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26/03/2004 | FRANCE | N°219974

France | France, Conseil d'État, 7eme sous-section jugeant seule, 26 mars 2004, 219974


Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés les 12 avril et 16 juin 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés, d'une part, pour la SOCIETE MARC, dont le siège social est ..., représentée par son président directeur général, domicilié en cette qualité audit siège, agissant en tant que mandataire commun du groupement solidaire d'entreprises EMCC-Marc, ainsi qu'en son nom propre, d'autre part, la SOCIETE ENTREPRISE MORILLON CORVOL COURBOT (EMCC), dont le siège social est ..., représentée par le président de son conseil d'administration, domici

lié en cette qualité audit siège, enfin pour la SOCIETE CGU COURTAG...

Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés les 12 avril et 16 juin 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés, d'une part, pour la SOCIETE MARC, dont le siège social est ..., représentée par son président directeur général, domicilié en cette qualité audit siège, agissant en tant que mandataire commun du groupement solidaire d'entreprises EMCC-Marc, ainsi qu'en son nom propre, d'autre part, la SOCIETE ENTREPRISE MORILLON CORVOL COURBOT (EMCC), dont le siège social est ..., représentée par le président de son conseil d'administration, domicilié en cette qualité audit siège, enfin pour la SOCIETE CGU COURTAGE, dont le siège social est ..., venant aux droits de la compagnie Commercial Union Assurances, représentée par son président directeur général, domicilié en cette qualité audit siège ; les SOCIETES MARC, EMCC et CGU COURTAGE demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 30 décembre 1999 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a d'une part rejeté leurs requêtes tendant à l'annulation du jugement par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande tendant à ce que la ville de Brest soit condamnée à leur payer diverses sommes au titre de travaux exécutés dans le cadre d'un marché de construction d'une cale d'accostage dans le port du Moulin Blanc à Brest et les a d'autre part condamnées à verser ensemble à la ville de Brest une somme de 6 000 F au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

2°) de condamner la ville de Brest à leur verser chacune la somme de 20 000 F au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu le décret n° 76-87 du 21 janvier 1976 approuvant le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Lenica, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Coutard, Mayer, avocat de la SOCIETE MARC et autres, de Me Haas, avocat de la ville de Brest et de la SCP Boutet, avocat de la société Simecsol,

- les conclusions de M. Piveteau, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que, par l'arrêt attaqué en date du 30 décembre 1999, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel formé par les SOCIETES MARC, ENTREPRISE MORILLON CORVOL COURBOT (EMCC) et Commercial Union Assurance, aux droits de laquelle est venue la société CGU-COURTAGE, contre le jugement par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande tendant à ce que la ville de Brest soit condamnée à leur verser, au titre de ses obligations contractuelles, diverses sommes correspondant à des travaux supplémentaires réalisés à la suite d'un glissement de terrain ayant entraîné des dommages sur la partie centrale du rideau de palplanches de l'ouvrage public dont la construction était prévue par le marché public signé le 7 juin 1988, au motif que les sociétés n'avaient pas adressé, en méconnaissance des stipulations de l'article 13.44 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de travaux, un mémoire de réclamation à la ville de Brest avant de saisir le juge administratif du litige relatif au décompte que leur aurait adressé cette dernière par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 31 août 1992 ; que les SOCIETES MARC, EMCC ET CGU-COURTAGE se pourvoient en cassation contre cet arrêt ;

