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24/01/2002 | FRANCE | N°240717

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 24 janvier 2002, 240717


Vu, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 4 décembre 2001 la requête présentée pour M. Didier A demeurant ... et tendant à ce que, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, le juge des référés du Conseil d'Etat prononce la suspension de la décision en date du 26 septembre 2001, notifiée le 30 octobre suivant, par laquelle le Conseil des marchés financiers a prononcé le retrait de sa carte professionnelle pour une durée de 5 ans, et lui a infligé une amende de 3 719 756 euros ; M. A fait valoir que la condition relative à

l'urgence est remplie compte tenu du caractère grave et immédia...

Vu, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 4 décembre 2001 la requête présentée pour M. Didier A demeurant ... et tendant à ce que, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, le juge des référés du Conseil d'Etat prononce la suspension de la décision en date du 26 septembre 2001, notifiée le 30 octobre suivant, par laquelle le Conseil des marchés financiers a prononcé le retrait de sa carte professionnelle pour une durée de 5 ans, et lui a infligé une amende de 3 719 756 euros ; M. A fait valoir que la condition relative à l'urgence est remplie compte tenu du caractère grave et immédiat de l'atteinte portée à sa situation personnelle ; que la décision contestée est illégale en ce que les manquements relevés à l'encontre de M. A ne pouvaient fonder légalement une sanction qu'à l'égard des seuls prestataires habilités à l'exclusion de leurs préposés ; que lorsque certaines règles s'appliquent aux dirigeants ou aux préposés de l'opérateur, le règlement le prévoit expressément et précise les sanctions correspondantes ; qu'en l'espèce, les manquements retenus appartiennent à la classe de ceux visés par les seuls textes concernant les prestataires habilités et non leurs préposés ; que l'article 3-1-1 du règlement général du Conseil des marchés financiers, dans sa version en vigueur à la date des faits vise expressément et exclusivement le prestataire habilité ; que cette rédaction a été ultérieurement modifiée pour être étendue aux collaborateurs du prestataire ; que toutefois, ces nouvelles dispositions ne sauraient s'appliquer aux faits commis avant leur entrée en vigueur ; que la procédure a été irrégulière du fait d'une rupture d'égalité entre les parties au stade administratif, seul le Crédit agricole Indosuez Cheuvreux (CAIC) ayant bénéficié du contradictoire lors de l'enquête ; que la notification des griefs et la sanction sont irrégulières en la forme, faute d'avoir été signées par l'autorité compétente ; que le Conseil des marchés financiers était irrégulièrement composé, dès lors que le commissaire du gouvernement ne présentait pas les garanties d'indépendance requises au titre de l'article 6. õ 1. de la convention européenne des droits de l'homme ; que la présence du commissaire du gouvernement au délibéré est en outre contraire à l'exigence d'impartialité de la formation disciplinaire ; que le même article 6. õ 1 a été également méconnu du fait de la participation du rapporteur au délibéré ; que le président de la formation disciplinaire ne satisfaisait pas à la condition d'impartialité tant en raison des liens qui l'unissent à l'une des parties à l'instance qu'en raison des fonctions qu'il a cumulées dans la présente procédure ;

Vu la décision attaquée ;

Vu, enregistrées le 27 décembre 2001 les observations présentées pour le Conseil des marchés financiers qui tendent au rejet de la requête par les motifs que les obligations professionnelles pesant sur les prestataires des services d'investissement et sur les personnes placées sous leur autorité ou agissant pour leur compte sont les mêmes ; que les conditions de déroulement de l'enquête administrative n'ont pas entraîné une violation du principe d'égalité des armes ; que si le requérant n'a pas été associé à l'élaboration du rapport d'enquête, il a eu toute latitude pour en réfuter et critiquer le contenu ; que M. B, ayant reçu délégation du Président du Conseil des marchés financiers pour présider la formation disciplinaire, était de plein droit compétent pour signer comme il l'a fait tous les actes de procédure en sa seule qualité de Président de la formation disciplinaire ; que le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie ayant été étranger aux poursuites, le commissaire du gouvernement n'avait pas à être écarté du délibéré ; qu'il n'a émis aucune observation ; que la présence du rapporteur au délibéré n'a pas contrevenu aux exigences de l'article 6 õ 1 de la Convention européenne des droits de l'homme ; que le rapport établi par le rapporteur était objectif ; que s'agissant du prétendu défaut d'impartialité du président de la formation disciplinaire, M. A n'a pas récusé celui-ci sur le fondement de l'article L. 622-5 du code monétaire et financier ; que dès lors rien ne s'opposait à ce qu'il siégeât ; que s'il a initialement communiqué à M. A les griefs susceptibles d'être retenus à son encontre, il n'a pas, ce faisant, pris parti sur leur bien-fondé ;

