Vu la requête, enregistrée le 6 décembre 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par le PREFET DE POLICE ; le PREFET DE POLICE demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 7 octobre 2002 par lequel le président du tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 18 janvier 2002 ordonnant la reconduite à la frontière de Mme Justine X et lui a enjoint de délivrer à l'intéressée un titre de séjour portant la mention vie privée et familiale dans un délai d'un mois suivant la notification de ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme X devant le tribunal administratif de Paris ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Landais, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Coutard, Mayer, avocat de Mme X,
- les conclusions de M. Devys, Commissaire du gouvernement ;
Sur la légalité de la mesure de reconduite :
Considérant qu'aux termes du I de l'article 22 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 : Le représentant de l'Etat dans le département et à Paris, le préfet de police, peuvent, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : (...) 3° Si l'étranger, auquel la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé ou dont le titre de séjour a été retiré, s'est maintenu sur le territoire au-delà du délai d'un mois à compter de la date de notification du refus ou du retrait (...) ; qu'il ressort des pièces du dossier que Mme X, de nationalité camerounaise, s'est maintenue dans de telles conditions sur le territoire français ; qu'elle se trouvait ainsi dans le cas où le préfet peut décider la reconduite d'un étranger à la frontière ;
Considérant, cependant, qu'il ressort des pièces du dossier que Mme X, entrée régulièrement en France le 15 octobre 2000, y séjournait régulièrement à la date à laquelle elle a sollicité un titre de séjour ; que ses trois filles, de nationalité française, résident en France où elles ont fondé une famille ; qu'elle est hébergée chez l'une d'elles qui subvient à ses besoins ; que Mme X n'a plus d'attaches familiales dans son pays d'origine ; que, dans ces conditions, le PREFET DE POLICE n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le président du tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté décidant la reconduite à la frontière de Mme X au motif qu'il portait au droit de celle-ci au respect de sa vie familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris et méconnaissait, dès lors, les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une décision dans un sens déterminé, la juridiction saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ; qu'aux termes de l'article L. 911-2 du même code : Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette décision doit intervenir dans un délai déterminé ; que le III de l'article 22 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 dispose que : Si l'arrêté de reconduite à la frontière est annulé (...) l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que le préfet ait à nouveau statué sur son cas ;
Considérant que si, contrairement à ce que soutient le PREFET DE POLICE, il appartient au magistrat qui statue sur la légalité d'un arrêté décidant la reconduite à la frontière d'un étranger de prescrire, le cas échéant, les mesures qu'implique l'exécution de son jugement, l'annulation d'un tel arrêté n'implique pas nécessairement, au sens des dispositions précitées du code de justice administrative, la délivrance d'un titre de séjour ; qu'ainsi, le PREFET DE POLICE est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'article 2 du jugement attaqué, le président du tribunal administratif de Paris lui a enjoint de délivrer à Mme X un titre de séjour vie privée et familiale ;
Considérant qu'il incombe néanmoins au préfet, en application des dispositions précitées du III de l'article 22 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, non seulement de munir l'intéressée d'une autorisation provisoire de séjour, mais aussi de se prononcer sur son droit à un titre de séjour, ainsi que Mme X le demandait à titre subsidiaire devant le tribunal administratif ; qu'il y a lieu, par suite, de prescrire audit préfet de se prononcer sur la situation de Mme X dans le délai de deux mois suivant la notification de la présente décision ;
Sur l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant que Mme X a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la SCP Coutard, Mayer, avocat de Mme X, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à l'avocat de Mme X ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'article 2 du jugement en date du 7 octobre 2002 du président du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : Le PREFET DE POLICE se prononcera sur la situation de Mme X dans un délai de deux mois suivant la notification de la présente décision.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête du PREFET DE POLICE est rejeté.
Article 4 : L'Etat versera à la SCP Coutard, Mayer la somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que ladite société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au PREFET DE POLICE, à Mme Justine X et au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.