Considérant en premier lieu qu'aux termes de l'article 13.34 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés publics de travaux : Le projet de décompte final établi par l'entrepreneur est accepté ou rectifié par le maître d'oeuvre ; il devient alors le décompte final ; qu'aux termes de l'article 13.41 du même cahier : Le maître d'oeuvre établit le décompte général qui comprend : - le décompte final défini au 34 du présent article ; - l'état du solde établi, à partir du décompte final et du dernier décompte mensuel (...) ; - la récapitulation des acomptes mensuels et du solde. / Le montant du décompte général est égal au résultat de cette dernière récapitulation ; qu'aux termes de l'article 13.42 : Le décompte général, signé par la personne responsable du marché, doit être notifié à l'entrepreneur par ordre de service (...) ; que l'article 2.51 stipule que les ordres de service sont écrits : ils sont signés par le maître d'oeuvre, datés et numérotés ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la lettre du 31 août 1992, dont la ville de Brest soutient qu'elle constitue le décompte général du marché, ne comporte toutefois aucune indication expresse en ce sens ; que, contrairement aux stipulations précitées de l'article 13.42 du cahier des clauses administratives générales, elle n'a pas été notifiée à l'entrepreneur par ordre de service ; qu'ainsi, la cour administrative d'appel de Nantes a commis une erreur de droit en estimant que pouvait être regardé comme le décompte général d'un marché un document dont ni l'intitulé, ni le contenu, ni les modalités de notification ne sont conformes aux prescriptions du cahier des clauses administratives générales applicable au marché ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision statuant en dernier ressort, peut régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;

Considérant, comme il a été dit-ci dessus, que la lettre du 31 août 1992, dont la ville de Brest soutient qu'elle constituerait le décompte général du marché, n'a été notifiée au mandataire du groupement que par lettre recommandée avec accusé de réception, et non sous la forme d'un ordre de service, comme le prescrit pourtant l'article 13.42 du cahier des clauses administratives générales applicable au marché ;

Considérant que, contrairement à ce que soutient la ville de Brest dans l'hypothèse où la lettre du 31 août 1992 ne devait pas être regardée comme le décompte général du marché, il résulte de l'instruction que la SOCIETE MARC l'a bien mise en demeure de produire ce décompte ; qu'ainsi le moyen tiré de ce que la SOCIETE MARC n'aurait pas rempli les formalités préalables que le cahier des clauses administratives générales applicable au marché impose, en cas de défaut d'établissement du décompte général par le maître de l'ouvrage, au mandataire du groupement avant toute saisine du juge du contrat afin que celui-ci établisse le décompte général et définitif d'un marché manque en fait ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les sociétés requérantes sont fondées à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rennes a jugé que leur requête tendant à la condamnation de la ville de Brest à payer aux SOCIETES EMCC ET MARC diverses sommes au titre de travaux réalisés à la suite d'un sinistre intervenu dans le cadre de l'exécution du marché n'était pas recevable ; qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer sur la demande présentée par les SOCIETES MARC, EMCC et CGU COURTAGE au tribunal administratif de Rennes ;

Sur la responsabilité :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'effondrement du rideau de palplanches à l'origine du dommage survenu lors de l'édification de la cale d'accostage du port du Moulin Blanc s'explique en premier lieu par un défaut dans la conduite générale du chantier, révélé par une sous-estimation de la difficulté technique du projet, qui devait prendre appui sur des argiles de faible cohésion, une insuffisance dans le volume et la nature des études géotechniques préparatoires, et de nombreuses carences dans le suivi du chantier, notamment lorsque les partis-pris techniques retenus par l'entrepreneur étaient sur le point de devenir définitifs ; que le dommage trouve également sa cause dans les erreurs, portant d'une part sur la cote à laquelle se trouvait le substratum rocheux et sur la nature de celui-ci, commises par le bureau d'études Simecsol, chargé des travaux de reconnaissance des sols ; qu'il résulte enfin de l'instruction qu'en s'abstenant de réaliser un relevé de la courbe de battage des palplanches au fur et à mesure de leur pose et en refusant d'étudier la stabilité de l'ouvrage au glissement d'ensemble, le groupement formé par les SOCIETES MARC et EMCC n'a pas agi conformément à ce qu'imposaient les règles de l'art sur un chantier d'une telle nature ; qu'il sera ainsi fait une juste appréciation de la répartition de la responsabilité de chacun dans la survenue du dommage en faisant porter 40 pour cent de celle-ci sur les responsables de la maîtrise d'oeuvre du chantier, à hauteur de 20 pour cent pour la ville de Brest et de 20 pour cent pour le bureau Veritas, 20 pour cent sur le bureau d'études Simecsol, et enfin 40 pour cent sur le groupement formé par les SOCIETES MARC et EMCC ;

