Vu le recours du MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE, enregistré le 23 août 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat ; le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 13 juin 2000 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation du jugement du 17 octobre 1995 par lequel le tribunal administratif de Paris a accordé à la société de droit suisse Interhome AG la décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 1984 à 1986 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention franco-suisse du 9 septembre 1966 ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Verclytte, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat de la société Interhome AG,
- les conclusions de M. Austry, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'aux termes de l'article 209 du code général des impôts : I. Sous réserve des dispositions de la présente section, les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés d'après les règles fixées par les articles 34 à 45, 53 A à 57 et 302 septies A bis et en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions... ; qu'aux termes de l'article 7 de la convention franco-suisse du 9 septembre 1966 : 1) Les bénéfices d'une entreprise d'un Etat contractant ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l'entreprise n'exerce son activité dans l'autre Etat contractant par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé. Si l'entreprise exerce son activité d'une telle façon, les bénéfices de l'entreprise sont imposables dans l'autre Etat, mais uniquement dans la mesure où ils sont imputables audit établissement... ; qu'aux termes de l'article 5 de la même convention : 1) Au sens de la présente convention, l'expression établissement stable désigne une installation fixe d'affaires où l'entreprise exerce tout ou partie de son activité. 2) L'expression établissement stable comprend notamment : a) un siège de direction ; b) une succursale ; c) un bureau ; d) une usine ; e) un atelier ; f) une mine, une carrière, ou tout autre lieu d'extraction de ressources naturelles ; g) un chantier de construction ou de montage dont la durée dépasse douze mois... 4) Une personne agissant dans un Etat contractant pour le compte d'une entreprise de l'autre Etat contractant, autre qu'un agent jouissant d'un statut indépendant, visé au paragraphe 6, est considérée comme établissement stable dans le premier Etat si elle dispose dans cet Etat de pouvoirs qu'elle y exerce habituellement lui permettant de conclure des contrats au nom de l'entreprise, à moins que l'activité de cette personne ne soit limitée à l'achat de marchandises pour l'entreprise... 6) On ne considère pas qu'une entreprise d'un Etat a un établissement stable dans l'autre Etat contractant du seul fait qu'elle y exerce son activité par l'intermédiaire d'un courtier, d'un commissionnaire général ou de tout autre intermédiaire jouissant d'un statut indépendant, à condition que ces personnes agissent dans le cadre normal de leur activité ; 7) Le fait qu'une société qui est un résident d'un Etat contractant contrôle ou est contrôlée par une société qui est un résident de l'autre Etat contractant ou qui y exerce son activité (que ce soit par l'intermédiaire d'un établissement stable ou non) ne suffit pas, en lui-même, à faire de l'une quelconque de ces sociétés un établissement stable de l'autre... ;
Considérant que, pour l'application de ces stipulations, une société résidente de France contrôlée par une société résidente de Suisse ne peut constituer un établissement stable de cette dernière que si elle ne peut être considérée comme un agent indépendant de la société résidente de Suisse et si elle exerce habituellement en France, en droit ou en fait, des pouvoirs lui permettant d'engager cette société dans une relation commerciale ayant trait aux opérations constituant les activités propres de cette société ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumises aux juges du fond, et souverainement appréciées par ces derniers, que l'activité de la société Interhome AG consiste à conclure avec des propriétaires de résidences secondaires situées dans divers pays européens un mandat pour donner ces résidences en location, cette activité d'intermédiation ayant pour contrepartie une commission dont les modalités de calcul sont fixées par le contrat de mandat ; qu'à cette fin, elle édite un catalogue de ces résidences et convie les locataires éventuels à entrer en relation avec ses filiales locales, qui veillent à l'entretien des résidences concernées, signent les baux et en contrôlent la bonne exécution avant et après la remise des clefs ; que, pour estimer que la société Interhome Gestion, filiale française de la société Interhome AG, ne constituait pas un établissement stable de cette dernière société, la cour administrative d'appel a relevé que l'administration ne contestait pas que cette filiale ne disposait pas du pouvoir de conclure en son nom les contrats de mandats de location avec les propriétaires ; qu'en se fondant sur cette seule circonstance pour juger que la société Interhome Gestion ne pouvait être regardée comme un établissement stable de la société Interhome AG, sans rechercher si la société Interhome Gestion exerçait en fait, et non seulement en droit, des pouvoirs lui permettant d'engager sa société mère dans une relation commerciale ayant trait aux opérations constituant les activités propres de cette société, la cour a commis une erreur de droit ;
Considérant qu'il y a lieu, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au fond ;
Considérant, d'une part, qu'il résulte du dossier que la filiale française, bien qu'ayant le statut d'agent immobilier et n'agissant pas hors du cadre normal de ce statut, ne peut être regardée comme jouissant d'un statut indépendant, au sens des paragraphes 4 et 6 de l'article 5 de la convention précitée, dès lors qu'elle exerce son activité exclusivement pour l'exécution des mandats obtenus par sa société mère et que l'insuffisance des commissions reçues de celle-ci n'est comblée que par le versement récurrent d'une subvention d'équilibre ;
Mais considérant, d'autre part, que si cette situation pourrait, le cas échéant, justifier un redressement des bénéfices de la filiale française en vertu de l'article 57 du code général des impôts et dans les conditions énoncées à l'article 9 de la convention franco-suisse, ce à quoi l'administration a en l'espèce renoncé, elle ne pourrait en revanche fonder une imposition des bénéfices de la société suisse, en application de l'article 209 du même code et du paragraphe 4 de l'article 5 de la même convention, que dans la mesure où la société Interhome Gestion engagerait la société suisse dans une relation commerciale qui aurait trait aux opérations constituant les activités propres de cette dernière ; qu'il est constant que la société suisse conserve l'exclusivité des rapports juridiques avec les propriétaires qui la mandatent pour louer leurs résidences et qu'il n'est pas établi, contrairement à ce que soutient l'administration, que sa filiale française participerait à la négociation de ces mandats dans des conditions telles qu'elle pourrait être regardée comme exerçant en fait, sinon en droit, des pouvoirs lui permettant d'engager sa société mère à l'égard desdits propriétaires ; que la délégation donnée par cette société à sa filiale pour signer les baux avec les locataires et veiller à leur bonne exécution n'a pas trait aux opérations constituant son activité propre et ne permet dès lors pas de requalifier cette filiale en établissement stable de sa société mère, aux fins d'appréhender en France les bénéfices générés par les mandats confiés à cette dernière par les propriétaires ;
Considérant enfin qu'il ne résulte pas des mandats confiés par les propriétaires à la société Interhome AG que celle-ci disposerait sur les résidences, dont elle n'a pas l'usage, d'autres droits que ceux d'un intermédiaire pour la location , ni qu'ils seraient susceptibles de constituer le siège d'une activité de cette société ; qu'ainsi ces résidences ne constituent pas des installations fixes d'affaires au sens du 1) de l'article 5 de la convention franco-suisse ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a accordé à la société Interhome AG décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 1984 à 1986 ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par la société Interhome AG et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 13 juin 2000 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.
Article 2 : Le recours du MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE devant la cour administrative d'appel de Paris est rejeté.
Article 3 : L'Etat versera à la société Interhome AG la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE et à la société Interhome AG.