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02/07/2003 | FRANCE | N°254536

France | France, Conseil d'État, 8ème et 3ème sous-sections réunies, 02 juillet 2003, 254536


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 26 et 28 février 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE OUTREMER FINANCE LIMITED, dont le siège est Elizabethan Square PO Box 1984 George Town Grand Cayman à Cayman Islands (Royaume Uni), représentée par ses dirigeants légaux en exercice ; la SOCIETE OUTREMER FINANCE LIMITED demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 20 février 2003 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté, en application de l'article L. 522-3

du code de justice administrative, la demande qu'elle lui avait présent...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 26 et 28 février 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE OUTREMER FINANCE LIMITED, dont le siège est Elizabethan Square PO Box 1984 George Town Grand Cayman à Cayman Islands (Royaume Uni), représentée par ses dirigeants légaux en exercice ; la SOCIETE OUTREMER FINANCE LIMITED demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 20 février 2003 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté, en application de l'article L. 522-3 du code de justice administrative, la demande qu'elle lui avait présentée sur le fondement de l'article L. 521-2 du même code en vue d'obtenir, d'une part, la suspension de la décision du 6 février 2003 par laquelle le directeur général d'Aéroports de Paris a ordonné la rétention de l'aéronef A 340-313 immatriculé F. GTUA, d'autre part, l'enlèvement des obstacles placés autour de l'aéronef, sous astreinte de 100 000 euros par jour de retard ;

2°) de faire droit à ses conclusions de première instance ;

3°) de condamner Aéroports de Paris à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu, enregistrée le 18 juin 2003, la note en délibéré présentée pour Aéroports de Paris ;

Vu la loi n° 53-611 du 11 juillet 1953 portant redressement économique et financier, notamment son article 7 ;

Vu le code de l'aviation civile ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. de La Verpillière, Conseiller d'Etat,

- les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la SOCIETE OUTREMER FINANCE LIMITED et de la SCP Piwnica, Molinié, avocat d'Aéroports de Paris,

- les conclusions de M. Bachelier, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public... aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale ;

Considérant que le droit de propriété a le caractère d'une liberté fondamentale au sens des dispositions précitées ; qu'ainsi, en rejetant la demande de la SOCIETE OUTREMER FINANCE LIMITED au motif que le droit de propriété n'était pas au nombre des libertés fondamentales dont la protection peut être demandée sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a entaché son ordonnance d'erreur de droit ; que la société requérante est dès lors fondée à demander l'annulation de ladite ordonnance ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée ;

Considérant que la demande présentée par la SOCIETE OUTREMER FINANCE LIMITED au juge des référés administratifs, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, doit être regardée comme tendant à ce qu'il soit mis fin à l'application de la décision du 6 février 2003 par laquelle le directeur général d'Aéroports de Paris a ordonné la rétention de l'aéronef A 340-313 immatriculé F-GTUA, appartenant à la société requérante ;

Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction que la Compagnie Air Lib a perdu, le 6 février 2003, la licence en vertu de laquelle elle exploitait l'aéronef mentionné ci-dessus, que le contrat de location de cet aéronef qui la liait à la société requérante a été résilié le 12 février 2003, et qu'elle a, d'ailleurs, été placée en liquidation judiciaire à compter du 17 février 2003 ; que, dès lors, eu égard à l'importance du préjudice financier résultant, pour la société requérante propriétaire de l'avion, de son immobilisation, laquelle fait obstacle à une nouvelle location, la condition d'urgence posée par l'article L. 521-2 précité est remplie ;

Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article R. 224-4 du code de l'aviation civile, issu de l'article 20 du décret n° 53-893 du 24 septembre 1953, lui-même pris en application de l'article 7 de la loi d'habilitation du 11 juillet 1953 : Les redevances sont dues par le seul fait de l'usage des ouvrages, installations, bâtiments et outillages qu'elles rémunèrent. En cas de non-paiement des redevances dues par l'exploitant de l'aéronef, l'exploitant de l'aérodrome est admis à requérir de l'autorité responsable de la circulation aérienne sur l'aérodrome que l'aéronef y soit retenu jusqu'à consignation du montant des sommes en litige ; que les dispositions précitées, applicables, même lorsque l'aéronef est en location, n'ont cependant pas pour objet ni pour effet d'instaurer une solidarité, pour le paiement des redevances aéroportuaires, entre le locataire exploitant et le propriétaire ; que, par suite, après la résiliation du contrat de location avec l'exploitant, l'administration ne peut plus légalement retenir un aéronef dont le propriétaire n'est pas l'exploitant et n'est pas redevable des redevances aéroportuaires en cause ; qu'ainsi, en l'espèce, alors qu'aucune fraude à la loi n'est invoquée par Aéroports de Paris, le maintien de la rétention de l'aéronef appartenant à la SOCIETE OUTREMER FINANCE LIMITED doit être regardé comme portant au droit de propriété de la société requérante une atteinte grave et manifestement illégale ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'ordonner à Aéroports de Paris, sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de mettre fin à l'application de la décision du 6 février 2003 du directeur général d'Aéroports de Paris en enlevant les obstacles placés autour de l'aéronef A 340-313 immatriculé F-GTUA appartenant à la SOCIETE OUTREMER FINANCE LIMITED, sous astreinte de 50 000 euros par jour de retard, à compter d'un délai de huit jours suivant la notification de la présente décision ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de cet article font obstacle à ce que la SOCIETE OUTREMER FINANCE LIMITED, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamnée à payer à Aéroports de Paris la somme qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, en revanche, de condamner Aéroports de Paris à verser à ce titre une somme de 3 000 euros à la SOCIETE OUTREMER FINANCE LIMITED ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'ordonnance du 20 février 2003 du juge des référés du tribunal administratif de Paris est annulée.

