à la demande de M. X, la décision implicite par laquelle le directeur du centre de détention d'Uzerche a refusé de communiquer à ce dernier copie de sa fiche pénale et a enjoint au directeur de lui en donner copie ;
Sur la régularité du jugement :
Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article R. 612-3 du code de justice administrative : Lorsqu'une des parties appelées à produire un mémoire n'a pas respecté le délai qui lui a été imparti en exécution des articles R. 611-10, R. 611-17 et R. 611-26, le président de la formation de jugement... peut lui adresser une mise en demeure. ; qu'en vertu des dispositions de l'article R. 612-6 du même code : Si, malgré une mise en demeure, la partie défenderesse n'a produit aucun mémoire, elle est réputée avoir acquiescé aux faits exposés dans les mémoires du requérant. ; qu'enfin, aux termes du premier alinéa de l'article R. 613-1 : Le président de la formation de jugement peut, par une ordonnance, fixer la date à partir de laquelle l'instruction sera close. Cette ordonnance n'est pas motivée et ne peut faire l'objet d'aucun recours. ;
Considérant que, par lettre reçue le 30 octobre 2003, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Limoges a mis le ministre de la justice en demeure de produire ses observations en réponse à la demande de M. X devant le tribunal administratif en lui impartissant un délai de deux mois expirant le 30 décembre 2003 ; que toutefois, par décision du 17 novembre 2003, le magistrat délégué a fixé la clôture de l'instruction au 5 décembre 2003 et statué sur la demande de M. X le 19 décembre 2003 à la suite d'une audience du 18 décembre ;
Considérant que le magistrat délégué ne pouvait, sans avoir préalablement informé le ministre du raccourcissement du délai qui lui avait été imparti pour produire, fixer la date de la clôture de l'instruction et statuer à une date à laquelle le délai qu'il avait imparti au ministre pour produire n'était pas expiré, ni, au surplus, déduire ainsi qu'il l'a fait du silence du ministre à la date de la clôture que ce dernier avait acquiescé aux faits exposés dans la demande en application de l'article R. 612-6 du code de justice administrative ;
Considérant que le ministre est donc fondé à soutenir que le jugement attaqué est entaché d'une irrégularité de procédure ; qu'il y a lieu d'en prononcer l'annulation ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de statuer au fond sur la demande présentée par M. X devant le tribunal administratif de Limoges ;
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
Considérant qu'aux termes de l'article 2 de la loi du 17 juillet 1978 : Sous réserve des dispositions de l'article 6, les autorités mentionnées à l'article 1er sont tenues de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent titre ; qu'aux termes de l'article 6 de la même loi : I - Ne sont pas communicables les documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte :... - à la sûreté de l'Etat, à la sécurité publique ou à la sécurité des personnes ;... - au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d'opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l'autorité compétente ;... ;
Considérant que la fiche pénale dont la communication a été refusée à M. X est un document établi par le greffe de l'établissement pénitentiaire pour chaque détenu et mis à jour tout au long de la détention ; que s'il comporte, outre des renseignements concernant le détenu et sa famille, la référence et les effets de chacune des décisions juridictionnelles relatives à l'incarcération, à la condamnation et à l'exécution de la peine du détenu de manière à permettre à l'établissement pénitentiaire d'évaluer la durée de la peine restant à purger et la date de sortie du détenu, ce document, qui est détachable des procédures juridictionnelles auxquelles le détenu est partie, présente le caractère d'un document administratif au sens de l'article 2 de la loi du 17 juillet 1978 ; qu'il n'est pas soutenu qu'en l'espèce la communication de la fiche pénale de M. X porterait atteinte à la sûreté de l'Etat, à la sécurité publique ou à la sécurité des personnes ;
Considérant qu'il suit de là que M. X est fondé à soutenir que c'est à tort que le directeur du centre de détention d'Uzerche a refusé de lui communiquer sa fiche pénale par application de ces dispositions et à demander l'annulation de ce refus ;
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
Considérant que l'article L. 911-1 du code de justice administrative dispose : Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public... prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions dans ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. ;
Considérant que la présente décision implique nécessairement que l'administration pénitentiaire délivre copie de sa fiche pénale à M. X ; qu'il convient dès lors d'enjoindre à celle-ci de communiquer cette fiche dans les conditions prévues par la loi du 17 juillet 1978 ;
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du 19 décembre 2003 du magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Limoges est annulé.
Article 2 : La décision implicite par laquelle le directeur du centre de détention d'Uzerche a refusé à M. X la communication de sa fiche pénale est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de la justice de communiquer copie de sa fiche pénale à M. X.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE et à M. Jean-Michel X.