Vu, enregistrées le 27 décembre 2001 les observations présentées par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie qui s'associe à celles présentées par le Conseil des marchés financiers ;

Vu, enregistrées le 16 janvier 2002 les observations en réplique présentées par M. A qui tendent aux mêmes faits que la requête ; M. A soutient notamment que la présence à l'instance en qualité de défendeur du Conseil des marchés financiers est contestable au regard de l'article 6 õ 1 de la Convention européenne des droits de l'homme ; que la méconnaissance alléguée des règles édictées par le Conseil des marchés financiers pour régir le comportement des prestataires habilités vis-à-vis des clients ne peut pas fonder légalement une sanction à l'égard des préposés ; que c'est aux seuls prestataires que le respect de ces règles incombe ; que l'existence de deux catégories d'obligations professionnelles pesant sur les préposés d'une part et sur les prestataires d'autre part est confirmée par la rédaction de l'article L. 622-7 du code monétaire et financier ; que l'article L. 622-7 du code ne vise pas les préposés ;

Vu le code de justice administrative ;

Vu la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la loi n° 96-597 du 2 juillet 1996, ensemble le code monétaire et financier ;

Vu le règlement général du Conseil des marchés financiers et notamment son titre III, homologué par l'arrêté du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie du 29 juillet 1998 ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. Didier A, d'autre part, le Conseil des marchés financiers et le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 21 janvier 2002 à 9 h 30 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Emmanuel PIWNICA, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. A,

- Me Arnaud de CHAISEMARTIN, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du Conseil des marchés financiers,

- M. Didier A,

- les représentants du Conseil des marchés financiers;

- la représentante du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ;

Considérant qu'à la suite d'une procédure disciplinaire engagée à l'encontre tant de la société Crédit Agricole Indosuez Cheuvreux (CAIC), prise en tant que prestataire de services d'investissements au sens des dispositions aujourd'hui codifiées au code monétaire et financier, que de dirigeants et cadres de cet établissement, le Conseil des marchés financiers a, par sa décision du 26 septembre 2001, infligé à M. A, qui à l'époque des faits reprochés dirigeait le département " ventes de produits dérivés et convertibles " de la société CAIC, une sanction comportant, d'une part le retrait pour une durée de cinq ans de sa carte professionnelle et, d'autre part, une sanction pécuniaire de 3.719.756 euros ; que M. A demande au juge des référés du Conseil d'Etat de suspendre cette décision en invoquant les dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative ;

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative (.), fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

Sur la condition tenant à l'existence d'un moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision :

Considérant que si les autres moyens invoqués par M. A, qui sont relatifs à la régularité de la procédure disciplinaire, ne paraissent pas propres à créer, en l'état de l'instruction un doute sérieux quant à la légalité de la décision du 21 septembre 2001, il en va différemment du moyen tiré de ce que pour définir et sanctionner les manquements reprochés à M. A, le Conseil des marchés financiers s'est référé exclusivement au " règlement général du Conseil des marchés financiers " homologué par un arrêté ministériel du 29 juillet 1998 et, au sein de ce règlement, aux seuls articles 3-1-1, 3-3-1, 3-3-2, 3-3-6 et 4-1-31, qui, dans leur rédaction en vigueur à la date des faits - et à la différence des articles 3-2-1 à 3-2-8, relatifs " à la déontologie des collaborateurs ",- ne présentent les règles qu'ils édictent, précisent ou rappellent que comme si elles étaient relatives aux seuls prestataires de services d'investissements, et dont il est par suite soutenu par M. A qu'ils ne sauraient légalement être invoqués à l'encontre des collaborateurs ou préposés de ces prestatataires ;

