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13/10/2004 | FRANCE | N°248626

France | France, Conseil d'État, 7eme et 2eme sous-sections reunies, 13 octobre 2004, 248626


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 15 juillet et 15 novembre 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Elisabeth Z... veuve ,Y demeurant ... ; Mme Z... veuve Y demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 7 mai 2002 par lequel la cour administrative d'appel de Douai a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Lille du 25 février 1999 en tant que, par ce jugement, ont été rejetées ses demandes tendant à ce que Gaz de France soit condamné à l'indemniser du p

réjudice résultant de la destruction de ses meubles ainsi que de la pert...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 15 juillet et 15 novembre 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Elisabeth Z... veuve ,Y demeurant ... ; Mme Z... veuve Y demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 7 mai 2002 par lequel la cour administrative d'appel de Douai a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Lille du 25 février 1999 en tant que, par ce jugement, ont été rejetées ses demandes tendant à ce que Gaz de France soit condamné à l'indemniser du préjudice résultant de la destruction de ses meubles ainsi que de la perte de revenus qu'elle a subie à la suite du décès accidentel de son époux ;

2°) de mettre à la charge de Gaz de France une somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi du 28 pluviôse an VIII ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Julien Boucher, Auditeur,

- les observations Me X..., avocat Mme Z..., veuve Y et de la SCP Coutard, Mayer, avocat de Gaz de France,

- les conclusions de M. Didier Casas, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. Y... Y est décédé le 11 janvier 1990 des suites de blessures provoquées par une explosion due à une fuite de gaz dans l'immeuble où il résidait avec son épouse ; que, saisi par Mme Z... veuve Y et par les deux enfants majeurs de la victime, le tribunal administratif de Lille a, par un jugement du 25 février 1999, déclaré Gaz de France intégralement responsable des conséquences dommageables de l'accident mortel en cause ; que, toutefois, après avoir donné acte aux parties d'une transaction intervenue entre elles pour l'indemnisation des souffrances physiques endurées par le défunt ainsi que de la douleur morale des requérants et condamné Gaz de France à rembourser à Mme Z... veuve Y les frais funéraires exposés par elle, il a rejeté les demandes de cette dernière tendant à la réparation des préjudices nés respectivement de la destruction de son mobilier et de la perte de revenus qu'elle affirmait avoir subie à la suite du décès de son époux ; que, par un arrêt du 7 mai 2002, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé par Mme Z... veuve Y contre ce jugement en tant qu'il ne lui donnait pas entièrement satisfaction ; que Mme Z... veuve Y se pourvoit en cassation contre cet arrêt ;

Considérant, en premier lieu, qu'aucune disposition législative ou réglementaire ni aucun principe général du droit n'imposait à la cour administrative d'appel de Douai de viser distinctement les pièces produites par les parties à l'appui de leurs mémoires et de les analyser ; que Mme Z... veuve ,YY qui ne soutient pas que la cour se serait fondée, pour rejeter sa requête d'appel, sur des pièces qui ne lui auraient pas été communiquées, n'est pas davantage fondée à soutenir que l'arrêt attaqué aurait été rendu sur une procédure irrégulière ;

Considérant, en deuxième lieu, que c'est sans dénaturer les pièces du dossier qui lui était soumis que la cour administrative d'appel de Douai a estimé, pour rejeter les conclusions de Mme Z... veuve Y tendant à l'indemnisation de la destruction de son mobilier, que la requérante n'apportait, au soutien de ces conclusions, aucune précision ni aucune justification sur la réalité et l'étendue du préjudice allégué ;

