Vu la requête, enregistrée le 21 octobre 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Bernard A, demeurant ... et tendant à ce que le juge des référés du Conseil d'Etat :
1°) suspende sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative la décision implicite par laquelle le Garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté sa demande d'admission à la retraite à compter du 30 novembre 2003, avec jouissance immédiate d'une pension concédée conformément aux dispositions des articles L. 12-b et L. 24-I-3° du code des pensions civiles et militaires ;
2°) enjoigne au Garde des sceaux, ministre de la justice, de prendre une nouvelle décision dans un délai de 15 jours sous peine d'une astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;
3°) condamne l'Etat à lui verser une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
il soutient qu'il y a urgence eu égard tant à la proximité de la date du 30 novembre 2003 à compter de laquelle il a demandé à être mis à la retraite avec jouissance immédiate d'une pension dans les conditions prévues par les articles L. 12-b et L. 24-I-3° du code des pensions civiles et militaires de retraite qu'à la circonstance que, compte tenu de ce que la réforme du régime des retraites entrera en application le 1er janvier 2004, repousser la décision sur sa demande au delà de cette date lui ferait perdre le bénéfice des dispositions actuellement en vigueur ; qu'ayant élevé quatre enfants il est fondé à demander le bénéfice des dispositions de l'article L. 24-I-3° du code des pensions civiles et militaires de retraite et de celles de l'article 12-b du même code dans leur rédaction, applicable jusqu'au 31 décembre 2003, antérieure à la loi du 21 août 2003, et ce conformément à l'interprétation donnée de ces articles par la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes et du Conseil d'Etat ;
Vu la demande adressée au Garde des sceaux par M. A ;
Vu, enregistré le 28 octobre 2003, le mémoire présenté au nom de l'Etat par le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire ; le ministre conclut au rejet de la requête et soutient que la condition d'urgence posée par l'article L. 521-1 du code de justice administrative n'est pas remplie ; que d'une part le bref délai entre la date de la demande de pension, le 21 août 2003, et celle, le 30 novembre 2003, à laquelle M. A demande à être admis à la retraite ne l'autorise pas à invoquer la notion d'urgence, dès lors qu'il s'est placé lui-même dans la situation qu'il invoque ; que par ailleurs, le report éventuel en 2004 de sa cessation d'activité ne modifierait pas sa situation au regard du droit des pensions dès lors que, d'une part, la loi du 21 août 2003 n'a pas modifié les dispositions relatives à la jouissance immédiate définies par l'article L. 24-I-3° et que, d'autre part, s'agissant des bonifications pour enfants les droits de l'intéressé devront en toute hypothèse être appréciés au regard des dispositions nouvelles issues de la loi du 21 août 2003 qui, en vertu de l'article 48-II de celle-ci, s'appliquent aux pensions liquidées à compter du 28 mai 2003 ;
Vu, enregistré le 29 octobre 2003, le mémoire par lequel le Garde des sceaux s'en remet au mémoire du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ;
Vu, enregistré le 31 octobre 2003, le mémoire en réplique présenté par M. A qui conclut dans le même sens que sa requête ; il soutient que s'il n'a pas sollicité plus tôt son admission à la retraite c'est en raison de l'incertitude qui découlait du projet de réforme du régime des retraites ; qu'il justifiera de 37, 5 annuités au 30 novembre 2003 ; que le report en 2004 de son admission à la retraite le conduirait à différer son départ sans que la pension soit majorée ; que ce report lui ferait perdre le bénéfice du régime des bonifications supprimé par la loi du 21 août 2003 ; que le nouveau régime des bonifications n'a pas d'effet rétroactif et s'applique jusqu'au 31 décembre 2003 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
Vu la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites ;
Vu le décret n° 86-792 du 2 octobre 1980 tendant à accélérer le règlement des droits à pension de retraite de l'Etat ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. Bernard A, d'autre part, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et le Garde des sceaux, ministre de la justice ;
Vu le procès-verbal de l'audience publique du 5 novembre 2003 à 11 heures au cours de laquelle ont été entendus :
- Me GARREAU, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. Bernard A ;
- M. Bernard A ;
- la représentante du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ;
Considérant qu'aux termes de l'article 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite, dans sa rédaction issue de la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites : Aux services effectifs s'ajoutent, dans les conditions déterminées par un décret en Conseil d'Etat, les bonifications ci-après : /... b) Pour chacun de leurs enfants légitimes et de leurs enfants naturels nés antérieurement au 1er janvier 2004, pour chacun de leurs enfants dont l'adoption est antérieure au 1er janvier 2004 et, sous réserve qu'ils aient été élevés pendant neuf ans au moins avant leur vingt et unième anniversaire, pour chacun des autres enfants énumérés au II de l'article L. 18 dont la prise en charge a débuté antérieurement au 1er janvier 2004, les fonctionnaires et militaires bénéficient d'une bonification fixée à un an, qui s'ajoute aux services effectifs, à condition qu'ils aient interrompu leur activité dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat ; qu'aux termes du II de l'article 48 de la loi du 21 août 2003, les dispositions mentionnées ci-dessus s'appliquent aux pensions liquidées à compter du 28 mai 2003 ;
Considérant que pour soutenir que la condition posée par l'article L. 521-1 du code de justice administrative tenant à l'urgence est remplie, M. A fait valoir d'une part, la proximité de la date du 30 novembre 2003 à compter de laquelle il a demandé à être mis à la retraite avec jouissance immédiate d'une pension concédée dans les conditions prévues par les articles L. 12-b et L. 24-I-3° du code des pensions civiles et militaires de retraite, et, d'autre part, le fait que si sa demande ne donnait pas lieu à une décision avant le 31 décembre 2003, il perdrait le bénéfice des dispositions de l'article 12-b, relatives aux bonifications pour enfants, dans leur rédaction antérieure à la loi du 21 août 2003 ;
Considérant, sur le premier point, qu'alors qu'aux termes de l'article 3 du décret susvisé du 2 octobre 1980 ... le fonctionnaire, le magistrat ou le militaire relevant du code des pensions civiles et militaires de retraite qui désire faire valoir ses droits à pension avant la limite d'âge doit déposer sa demande d'admission à la retraite six mois au moins avant la date à laquelle il souhaite cesser son activité , ce n'est que le 21 août 2003 que M. Bernard A a adressé au Garde des sceaux une demande d'admission à la retraite à compter du 30 novembre 2003 ; qu'il ne saurait dès lors, en l'absence de circonstances particulières, invoquer l'urgence qui s'attacherait à une situation dans laquelle il s'est lui-même placé ;
Considérant sur le second point qu'il résulte des termes mêmes du II, précité, de l'article 48 de la loi du 21 août 2003, que les dispositions de l'article 12-b du code des pensions civiles et militaires de retraite, dans leur rédaction antérieure à cette date, ne sont pas applicables aux pensions liquidées à compter du 28 mai 2003 ; que dès lors, M. A ne saurait soutenir que ces dispositions demeurent applicables jusqu'au 31 décembre 2003 et que, dès lors, il y aurait urgence, pour qu'il puisse en bénéficier, que sa pension fût liquidée avant cette date ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il n'y a pas urgence à ce que soient prononcées les mesures provisoires que M. A demande au juge des référés ; que dès lors les conclusions de M. A tendant à la suspension de la décision implicite de rejet opposée à la demande doivent être rejetées ;
Sur les conclusions de M. A tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l'Etat soit condamné à payer à M. A la somme de 3 000 euros que celui-ci demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de M. A est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. Bernard A, au garde des sceaux, ministre de la justice et au ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire.