Vu la requête, enregistrée le 11 mars 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par le PREFET DE POLICE ; le PREFET DE POLICE demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 6 décembre 2002 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 11 juillet 2002 ordonnant la reconduite à la frontière de Mlle Hélène A ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mlle A devant le tribunal administratif de Paris ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945, modifiée notamment par la loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003 ;
Vu le décret n° 46-1574 du 30 juin 1946 modifié ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. J. Boucher, Auditeur,
- les conclusions de M. Piveteau, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'aux termes du I de l'article 22 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France : Le représentant de l'Etat dans le département et, à Paris, le préfet de police peuvent, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : (...) 3° Si l'étranger auquel la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé ou dont le titre de séjour a été retiré, s'est maintenu sur le territoire au-delà du délai d'un mois à compter de la date de notification du refus ou du retrait (...) ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Mlle Hélène A, de nationalité camerounaise, s'est maintenue sur le territoire français plus d'un mois après la notification, le 14 janvier 2002, de la décision du même jour par laquelle le PREFET DE POLICE a rejeté sa demande de titre de séjour et l'a invitée à quitter le territoire ; qu'elle se trouvait ainsi dans le cas prévu par les dispositions précitées du 3° du I de l'article 22 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 où le préfet peut décider la reconduite d'un étranger à la frontière ;
Sur la légalité de l'arrêté du 11 juillet 2002 ordonnant la reconduite à la frontière de Mlle A :
Considérant que si Mlle A fait valoir qu'elle vit depuis 1995 avec un ressortissant camerounais titulaire d'une carte de résident et est la mère d'une enfant née en France le 27 mars 1999, il ne ressort pas des pièces du dossier que le PREFET DE POLICE ait entaché l'arrêté du 11 juillet 2002 par lequel il a décidé la reconduite à la frontière de l'intéressée d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de cette mesure sur sa situation personnelle ; que, par suite, le PREFET DE POLICE est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Paris s'est fondé, pour annuler l'arrêté litigieux, sur ce qu'il serait entaché d'une telle erreur manifeste ;
Considérant, toutefois, qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner l'autre moyen soulevé par Mlle A devant le tribunal administratif de Paris ;
Considérant qu'indépendamment de l'énumération donnée par l'article 25 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 des catégories d'étrangers qui ne peuvent faire l'objet d'une mesure d'éloignement, qu'il s'agisse d'un arrêté d'expulsion pris selon la procédure normale ou d'un arrêté de reconduite à la frontière, l'autorité administrative ne saurait légalement prendre une mesure de reconduite à l'encontre d'un étranger que si ce dernier se trouve en situation irrégulière au regard des règles relatives à l'entrée et au séjour ; que lorsque la loi prescrit que l'intéressé doit se voir attribuer de plein droit un titre de séjour, cette circonstance fait obstacle à ce qu'il puisse légalement être l'objet d'une mesure de reconduite à la frontière ;
Considérant qu'aux termes de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France : Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention vie privée et familiale est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger, ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus ; qu'il ressort des pièces du dossier, ainsi qu'il a été dit, que Mlle A vit depuis 1995 en concubinage avec un ressortissant étranger entré en France en 1981 et titulaire d'une carte de résident, avec lequel elle a eu une fille âgée de plus de trois ans à la date de l'arrêté du 11 juillet 2002 ordonnant sa reconduite à la frontière ; que, dès lors, en l'absence de tout motif d'ordre public y faisant obstacle, Mlle A pouvait prétendre, à cette date, à la délivrance de plein droit d'une carte de séjour temporaire sur le fondement des dispositions précitées du 7° de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 ; que, par suite, le PREFET DE POLICE ne pouvait légalement prendre à son encontre un tel arrêté sans méconnaître ces dispositions ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le PREFET DE POLICE n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 11 juillet 2002 ordonnant la reconduite à la frontière de Mlle A ;
Sur les conclusions incidentes de Mlle A tendant à ce qu'il soit enjoint au PREFET DE POLICE de lui délivrer une carte de séjour temporaire :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-2 du code de justice administrative : Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette décision doit intervenir dans un délai déterminé ; que le III de l'article 22 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 dispose que si l'arrêté de reconduite à la frontière est annulé (...) l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que le préfet ait à nouveau statué sur son cas ;
Considérant que la présente décision, qui confirme l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté de reconduite à la frontière pris à l'encontre de Mlle A et non pas d'une décision refusant de délivrer à celle-ci une carte de séjour temporaire n'implique pas nécessairement la délivrance à l'intéressée d'une telle carte ; que, toutefois, à la suite de l'annulation d'un arrêté de reconduite à la frontière, il incombe au préfet, en application des dispositions précitées du III de l'article 22 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, non seulement de munir l'intéressée d'une autorisation provisoire de séjour mais aussi, qu'il ait été ou non saisi d'une demande en ce sens, de se prononcer sur son droit à un titre de séjour ; que, dès lors, il appartient au juge administratif, lorsqu'il prononce l'annulation d'un arrêté de reconduite à la frontière et qu'il est saisi de conclusions en ce sens, d'user des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 911-2 du code de justice administrative pour fixer le délai dans lequel la situation de l'intéressé doit être réexaminée, au vu de l'ensemble de la situation de droit et de fait existant à la date de ce réexamen ;
Considérant qu'en vertu de l'article 5 du décret du 30 juin 1946 réglementant les conditions d'entrée et de séjour en France des étrangers, le titre de séjour est délivré par le préfet du département dans lequel l'étranger a sa résidence et à Paris par le préfet de police ; qu'il ressort des pièces du dossier qu'à la date à laquelle le Conseil d'Etat est amené à statuer, Mlle A a sa résidence dans le département des Hauts-de-Seine ; qu'il y a lieu, par suite, d'enjoindre au préfet des Hauts-de-Seine, territorialement compétent, de se prononcer sur la situation de Mlle A dans le délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision ; qu'il n'y a pas lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte ;
Sur les conclusions de Mlle A tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de condamner l'Etat à verser à Mlle A la somme de 1 600 euros que celle-ci demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête du PREFET DE POLICE est rejetée.
Article 2 : Il est enjoint au préfet des Hauts-de-Seine de se prononcer sur la situation de Mlle A dans le délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision.
Article 3 : L'Etat versera à Mlle A la somme de 1 600 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par Mlle A devant le Conseil d'Etat est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au PREFET DE POLICE, à Mlle Hélène A, au préfet des Hauts-de-Seine et au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.