Considérant, en revanche, et en troisième lieu, qu'en se fondant, pour rejeter la demande de Mme Z... veuve Y tendant à l'indemnisation du préjudice né de la perte de revenus qu'elle affirmait avoir subie à la suite du décès de son époux, sur la seule circonstance que M. Y était en chômage à la date de son décès et ne justifiait pas, à cette date, avoir retrouvé un emploi, sans rechercher si l'intéressé possédait une chance sérieuse de reprendre une activité rémunérée et de percevoir, à l'avenir, les revenus correspondants, la cour administrative d'appel de Douai a commis une erreur de droit ; que, dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi sur ce point, Mme Z... veuve Y est fondée à demander, pour ce motif, lequel répond, contrairement à ce que soutient Gaz de France, à un moyen déjà soulevé devant les juges du fond, l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il a statué sur le préjudice né de la perte de revenus subie par elle à la suite du décès de son époux ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que, si M. ,Y titulaire d'un diplôme d'ingénieur, n'occupait plus d'emploi stable depuis environ trois ans à la date de son décès, survenu à l'âge de 45 ans, il était activement à la recherche d'un tel emploi ; qu'il bénéficiait d'une offre d'embauche ferme, datée du mois de novembre 1989, émanant de l'administration gabonaise pour le compte de laquelle il avait déjà exercé des fonctions comparables pendant plusieurs années ; que, si un certificat médical établi par son médecin traitant plusieurs années après son décès fait état, sans autre précision, de contre-indications temporaires s'opposant alors au souhait de M. Y de retourner travailler à l'étranger, il ne résulte pas de l'instruction que celui-ci n'aurait pas été en mesure de reprendre une activité rémunérée ; que, dès lors, et alors même qu'il n'avait pas encore, de son vivant, donné suite à l'offre d'embauche dont il bénéficiait, l'intéressé doit être regardé comme ayant été privé, du fait de son décès, d'une chance sérieuse de reprendre une telle activité et de percevoir les revenus correspondants ; qu'il en est résulté, pour Mme Z... veuve ,YY un préjudice certain qui, contrairement à ce que soutient Gaz de France, doit être intégralement réparé à hauteur de la part des revenus futurs de la victime dont son épouse aurait bénéficié ; qu'il résulte de ce qui précède que Mme Z... veuve Y est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à la condamnation de Gaz de France à l'indemniser de la perte de revenus subie par elle à la suite du décès de son époux ;

Sur le montant de l'indemnité due à Mme veuve :

Considérant que, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, notamment de l'âge et de l'espérance de vie de M. Y à la date de son décès, du montant des revenus qu'il avait une chance sérieuse de percevoir à l'avenir, eu égard à ses revenus passés et aux conditions financières de l'offre d'embauche dont il bénéficiait, et de la part de ces revenus dont aurait bénéficié son épouse, il sera fait une juste appréciation du montant de l'indemnité due à Mme Z... veuve Y en condamnant Gaz de France à lui verser un capital de 180 000 euros ;

Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :

Considérant que Mme Z... veuve Y a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 180 000 euros à compter du 30 décembre 1994, date d'enregistrement de sa demande devant le tribunal administratif de Lille ; que la demande de capitalisation présentée à cette date, à laquelle il n'était pas dû au moins une année d'intérêts, ne peut être accueillie ; qu'il y a lieu, en revanche, de faire droit à la demande aux mêmes fins présentée dans le mémoire en réplique de la requérante devant le tribunal administratif de Lille, et ce à la date d'enregistrement de ce mémoire, le 14 janvier 1999, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

Sur les conclusions de Mme Z... veuve Y tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de Gaz de France la somme de 3 500 euros que Mme Z... veuve Y demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lille du 25 février 1999 et l'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 7 mai 2002 sont annulés en tant qu'ils ont statué sur les conclusions de Mme Z... veuve Y tendant à l'indemnisation de la perte de revenus subie par elle à la suite du décès de son époux.

Article 2 : Gaz de France versera à Mme Z... veuve Y un capital de 180 000 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 30 décembre 1994. Les intérêts seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts au 14 janvier 1999 et à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Article 3 : Gaz de France versera à Mme Z... veuve Y une somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de Mme Z... veuve Y tendant à la condamnation de Gaz de France à l'indemniser de la perte de revenus subie par elle à la suite du décès de son époux est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme Elisabeth Z... veuve ,YY à Gaz de France et au ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.


Synthèse
Formation : 7eme et 2eme sous-sections reunies
Numéro d'arrêt : 248626
Date de la décision : 13/10/2004
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 13 oct. 2004, n° 248626
Publié au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Stirn
Rapporteur ?: M. Julien Boucher
Rapporteur public ?: M. Casas
Avocat(s) : BLONDEL ; SCP COUTARD, MAYER

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2004:248626.20041013
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