Sur la condition tenant à l'urgence :

En ce qui concerne la sanction pécuniaire :

Considérant que la sanction pécuniaire prononcée à l'encontre de M. A préjudicie à la situation de celui-ci d'une façon qui conduit à tenir la condition relative à l'urgence comme satisfaite en ce qui concerne les conclusions tendant à la suspension de ceux des effets de la décision du 26 septembre 2001 tenant à cette sanction pécuniaire ;

En ce qui concerne le retrait de la carte professionnelle :

Considérant qu'eu égard, d'une part à la gravité des manquements reprochés à M. A, qui n'en conteste pas la matérialité, et d'autre part aux considérations d'intérêt général, relatives à la loyauté du marché et à la protection des épargnants et investisseurs, en vue desquelles le législateur a prévu que : " . les personnes placées sous l'autorité ou agissant pour le compte des prestataires de services d'investissements " peuvent " .à raison des manquements à leurs obligations professionnelles définies par les lois et règlements en vigueur " se voir retirer leur carte professionnelle par le Conseil des marchés financiers, la condition d'urgence ne peut être regardée comme remplie s'agissant du retrait de la carte professionnelle ;

Considérant, dès lors, qu'il n'y a lieu de suspendre la décision du conseil des marchés financiers du 26 septembre 2001, relative à M. A, qu'en tant qu'elle comporte une sanction pécuniaire de 3.719.756 euros ;

O R D O N N E :

Article 1 : La décision du Conseil des marchés financiers du 26 septembre 2001 relative à M. A est suspendue en tant qu'elle comporte une sanction pécuniaire de 3.719.756 euros.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la demande de M. A est rejeté.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A, au Conseil des marchés financiers et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 240717
Date de la décision : 24/01/2002
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

54-035-02-03-02 PROCÉDURE. PROCÉDURES INSTITUÉES PAR LA LOI DU 30 JUIN 2000. RÉFÉRÉ SUSPENSION (ART. L. 521-1 DU CODE DE JUSTICE ADMINISTRATIVE). CONDITIONS D'OCTROI DE LA SUSPENSION DEMANDÉE. URGENCE. - SANCTIONS PRONONCÉES PAR LE CONSEIL DES MARCHÉS FINANCIERS - A) EXISTENCE - SANCTION PÉCUNIAIRE - B) ABSENCE, COMPTE TENU DES CONSIDÉRATIONS D'INTÉRÊT GÉNÉRAL ET DE LA GRAVITÉ DES MANQUEMENTS - RETRAIT DE LA CARTE PROFESSIONNELLE.

54-035-02-03-02 Conseil des marchés financiers ayant prononcé, à l'issue d'une procédure disciplinaire, une sanction comportant, d'une part, le retrait pour cinq ans de la carte professionnelle de l'intéressé, d'autre part une sanction pécuniaire de près de plusieurs milliers d'euros. Demande de suspension en référé de cette décision.,,a) La sanction pécuniaire préjudicie à la situation de l'intéressé d'une façon qui conduit à tenir la condition relative à l'urgence comme satisfaite en ce qui concerne les conclusions tendant à la suspension de ceux des effets de la décision tenant à cette sanction pécuniaire.,,b) Eu égard, d'une part à la gravité des manquements reprochés à l'intéressé, qui n'en conteste pas la matérialité, et d'autre part aux considérations d'intérêt général, relatives à la loyauté du marché et à la protection des épargnants et investisseurs, en vue desquelles le législateur a prévu que : ...les personnes placées sous l'autorité ou agissant pour le compte des prestataires de services d'investissements peuvent ...à raison des manquements à leurs obligations professionnelles définies par les lois et règlements en vigueur se voir retirer leur carte professionnelle par le Conseil des marchés financiers, la condition d'urgence ne peut être regardée comme remplie s'agissant du retrait de la carte professionnelle.


Publications
Proposition de citation : CE, 24 jan. 2002, n° 240717
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Labetoulle
Rapporteur ?: M. Daniel Labetoulle
Avocat(s) : SCP DE CHAISEMARTIN, COURJON ; SCP PIWNICA, MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2002:240717.20020124
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