Vu 1°, sous le n° 211967, le recours du MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE, enregistré le 1er septembre 1999 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat ; le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE demande au Conseil d'Etat d'annuler les articles 1 et 2 de l'arrêt en date du 6 juillet 1999 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux, réformant le jugement en date du 4 juillet 1996 du tribunal administratif de Bordeaux, a déchargé M. Jean X... de l'impôt sur le revenu ainsi que des pénalités y afférentes auxquelles il a été assujetti au titre des années 1987 et 1988 ;
Vu 2°, sous le n° 212114, la requête enregistrée le 7 septembre 1999 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour Mme Martine Y... (née X...), demeurant ..., Mlle Evelyne X..., demeurant ... et M. Serge X... demeurant ... ; Mme Y... et autres demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'article 3 de l'arrêt en date du 6 juillet 1999 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux, réformant en partie seulement le jugement en date du 4 juillet 1996 du tribunal administratif de Bordeaux, a rejeté la demande de M. Jean X... tendant à la décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu ainsi que des pénalités y afférentes auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 1986 ;
2°) d'annuler le jugement en date du 4 juillet 1996 du tribunal administratif de Bordeaux et de les décharger de l'imposition en litige établie au titre de l'année 1986 ;
3°) de condamner l'Etat à leur verser une somme de 15 000 F au titre de l'article 75-I de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative, notamment son article L. 761-1 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Delion, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Guiguet, Bachelier, Delavarde, avocat de M. Jean X..., de Mme Martine Y..., de Mme Evelyne X... et de M. Serge X...,
- les conclusions de M. Austry, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'il résulte du dossier soumis aux juges du fond que, sur la base des informations qu'elle avait obtenues par l'exercice de son droit de communication auprès de l'autorité judiciaire en application de l'article L. 101 du livre des procédures fiscales, l'administration fiscale a notifié le 29 novembre 1989 à M. X... un redressement de ses revenus imposables de 1986, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers ; qu'elle a par ailleurs, le 12 décembre 1989, avisé M. X... qu'elle entreprenait, au titre des années 1987 et 1988, l'examen contradictoire de l'ensemble de sa situation fiscale personnelle prévu à l'article L. 12 du livre des procédures fiscales ; qu'ayant réuni des éléments établissant qu'il pouvait avoir perçu au cours de ces deux années des revenus plus importants que ceux qu'il avait déclarés, elle lui a alors adressé, le 11 avril 1990, des demandes de justification sur le fondement de l'article L. 16 du livre des procédures fiscales, puis lui a notifié, pour ces deux années, des redressements dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers ainsi que, pour l'année 1987, un redressement à raison de revenus d'origine indéterminée ; que dans son arrêt du 6 juillet 1999, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté les conclusions en décharge de M. X... relatives à l'année 1986, mais a en revanche prononcé la décharge des suppléments d'impôt sur le revenu au titre des années 1987 et 1988 ; que les héritiers de M. X... et le ministre des finances se sont pourvus en cassation contre cet arrêt ; qu'il y a lieu de joindre ces deux pourvois pour y statuer par une seule décision ;
Sur le recours du ministre :
Considérant que le caractère contradictoire que doit revêtir l'examen de la situation fiscale personnelle au regard de l'impôt sur le revenu en vertu des articles L. 47 à L. 50 du livre des procédures fiscales interdit au vérificateur d'adresser la notification de redressement qui, selon l'article L. 48, marquera l'achèvement de son examen, sans avoir au préalable engagé un dialogue contradictoire avec le contribuable sur les points qu'il envisage de retenir ; qu'en outre, dans saversion remise à M. X..., la "charte des droits et obligations du contribuable vérifié", rendue opposable à l'administration par l'article L. 10 du livre des procédures fiscales, exige que le vérificateur ait recherché un tel dialogue avant même d'avoir recours à la procédure écrite et contraignante de l'article L. 16 du livre des procédures fiscales ; que la méconnaissance de cette exigence a le caractère d'une irrégularité substantielle portant atteinte aux droits et garanties reconnus par la charte au contribuable vérifié ;
Considérant que, par l'arrêt attaqué, la cour administrative d'appel a souverainement estimé que le dialogue exigé par les dispositions susmentionnées de la charte n'avait pas été proposé à M. X... avant qu'il ne reçoive les demandes du 11 avril 1990 ; qu'elle en a justement déduit que l'utilisation faite de l'article L. 16 avait été irrégulière ;
Considérant, toutefois, que l'irrégularité dont étaient ainsi entachées ces demandes de justifications faisait seulement obstacle à ce que le service puisse, en application de l'article L. 69 du livre des procédures fiscales, taxer d'office les revenus de l'année 1987 dont l'origine était restée indéterminée après la réponse de M. X... ; qu'en revanche, ainsi que le précisait la notification de redressement, l'imposition, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, des distributions occultes effectuées par la société Promodis en 1987 et 1988 avait exclusivement pour origine les informations communiquées à l'administration fiscale par l'autorité judiciaire et n'était par suite pas affectée par l'irrégularité susmentionnée ; que la Cour a donc commis une erreur de droit en prononçant, en raison de ladite irrégularité, la décharge totale des suppléments d'impôt sur le revenu auxquels M. X... a été assujetti au titre des années 1987 et 1988 ; que les articles 1 et 2 de l'arrêt attaqué doivent dès lors être annulés dans la mesure où ils ont dégrevé M. X... à raison de l'imposition sur des distributions occultes pour ces deux années ;
Sur la requête des consorts X... :