Article 2 : Il est enjoint à Aéroports de Paris, sous astreinte de 50 000 euros par jour de retard à compter d'un délai de huit jours suivant la notification de la présente décision, de mettre fin à l'application de la décision du 6 février 2003 du directeur général d'Aéroports de Paris en enlevant les obstacles placés autour de l'aéronef A 340-313 immatriculé F-GTUA appartenant à la SOCIETE OUTREMER FINANCE LIMITED.

Article 3 : Aéroports de Paris versera à la SOCIETE OUTREMER FINANCE LIMITED une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions présentées par Aéroports de Paris sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE OUTREMER FINANCE LIMITED et à Aéroports de Paris.

Copie pour information sera adressée au ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

PROCÉDURE - PROCÉDURES INSTITUÉES PAR LA LOI DU 30 JUIN 2000 - RÉFÉRÉ TENDANT AU PRONONCÉ DE MESURES NÉCESSAIRES À LA SAUVEGARDE D'UNE LIBERTÉ FONDAMENTALE (ART - L - 521-2 DU CODE DE JUSTICE ADMINISTRATIVE) - CONDITIONS D'OCTROI DE LA MESURE DEMANDÉE - ATTEINTE GRAVE ET MANIFESTEMENT ILLÉGALE À UNE LIBERTÉ FONDAMENTALE - ATTEINTE GRAVE ET MANIFESTEMENT ILLÉGALE - DROIT DE PROPRIÉTÉ - MAINTIEN EN RÉTENTION D'UN AÉRONEF DONT LE PROPRIÉTAIRE - QUI N'EST PAS L'EXPLOITANT - N'EST PAS REDEVABLE DES REDEVANCES AÉROPORTUAIRES (ARTICLE R - 224-4 DU CODE DE L'AVIATION CIVILE).

54-035-03-03-01-02 Aux termes de l'article R. 224-4 du code de l'aviation civile, issu de l'article 20 du décret n° 53-893 du 24 septembre 1953, lui-même pris en application de l'article 7 de la loi d'habilitation du 11 juillet 1953 : Les redevances sont dues par le seul fait de l'usage des ouvrages, installations, bâtiments et outillages qu'elles rémunèrent. En cas de non-paiement des redevances dues par l'exploitant de l'aéronef, l'exploitant de l'aérodrome est admis à requérir de l'autorité responsable de la circulation aérienne sur l'aérodrome que l'aéronef y soit retenu jusqu'à consignation du montant des sommes en litige. Ces dispositions, applicables même lorsque l'aéronef est en location, n'ont cependant pas pour objet ni pour effet d'instaurer une solidarité, pour le paiement des redevances aéroportuaires, entre le locataire exploitant et le propriétaire. Par suite, après la résiliation du contrat de location avec l'exploitant, l'administration ne peut plus légalement retenir un aéronef dont le propriétaire n'est pas l'exploitant et n'est pas redevable des redevances aéroportuaires en cause. Dès lors, alors qu'aucune fraude à la loi n'est invoquée, le maintien de la rétention de l'aéronef doit être regardé comme portant au droit de propriété de la société requérante une atteinte grave et manifestement illégale.

PROCÉDURE - PROCÉDURES INSTITUÉES PAR LA LOI DU 30 JUIN 2000 - RÉFÉRÉ TENDANT AU PRONONCÉ DE MESURES NÉCESSAIRES À LA SAUVEGARDE D'UNE LIBERTÉ FONDAMENTALE (ART - L - 521-2 DU CODE DE JUSTICE ADMINISTRATIVE) - CONDITIONS D'OCTROI DE LA MESURE DEMANDÉE - URGENCE - EXISTENCE - MAINTIEN EN RÉTENTION D'UN AÉRONEF DONT LE PROPRIÉTAIRE - QUI N'EST PAS L'EXPLOITANT - N'EST PAS REDEVABLE DES REDEVANCES AÉROPORTUAIRES (ARTICLE R - 224-4 DU CODE DE L'AVIATION CIVILE) - IMPORTANT PRÉJUDICE FINANCIER RÉSULTANT DE L'IMMOBILISATION DE L'AÉRONEF.

54-035-03-03-02 Il résulte de l'instruction que la compagnie Air Lib a perdu, le 6 février 2003, la licence en vertu de laquelle elle exploitait un aéronef. Le contrat de location de cet aéronef, qui la liait à la société requérante, a été résilié le 12 février 2003. Elle a, d'ailleurs, été placée en liquidation judiciaire à compter du 17 février 2003. Dès lors, eu égard à l'importance du préjudice financier résultant, pour la société requérante propriétaire de l'avion, de son immobilisation, laquelle fait obstacle à une nouvelle location, la condition d'urgence posée par l'article L. 521-2 du code de justice administrative est remplie.


Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 02 jui. 2003, n° 254536
Publié au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : M. Lasserre
Rapporteur ?: M. Charles de La Verpillière
Rapporteur public ?: M. Bachelier Gilles
Avocat(s) : SCP CELICE, BLANCPAIN, SOLTNER ; SCP PIWNICA, MOLINIE

Origine de la décision
Formation : 8ème et 3ème sous-sections réunies
Date de la décision : 02/07/2003
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 254536
Numéro NOR : CETATEXT000019278993 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2003-07-02;254536 ?
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