Vu la requête enregistrée le 20 août 1996 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour Mme T., demeurant ..., ainsi que pour M. S. T. et Mme D. qui viennent aux droits de M. T., décédé le 27 septembre 1997 ; Mme T. et les ayants droit de M. T. demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 20 juin 1996 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a, à la demande des hospices civils de Lyon, annulé le jugement du 19 avril 1995 par lequel le tribunal administratif de Lyon a condamné lesdits hospices à verser à M. T. la somme de 752 728,93 F et à Mme T. la somme de 60 000 F en réparation des conséquences dommageables de l'accident dont M. T. a été victime le 18 juillet 1988 lors d'une séance d'embolisation ;
2°) de condamner les hospices civils de Lyon à leur verser la somme de 12 000 F sur le fondement de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mme Le Bihan-Graf , Auditeur,
- les observations de Me Guinard, avocat des époux T., et de Me Le Prado, avocat des Hospices civils de Lyon,
- les conclusions de M. Chauvaux, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que lorsque l'acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l'art, comporte des risques connus de décès ou d'invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé ; que, si cette information n'est pas requise en cas d'urgence, d'impossibilité, de refus du patient d'être informé, la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu'exceptionnellement ne dispense pas les praticiens de leur obligation ;
Considérant que, lors d'une intervention endovasculaire destinée à traiter par embolisation une malformation artérioveineuse, le micro-cathéter introduit dans l'artère cérébrale de M. T. s'est brisé, provoquant un accident ischémique à la suite duquel le patient est demeuré atteint d'une paralysie du bras et de la jambe gauches ; qu'en se fondant sur le caractère exceptionnel d'un tel accident pour juger qu'il n'y avait pas lieu d'informer le patient des risques de l'opération, la cour administrative d'appel de Lyon a commis une erreur de droit justifiant l'annulation de son arrêt ;
Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la loi susvisée du 31 décembre 1987, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut "régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que le traitement par embolisation, même effectué dans les règles de l'art, présente des risques de décès ou d'invalidité du patient, pouvant résulter notamment d'un accident ischémique consécutif à la rupture du micro-cathéter au moment de son retrait de l'artère dans laquelle il avait été introduit ; que ces risques doivent être portés à la connaissance du patient ;
Considérant que M. T. soutenait qu'il n'avait pas été informé des risques de l'intervention ; que les hospices civils de Lyon, qui n'ont contesté cette affirmation ni au cours des opérations d'expertise, ni devant le tribunal administratif ont produit en appel une attestation établie par un praticien postérieurement à l'intervention et aux termes de laquelle le patient avait été "informé des risques du traitement envisagé" ; que, dans les circonstances de l'espèce, un tel document n'est pas de nature à établir que les praticiens se sont acquittés de leur obligation d'information ; qu'ainsi, les hospices civils de Lyon ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a reconnu l'existence d'un manquement à cette obligation de nature à engager leur responsabilité ;
Considérant, toutefois, que la faute commise par les praticiens de l'hôpital n'a entraîné pour M. T. que la perte d'une chance de se soustraire au risque qui s'est réalisé ; qu'ainsi, c'est à tort que le tribunal administratif de Lyon, se fondant sur la faute résultant de l'absence d'information, a condamné les hospices civils de Lyon à réparer intégralement les conséquences dommageables de l'accident ;
Considérant qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens présentés par M. et Mme T. devant le tribunal administratif susceptibles de justifier la condamnation des hospices civils de Lyon à réparer intégralement les conséquences de l'accident ;
Considérant que le traitement par embolisation présente des risques connus de rupture du cathéter au moment de son retrait de l'artère dans laquelle il a été introduit, sans que cette rupture puisse être évitée, quelle que soit la qualité de l'opérateur et du matériel utilisé ; qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert, que l'intervention s'est déroulée conformément aux règles de l'art et que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, l'existence d'une faute médicale ou d'une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service n'est pas établie ;
