Vu la requête, enregistrée le 15 novembre 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Mohamed X..., ; M. X... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 15 juin 2000 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 31 mai 2000 du préfet du Val-de-Marne décidant sa reconduite à la frontière ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir cet arrêté ;
3°) d'enjoindre au préfet du Val-de-Marne de lui délivrer un titre de séjour sous astreinte de 100 F par jour de retard sous deux mois à compter de la notification de la décision à intervenir ;
4°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 3 270 F au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Dumortier, Auditeur ;
- les conclusions de Mme Roul, Commissaire du gouvernement ;
Sur l'arrêté décidant la reconduite à la frontière de M. X... :
Considérant qu'aux termes du I de l'article 22 du 2 novembre 1945 modifiée : "Le représentant de l'Etat dans le département et, à Paris, le préfet de police peuvent, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : (.) 3° Si l'étranger auquel la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé ou dont le titre de séjour a été retiré, s'est maintenu sur le territoire au-delà d'un mois à compter de la date de notification du refus ou du retrait." ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. X..., de nationalité algérienne, s'est maintenu sur le territoire français plus d'un mois après la notification, le 13 janvier 2000, de la décision du préfet du Val-de-Marne en date du 7 janvier précédent lui refusant la délivrance d'un titre de séjour et l'invitant à quitter le territoire ; qu'il était ainsi dans le cas visé au 3° de l'article 22-I de l'ordonnance du 2 novembre 1945 où le préfet peut décider la reconduite à la frontière d'un étranger ;
Considérant que, par un arrêté du 7 septembre 1998, régulièrement publié au recueil des actes administratifs du département, le préfet du Val-de-Marne a donné à Mme Chantal Y..., secrétaire général de la préfecture, délégation pour signer notamment les arrêtés de reconduite à la frontière des étrangers en situation irrégulière ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué aurait été signé par une autorité incompétente manque en fait ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que l'arrêté du 31 mai 2000 par lequel le préfet du Val-de-Marne a décidé la reconduite à la frontière de M. X... énonce les circonstances qui justifient qu'il soit fait application à l'intéressé des dispositions de l'article 22-I-3° de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée ; que la circonstance que cet arrêté comporte le visa de l'article 22-3 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, ne saurait avoir entaché celui-ci d'irrégularité ;
Considérant que si M. X..., qui est entré en France le 28 novembre 1998, fait valoir qu'il avait déjà séjourné sur le territoire français de façon régulière de 1981 à 1984, que son père et son grand-père y ont travaillé et qu'un de ses oncles y vit depuis quarante ans, il ressort des pièces du dossier que ses parents, son ex-épouse ainsi que ses deux enfants vivent dans son pays d'origine ; qu'ainsi, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce et eu égard aux effets d'une mesure de reconduite à la frontière, l'arrêté attaqué n'a pas porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue duquel cet arrêté a été pris ; que, par suite, le moyen tiré de ce qu'il méconnaîtrait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut être accueilli ;
Sur la décision distincte fixant l'Algérie comme pays à destination duquel M. X... sera reconduit :
Considérant que le second alinéa de l'article 27 bis ajouté à l'ordonnance du 2 novembre 1945 par la loi du 24 août 1993 dispose qu'"un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ( ...)" ; que cette dernière stipulation énonce : "Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants" ;
Considérant que ces dispositions combinées font obstacle à ce que puisse être légalement désigné comme pays de destination d'un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement d'un Etat pour lequel il existe des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé s'y trouverait exposé à un risque réel pour sa personne soit du fait des autorités de cet Etat, soit même du fait de personnes ou de groupes de personnes ne relevant pas des autorités publiques, dès lors que, dans ce dernier cas, les autorités de l'Etat de destination ne sont pas en mesure de parer à un tel risque par une protection appropriée ;
Considérant qu'eu égard aux justifications qu'il apporte de l'insécurité qui règne dans la région où il exerçait son activité commerciale et aux pièces qu'il produit, M. X... doit être regardé comme établissant la réalité des menaces de mort dont il fait l'objet de la part, d'un groupe extrémiste armé pour avoir refusé de contribuer à son financement ; que, par suite la décision fixant l'Algérie comme pays de destination, a méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article 27bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. X... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision fixant l'Algérie comme pays de destination ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : "Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure dans un sens déterminé, la juridiction saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant d'un délai d'exécution" ;
Considérant que la présente décision, qui n'annule le jugement du 15 juin 2000 du magistrat délégué par le tribunal de Melun qu'en tant qu'il n'a pas annulé la décision distincte fixant l'Algérie comme pays de destination, n'implique pas que le préfet du Val-de-Marne délivre à M. X... le titre de séjour qu'il demande ; que, par suite, les conclusions qui tendent à ce qu'une injonction en ce sens soit adressée au préfet ne sauraient être accueillies ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner l'Etat à payer à M. X... une somme de 490 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Article 1er : Le jugement du 15 juin 2000 du magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Melun, en tant qu'il rejette les conclusions de M. X... contre la décision fixant l'Algérie comme pays où il sera reconduit, et cette décision sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à M. X... une somme de 490 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. X... est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Mohamed X..., au préfet du Val-de-Marne et au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.