Sur le montant des travaux à indemniser :

Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'au-delà du montant initial du marché, contractuellement fixé à 4 091 828,81 F HT, le groupement a fait des premiers travaux, présentés comme supplémentaires et partiellement agrées par avenant, que la commune ne conteste pas, pour un montant de 548 368,92 F HT, ce qui a eu pour effet de porter le montant du marché à 4 640 197,73 F HT ; qu'un ensemble de travaux, dont la décomposition suit, a ensuite été réalisée par le groupement : des travaux de sauvegarde et de démolition de la cale initialement construite, dont les montants s'élèvent respectivement à 243 251,64 F HT et 448 921,54 F HT, certes entrepris de son propre chef par le groupement, mais toutefois indispensables à la bonne exécution de l'ouvrage compris dans les prévisions du marché ; puis, pour un montant que le groupement chiffre à 8 000 258,38 F HT sans être davantage contesté, des travaux de reprise et de confortation, rendus nécessaires pour réaliser l'ouvrage initialement prévu dans des conditions normales de solidité et de sécurité ; des ajouts supplémentaires, auxquels la ville a tenu, pour un montant chiffré par l'expert, de 2 501 212 F HT ; que, sur ces travaux, le premier poste, qui correspond à des travaux non liés aux dommages et acceptés par la ville et le dernier poste, qui correspond à la plus-value entre l'ouvrage livré et celui prévu à l'origine, doivent être imputés intégralement à la ville, tandis que tous les autres, qui représentent un montant global de 6 191 219,56 F HT doivent faire l'objet du partage de responsabilité défini plus haut ; qu'il convient dès lors de condamner la ville de Brest à payer au groupement la somme de 10 856 141,47 F HT, dont il faut retrancher la somme déjà réglée par la commune de 4 044 100 F TTC, soit 3 409 865,09 F HT, ce qui représente une somme, tous calculs faits, de 7 446 276,38 F HT ou 8 831 283,79 F TTC, soit 1 346 320,53 euros TTC ;

Sur le montant des pénalités de retard :

Considérant que la ville de Brest estime, en ne tenant compte que de la date de livraison fixée par l'avenant du 5 février 1992, que la livraison de l'ouvrage a eu lieu avec 912 jours de retard sur le calendrier prévu par les prévisions du marché ; qu'il résulte toutefois de l'esprit du protocole d'accord signé par les parties le 13 avril 1990, lequel prévoit un délai d'exécution de cinq mois, que la commune intention des parties était de fixer le début de la dernière phase d'exécution des travaux au 1er décembre 1990 ; que la date de fin de marché doit ainsi être fixée au 1er mai 1991 ; que l'ouvrage n'ayant été livré que le 31 octobre 1991, un retard de 184 jours doit être porté au débit de l'entreprise ; que par application des modalités prévues au marché, le montant total des pénalités dues par l'entreprise s'élève à 1/3000ème du montant initial de celui-ci multiplié par le nombre de jours de retard, ce qui représente une somme de 283 104,16 F HT, soit 335 761,54 F TTC soit 51 186,52 euros TTC ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que par soustraction entre les sommes dues au titre des travaux dont il convient d'indemniser le groupement et le montant des pénalités de retard, il convient d'allouer au groupement une indemnité de 1 295 134,01 euros TTC ; que sur cette somme, il y a lieu de verser la somme de 1 805 504 F, soit 275 247,31 euros à la SOCIETE CGU COURTAGE, au titre de la subrogation légale dont elle dispose ;

Sur les intérêts et leur capitalisation :