Considérant qu'il résulte du rapport d'expertise que la malformation artérioveineuse dont M. T. était atteint pouvait provoquer, à défaut de procéder à un traitement par embolisation, des céphalées plus ou moins invalidantes, des crises d'épilepsie, des hémorragies cérébrales entraînant la paralysie, voire le décès du patient ; que les séquelles d'hémiplégie consécutives à l'intervention ne peuvent donc être regardées comme sans rapport avec son état initial ou l'évolution prévisible de cet état ; que, par suite, la responsabilité sans faute des hospices civils de Lyon ne saurait être engagée ;
Sur l'évaluation du préjudice de M. T. :
Considérant qu'aucun justificatif n'a été produit de nature à établir l'existence d'un préjudice relatif à la perte de revenus professionnels alléguée ; qu'il résulte de l'instruction que les frais médicaux et pharmaceutiques résultant directement des conséquences dommageables de l'intervention s'élèvent à un montant de 761 250 F ; que le taux d'incapacité résultant de l'hémiplégie gauche dont M. T. était atteint, en relation directe avec l'accident ischémique, doit être évalué à 75 % et le préjudice subi à ce titre à une somme de 690 000F ; qu'ainsi le préjudice corporel subi par M. T. s'élève à 1 451 250 F ;
Considérant qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice d'agrément, ainsi que des souffrances physiques endurées à la suite de l'intervention et du préjudice esthétique en le fixant à 150 000 F ;
Considérant que la réparation du dommage résultant pour M. T. de la perte d'une chance de se soustraire au risque qui s'est finalement réalisé doit être fixée à une fraction des différents chefs de préjudice subis ; que, compte tenu du rapprochement entre, d'une part, les risques inhérents à l'intervention et, d'autre part, les risques d'hémorragie cérébrale qui étaient encourus en cas de renoncement à ce traitement, cette fraction doit être fixée au cinquième ; qu'ainsi, il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par M. T. en le fixant à 290 250 F au titre du préjudice relatif à l'atteinte à l'intégrité physique et à 30 000 F au titre des autres dommages ;
Sur les droits de la caisse maladie régionale des travailleurs indépendants du Rhône :
Considérant qu'aux termes du troisième alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : "Si la responsabilité d'un tiers est entière ou si elle est partagée avec la victime, la caisse est admise à poursuivre le remboursement des prestations mises à sa charge à due concurrence de la part d'indemnité mise à la charge du tiers qui répare l'atteinte à l'intégrité physique de la victime, à l'exclusion de la part d'indemnité, de caractère personnel, correspondant aux souffrances physiques ou morales par elle endurées et au préjudice esthétique et d'agrément" ; qu'il résulte de ces dispositions que le recours de la caisse s'exerce sur les sommes allouées à la victime en réparation de la perte d'une chance d'éviter un préjudice corporel, la part d'indemnité de caractère personnel étant seule exclue de ce recours ; que, par suite, la caisse maladie régionale des travailleurs indépendants du Rhône, qui justifie du versement d'une somme totale de 753 521,10 F au titre des débours résultant des suites dommageables pour son assuré de l'embolisation pratiquée par l'hôpital, a droit au remboursement des frais exposés par elle à hauteur de la somme de 290 250 F ; que, dès lors, il y a lieu de condamner les hospices civils de Lyon à verser à ladite caisse la somme de 290 250 F ;
Sur les droits de M. S. T. et de Mme Antonia DALL, venant aux droits de M. T., décédé en cours d'instance :
Considérant que M. Serge T. et Mme D. venant aux droits de M. T. décédé en cours d'instance ont droit à la somme de 30 000 F, calculée ainsi qu'il a été dit ci-dessus et allouée au titre du préjudice personnel qui a résulté pour M. T. de la perte d'une chance de se soustraire au risque qui s'est réalisé ;
Sur le préjudice de Mme T. :
Considérant que Mme T. a subi, en raison de l'état de son époux, des troubles dans ses conditions d'existence ; que ces troubles doivent être évalués à la somme de 60 000 F ; que le préjudice indemnisable à ce titre pour Mme T. est celui imputable à la perte d'une chance pour M. T. de se soustraire au risque qui s'est réalisé ; qu'il doit être fixé au cinquième de la somme précitée de 60 000 F ; qu'il y a lieu, dès lors de condamner les hospices civils de Lyon à verser à Mme T. la somme de 12 000 F ;
Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :
Considérant que la caisse maladie régionale des travailleurs indépendants du Rhône a droit aux intérêts de la somme de 290 250 F à compter du 5 mai 1992, date de sa demande ;
Considérant que la caisse a demandé, le 7 mars 1994, la capitalisation des intérêts échus sur la somme qui lui est due ; qu'à cette date, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, par suite, il y a lieu de faire droit à cette demande ;
Considérant que M. S. T. et Mme D. ont droit aux intérêts de la somme de 30 000 F à compter du 7 janvier 1992, date de la demande présentée par M. T. aux hospices civils de Lyon ;
Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée les 16 février 1994 et 17 février 1995 ; qu'à chacune de ces dates, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, par suite, il y a lieu de faire droit à ces demandes ;
Considérant que Mme T. a droit aux intérêts de la somme de 12 000 F à compter du 7 janvier 1992 ;
Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée par Mme T. les 16 février 1994 et 17 février 1995 ; qu'à chacune de ces dates, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, il y a lieu de faire droit à ces demandes ;
Sur les frais d'expertise :
Considérant que l'expertise a été prescrite afin de permettre au tribunal de se prononcer sur la responsabilité des hospices civils de Lyon ; que la présente décision retenant la responsabilité de l'établissement public, il y a lieu de condamner les hospices civils de Lyon à rembourser à Mme T. et aux ayants-droit de M. T. les frais qu'ils ont exposés pour un montant de 3 600 F ; qu'il convient d'assortir ceux-ci des intérêts légaux à compter du 12 septembre 1990 ;
Sur les conclusions de Mme T. et de M. S. T. et Mme D. qui viennent aux droits de M. T. tendant à l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article 75-I de la loi susvisée du 10 juillet 1991 et de condamner les hospices civils de Lyon à verser à Mme T. et aux ayants-droit de M. T. la somme de 12 000 F qu'ils demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
Considérant que les dispositions de l'article 75-I de la loi susvisée du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que les hospices civils de Lyon qui ne sont pas, devant la cour administrative d'appel, la partie perdante, soient condamnés à payer aux consorts T. et à la caisse maladie régionale des travailleurs indépendants du Rhône la somme qu'ils demandent au titre des frais exposés par eux devant la cour et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon en date du 20 juin 1996 est annulé.
Article 2 : Les hospices civils de Lyon verseront à M. S. T. et à Mme D., venant aux droits de M. T., la somme de 30 000 F assortie des intérêts légaux à compter du 7 janvier 1992. Les intérêts échus les 16 février 1994 et 17 février 1995 seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : Les hospices civils de Lyon verseront à Mme T. la somme de 12 000 F assortie des intérêts au taux légal à compter du 7 janvier 1992. Les intérêts échus les 16 février 1994 et 17 février 1995 seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 4 : Les hospices civils de Lyon verseront à la caisse maladie régionale des travailleurs indépendants du Rhône la somme de 290 250 F avec intérêts au taux légal à compter du 5 mai 1992. Les intérêts échus le 7 mars 1994 seront capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 5 : Les hospices civils de Lyon rembourseront à Mme T. et aux ayants-droit de M. T. les frais d'expertise taxés à la somme de 3 600 F, avec intérêt au taux légal à compter du 12 septembre 1990.
Article 6 : Les hospices civils de Lyon verseront à Mme T., à M. S. T., à Mme D. une somme de 12 000 F au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991.
Article 7 : Le jugement du tribunal administratif de Lyon est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 8 : Le surplus des conclusions de la demande de M. et Mme T. devant le tribunal administratif de Lyon et la cour administrative d'appel de Lyon et les conclusions de la caisse maladie régionale des travailleurs indépendants du Rhône tendant au remboursement des frais exposés en appel sont rejetés.
Article 9 : La présente décision sera notifiée à Mme T., à M. S. T., à Mme D., aux hospices civils de Lyon, à la caisse maladie régionale des travailleurs indépendants du Rhône et au ministre de l'emploi et de la solidarité.