Considérant que, devant la Cour, M. X... soutenait que l'administration ne pouvait, pour l'imposer sur des distributions occultes de la société Promodis, retenir les déclarations qu'il avait faites devant le juge d'instruction alors qu'il était revenu sur celles-ci devant le juge du fond ; que la Cour ne s'est pas prononcée sur ce moyen ; que par ailleurs la Cour a omis de se prononcer sur la demande d'attribution d'une somme de 15 000 F au titre des frais irrépétibles, dont les héritiers de M. X... l'avaient saisie en reprenant l'instance après le décès du requérant ; que cette double omission justifie l'annulation de l'article 3 de l'arrêt attaqué ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut "régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;
Sur les conclusions de la requête d'appel de M. X... en tant qu'elles tendent à la décharge des impositions supplémentaires établies au titre des années 1986 et 1988 et à la décharge de l'imposition supplémentaire établie au titre de l'année 1987 à raison du rehaussement des revenus de capitaux mobiliers :
En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :
Considérant en premier lieu qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 81 du livre des procédures fiscales : "Le droit de communication permet aux agents de l'administration, pour l'établissement de l'assiette et le contrôle des impôts, d'avoir connaissance des documents et des renseignements mentionnés aux articles du présent chapitre dans les conditions qui y sont précisées" ; qu'aux termes de l'article L. 101 du même livre : "L'autorité judiciaire doitcommuniquer à l'administration des finances toute indication qu'elle peut recueillir, de nature à faire présumer une fraude commise en matière fiscale ou une manoeuvre quelconque ayant eu pour objet ou ayant eu pour résultat de frauder ou de compromettre un impôt, qu'il s'agisse d'une instance civile ou commerciale ou d'une information criminelle ou correctionnelle même terminée par un non-lieu" et qu'enfin aux termes de l'article R. 81-5 du même livre : " Le droit de communication mentionné à l'article L. 81 est exercé par les agents de la direction générale des impôts ( ...)"/ ; que le droit de communication prévu par ces dispositions n'est pas fonction de la compétence territoriale de celui qui l'exerce et ne fait pas obstacle à ce que les informations ainsi recueillies soient transmises à d'autres agents de la direction générale des impôts ; que dès lors la circonstance que les communications faites par l'autorité judiciaire en application de l'article L. 101 précité aient été adressées à la brigade de recherches et de contrôle du Lot-et-Garonne, laquelle les a ensuite transmises au centre des impôts d'Arcachon, territorialement compétent pour imposer M. X... n'est pas de nature à affecter la régularité de la procédure d'imposition ; qu'il en va de même du fait que, avant cette communication, les agents de cette brigade avaient été conduits, en application des dispositions de l'article 60 du code de procédure pénale, à examiner la comptabilité de la société dont M. X... était le gérant ;
Considérant en deuxième lieu qu'aux termes de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : "1) Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ( ...) 2) Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie" ; qu'il résulte du texte même de cet article que l'ensemble de ses stipulations n'est applicable qu'aux procédures contentieuses suivies devant les juridictions lorsqu'elles statuent sur des droits et obligations de caractère civil ou sur des accusations en matière pénale et qu'il n'énonce aucune règle ou aucun principe dont le champ d'application s'étendrait au-delà des procédures contentieuses suivies devant les juridictions ; qu'il résulte du texte même de l'article L. 101 précité du livre des procédures fiscales qu'il n'a pas trait aux procédures contentieuses qui entrent dans le champ d'application des stipulations de l'article 6 précité de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, par suite, le moyen tiré de l'incompatibilité des dispositions dudit article L. 101 avec les stipulations de l'article 6 précité de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté ;
Considérant en troisième lieu qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, l'irrégularité dont étaient entachées les demandes de justifications du 11 avril 1990 reste sans effet sur la régularité des rehaussements des revenus de capitaux mobiliers ;
En ce qui concerne le bien fondé des impositions :
Considérant que la cour d'appel d'Agen a, par un arrêt en date du 21 février 1991, condamné M. X... pour détournement d'actifs et abus de biens sociaux, en estimant "qu'il n'est pas concevable qu'un chef d'entreprise dirigeant une structure relativement importante au plan local soutienne s'être accusé sous la contrainte morale de faits qu'il conteste aujourd'hui, après avoir réitéré ces aveux devant le juge d'instruction" et que les dénégations de M. X... "apparaissent vraiment trop tardives (...)" ; que ces énonciations de faits, revêtues de l'autorité absolue qui s'attache aux décisions du juge pénal passées en force de chose jugée, font obstacle à ce que M. X... soutienne devant le juge administratif que les redressements litigieux trouvent leur fondement dans des aveux arrachés sous la contrainte ;
Sur les conclusions présentées par les consorts X... tendant au remboursement des frais exposés par eux et non compris dans les dépens :
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y pas lieu de faire application des dispositions de l'article 75-I de la loi susvisée du 10 juillet 1991 reprises à l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Article 1er : Les articles 1 et 2 de l'arrêt en date du 6 juillet 1999 de la cour administrative d'appel de Bordeaux sont annulés en tant qu'ils déchargent M. X... des suppléments d'impôt sur le revenu auxquels il a été assujetti pour 1987 et 1988 dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers. L'article 3 du même arrêt est annulé.
Article 2 : Les conclusions de M. X... tendant à la décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers pour les années 1987 et 1988 sont rejetées.
Article 3 : Le surplus des conclusions du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie est rejeté.
Article 4 : Les conclusions des consorts X... tendant au remboursement des frais exposés par eux et non compris dans les dépens sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, à Mme Martine Y..., à Mlle Evelyne X... et à M. Serge X....