Vu le recours du MINISTRE DE L'INTERIEUR, enregistré le 11 décembre 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat ; le MINISTRE DE L'INTERIEUR demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 28 septembre 2000 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté son recours tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Versailles en date du 16 septembre 1999 annulant sa décision du 10 décembre 1997 infligeant une amende de 10 000 F à la Compagnie nationale Air France sur le fondement des dispositions de l'article 20 bis de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985, signée le 19 juin 1990 ;
Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945, modifiée notamment par la loi n° 92-190 du 26 février 1992 ;
Vu le décret n° 93-180 du 8 février 1993 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Jodeau-Grymberg, Maître des Requêtes,
- les observations de Me Cossa, avocat de la Compagnie nationale Air France,
- les conclusions de Mme de Silva, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'aux termes de l'article 20 bis ajouté par la loi susvisée du 26 février 1992 à l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France : "I. Est punie d'une amende d'un montant maximum de 10 000 F l'entreprise de transport aérien ou maritime qui débarque sur le territoire français, en provenance d'un autre Etat, un étranger non ressortissant d'un Etat membre de la Communauté économique européenne et démuni du document de voyage et, le cas échéant, du visa requis par la loi ou l'accord international qui lui est applicable à raison de sa nationalité. - Le manquement est constaté par un procès-verbal établi par un fonctionnaire appartenant à l'un des corps dont la liste est définie par décret en Conseil d'Etat. Copie du procès-verbal est remise à l'entreprise de transport intéressée. Le manquement ainsi relevé donne lieu à une amende prononcée par le ministre de l'intérieur. L'amende peut être prononcée autant de fois qu'il y a de passagers concernés. Son montant est versé au Trésor public par l'entreprise de transport. - L'entreprise de transport a accès au dossier et est mise à même de présenter ses observations écrites dans un délai d'un mois sur le projet de sanction de l'administration. La décision du ministre, qui est motivée, est susceptible d'un recours de pleine juridiction ... - II. L'amende prévue au premier alinéa du présent article n'est pas infligée : ... 2° Lorsque l'entreprise de transport établit que les documents requis lui ont été présentés au moment de l'embarquement ou lorsque les documents présentés ne comportent pas un élément d'irrégularité manifeste ..." ;
Considérant que, même si les dispositions législatives précitées n'imposent pas au MINISTRE DE L'INTERIEUR de prononcer une amende à l'encontre d'une entreprise de transport qui a manqué à ses obligations, et dès lors qu'elles n'établissent aucune garantie de procédure autre que le droit de l'entreprise à accéder au dossier et à présenter des observations, le juge administratif, saisi d'un recours de pleine juridiction contre la décision infligeant une amende, peut substituer un autre motif de droit ou de fait à celui sur lequel s'est fondé le ministre, sous les conditions que cette substitution ait été demandée par le ministre au juge lors de l'instruction de l'affaire, que l'entreprise ait été mise à même de présenter ses observations sur le nouveau motif envisagé et que la décision du juge ne conduise pas à accroître le montant de l'amende ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, le 10 août 1997, la Compagnie nationale Air France a débarqué à l'aéroport Roissy-Charles-De-Gaulle, en provenance de Kinshasa et à destination de Montréal, une ressortissante de la République démocratique du Congo dont le réembarquement, après passage par la zone internationale de transit de l'aéroport, a été refusé en raison du caractère estimé incomplet de son visa d'entrée sur le territoire du Canada ; que, par une décision du 10 décembre 1997 fondée sur ce motif, le MINISTRE DE L'INTERIEUR a infligé à la Compagnie nationale Air France une amende de 10 000 F en application des dispositions de l'article 20 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 ; que, dans ses écritures devant la cour administrative d'appel de Paris, il a soutenu pour la première fois que la passagère n'était pas munie du visa de transit aéroportuaire qui permet à un ressortissant étranger spécifiquement soumis à cette exigence de passer par la zone internationale de transit d'un aéroport, sans accéder au territoire français, lors d'une escale entre deux parties d'un vol international ; qu'en estimant qu'elle ne pouvait substituer le motif ainsi invoqué à celui qui avait été initialement retenu, la cour a commis une erreur de droit ; que, dès lors, le MINISTRE DE L'INTERIEUR est fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, lorsqu'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, "le Conseil d'Etat peut ... régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;
Considérant que, si les étrangers transitant par le territoire français en empruntant exclusivement la voie aérienne sont dispensés de l'obligation de présenter un visa, en vertu des dispositions d'un arrêté interministériel du 10 avril 1984, sous réserve qu'ils ne sortent pas des limites de l'aéroport durant les escales, les ressortissants de la République du Congo doivent être munis d'un visa consulaire de transit aéroportuaire en application d'un arrêté interministériel du 17 octobre 1995 ; qu'il résulte de l'instruction que la passagère mentionnée ci-dessus était munie de ce visa, délivré le 31 juillet 1997 par le consul général de France à Kinshasa avec pour date limite de sortie le 16 août 1997 ; que, dès lors, le nouveau motif que le ministre de l'intérieur a entendu substituer en appel au motif initialement invoqué par lui dans sa décision du 10 décembre 1997 n'est pas de nature à justifier la sanction prononcée à l'encontre de la Compagnie nationale Air France ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le MINISTRE DE L'INTERIEUR n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement du 16 septembre 1999 par lequel le tribunal administratif de Versailles a annulé la décision du 10 décembre 1997 ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner l'Etat à payer à la Compagnie nationale Air France une somme de 1 800 euros pour les frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris en date du 28 septembre 2000 est annulé.
Article 2 : Les conclusions présentées par le MINISTRE DE L'INTERIEUR devant la cour administrative d'appel de Paris et le surplus des conclusions de son recours devant le Conseil d'Etat sont rejetés.
Article 3 : L'Etat est condamné à payer une somme de 1 800 euros à la Compagnie nationale Air France sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DE L'INTERIEUR, DE LA SECURITE INTERIEURE ET DES LIBERTES LOCALES et à la Compagnie nationale Air France.