Considérant qu'en application des dispositions de l'article 353 du code des marchés publics dans sa rédaction issue du décret n° 79-1000 du 27 novembre 1979, auquel renvoie l'article 11-7 du cahier des clauses administratives générales applicable au marché, le défaut de mandatement dans le délai de quarante-cinq jours fait courir de plein droit et sans autre formalité, au bénéfice du titulaire ou du sous-traitant, des intérêts moratoires à partir du jour suivant l'expiration dudit délai jusqu'au quinzième jour inclus suivant la date de mandatement du principal ; qu'il résulte de l'instruction que le groupement a présenté à la ville de Brest son décompte de règlement le 4 juin 1992 ; qu'il résulte de ce qui précède que le groupement a droit au versement des intérêts moratoires à compter du 20 juillet 1992 ; qu'il sera fait droit à sa demande de capitalisation des intérêts, présentée pour la première fois dans un mémoire enregistré au greffe du tribunal administratif de Rennes le 27 juillet 1995, date à laquelle était due une année entière d'intérêts, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

Sur l'appel en garantie :

Considérant ainsi qu'il a été dit ci-dessus, qu'il sera fait une juste appréciation des responsabilités respectives de la ville de Brest, de la société Simecsol et du bureau Veritas, en condamnant la société Simecsol et le bureau Veritas à garantir solidairement la ville de Brest à hauteur des deux tiers des six dixièmes de la somme de 6 191 219,56 F HT correspondant aux travaux de démolition, de sauvegarde et de reconstruction de l'ouvrage en tenant compte de normes normales de sécurité et de solidité ; que la somme de 223 880,11 euros TTC, assortie des intérêts et de leur capitalisation dans les conditions fixées ci-dessus, sera ainsi mise d'une part à la charge de la société Simecsol, d'autre part à la charge du bureau Veritas ;

Sur les frais d'expertise :

Considérant qu'il y a lieu de les mettre à la charge de la ville de Brest, solidairement garantie à hauteur des deux tiers de leur montant par la société Simecsol et le bureau Veritas ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions, et de mettre à la charge de la ville de Brest la somme de 3 000 euros que chacune des SOCIETES MARC, EMCC et CGU COURTAGE demandent au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ; qu'en revanche, ces dispositions font obstacle à ce que ces sociétés, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, soient condamnées à payer à la ville de Brest la somme que celle-ci demande au même titre ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes en date du 30 décembre 1999 est annulé.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Rennes en date du 3 avril 1997 est annulé.

Article 3 : La ville de Brest est condamnée à verser une somme de 275 247,31 euros à la SOCIETE CGU COURTAGE et de 1 019 886,70 euros au groupement formé par les SOCIETES MARC et EMCC, assorties des intérêts moratoires à compter du 20 juillet 1992. Les intérêts échus au 27 juillet 1995 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêt.

Article 4 : La société Simecsol et le bureau d'études Veritas verseront chacun la somme de 223 880,11 euros, assortie des intérêts moratoires à compter du 20 juillet 1992 et de la capitalisation des intérêts échus au 27 juillet 1995, au titre de leur garantie solidaire de la ville de Brest.

Article 5 : Les frais d'expertise sont mis à la charge de la ville de Brest, garantie à hauteur des deux tiers de ce montant par la société Simecsol et le bureau d'études Veritas.

Article 6 : La ville de Brest versera à chacune des SOCIETES MARC, EMCC, et CGU COURTAGE la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 7 : Les conclusions de la ville de Brest tendant au remboursement des frais exposés par elle et non compris dans les dépens sont rejetées.

Article 8 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE MARC, à la SOCIETE ENTREPRISE MORILLON CORVOL COURBOT, à la SOCIETE CGU-COURTAGE, à la ville de Brest et au ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.


Synthèse
Formation : 7eme sous-section jugeant seule
Numéro d'arrêt : 219974
Date de la décision : 26/03/2004
Sens de l'arrêt : Satisfaction partielle
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 26 mar. 2004, n° 219974
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Genevois
Rapporteur ?: M. Lenica
Rapporteur public ?: M. Piveteau
Avocat(s) : SCP COUTARD, MAYER

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2004:219974.20040326
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