Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 26 juillet 1996 et 26 novembre 1996 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE DE GESTION DU PORT DE CAMPOLORO et la SOCIETE FERMIERE DE CAMPOLORO, domiciliées ... ; la SOCIETE DE GESTION DU PORT DE CAMPOLORO et la SOCIETE FERMIERE DE CAMPOLORO demandent au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 6 juin 1996 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a annulé, à la demande du ministre de l'intérieur, le jugement du 30 mars 1995, par lequel le tribunal administratif de Bastia a condamné l'Etat à verser à la SOCIETE DE GESTION DU PORT DE CAMPOLORO la somme de 23 218 085 F et à la SOCIETE FERMIERE DE CAMPOLORO la somme de 9 498 018 F ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution du 4 octobre 1958 ;
Vu la loi n° 80-539 du 16 juillet 1980 ;
Vu la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Stéfanini, Conseiller d'Etat,
- les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la SOCIETE DE GESTION DU PORT DE CAMPOLORO et de la SOCIETE FERMIERE DE CAMPOLORO,
- les conclusions de M. Stahl, Commissaire du gouvernement ;
Sur le pourvoi en cassation de la SOCIETE DE GESTION DU PORT DE CAMPOLORO et de la SOCIETE FERMIERE DE CAMPOLORO :
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi :
Considérant qu'aux termes de l'article R. 153-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, dans sa rédaction issue du décret susvisé du 22 janvier 1992 : "Sauf dans les cas mentionnés au premier alinéa de l'article L. 9 et à l'article R. 149, lorsque la décision lui paraît susceptible d'être fondée sur un moyen soulevé d'office, le président de la formation de jugement en informe les parties avant la séance de jugement et fixe le délai dans lequel elle peuvent présenter leurs observations" ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le ministre de l'intérieur n'avait pas soulevé, à l'appui de ses conclusions dirigées contre le jugement en date du 30 mars 1995 du tribunal administratif de Bastia condamnant l'Etat à verser à la SOCIETE DE GESTION DU PORT DE CAMPOLORO et à la SOCIETE FERMIERE DE CAMPOLORO des indemnités en réparation du préjudice subi par ces deux sociétés du fait de l'inexécution des décisions de justice condamnant la commune de Santa-Maria X... à leur payer respectivement les sommes en principal de 23 218 085 F et de 9 498 018 F, le moyen tiré de ce que le préjudice né de la carence éventuelle du préfet dans l'exercice de ses pouvoirs et notamment de ceux qu'il tient de la mise en oeuvre de la procédure instituée par la loi du 16 juillet 1980 serait distinct de celui que la commune a été condamnée à réparer par une précédente décision de justice devenue définitive ; qu'en se fondant sur ce motif pour annuler le jugement du tribunal administratif dont il avait été fait appel devant elle, sans avoir, avant la séance de jugement, informé les parties de son intention de soulever d'office le moyen susanalysé, la cour administrative d'appel a entaché son arrêt d'irrégularité ; que, par suite, les sociétés requérantes sont fondées à demander l'annulation dudit arrêt ;
Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la loi susvisée du 31 décembre 1987, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridictionadministrative statuant en dernier ressort, peut "régler l'affaire au fond, si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;
Sur les conclusions d'appel du ministre de l'intérieur :
Considérant que, pour apprécier si la responsabilité de l'Etat est engagée à l'égard des sociétés requérantes à raison de l'attitude de l'autorité préfectorale, il convient de distinguer la période antérieure aux jugements en date du 10 juillet 1992 du tribunal administratif de Bastia condamnant la commune de Santa Maria Poggio à verser respectivement à la SOCIETE DE GESTION DU PORT DE CAMPOLORO et à la SOCIETE FERMIERE DE CAMPOLORO les sommes de 23 218 085 F et de 9 498 018 F de la période qui a suivi ces jugements ;
En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat pour la période antérieure au 10 juillet 1992 ;
Considérant, d'une part, que la loi susvisée du 2 mars 1982 ne confère au préfet ni le pouvoir d'imposer à une commune de constituer une provision pour litige ou de dégager un excédent reportable, ni celui d'exercer un "contrôle d'opportunité" sur les décisions budgétaires des communes ; que, d'autre part, aux termes des deux premiers alinéas de l'article 8 de ladite loi : "Le budget de la commune est en équilibre réel lorsque la section de fonctionnement et la section d'investissement sont respectivement votées en équilibre, les recettes et les dépenses ayant été évaluées de façon sincère, et lorsque le prélèvement sur les recettes de la section de fonctionnement au profit de la section d'investissement, ajouté aux recettes propres de cette section, à l'exclusion du produit des emprunts, et éventuellement aux dotations des comptes d'amortissement et de provision, fournit des ressources suffisantes pour couvrir le remboursement en capital des annuités d'emprunt à échoir au cours de l'exercice. Lorsque le budget d'une commune n'est pas voté en équilibre réel, la chambre régionale des comptes, saisie par le représentant de l'Etat dans un délai de trente jours à compter de la transmission prévue à l'article 3, le constate et propose à la commune, dans un délai de trente jours à compter de sa saisine, les mesures nécessaires au rétablissement de l'équilibre budgétaire et demande au conseil municipal une nouvelle délibération ..." ; qu'aucun vote en déséquilibre du budget ou de chacune des sections de fonctionnement et d'investissement n'ayant été enregistré au cours de la période en cause, le préfet n'avait pas à saisir la chambre régionale des comptes de Corse en application des dispositions précitées de l'article 8 de la loi du 2 mars 1982 ; que, par suite, les sociétés requérantes ne sauraient en tout état de cause soutenir que la responsabilité de l'Etat se trouvait engagée, à raison de l'exercice, par le préfet de Haute-Corse au cours de la période dont il s'agit, des pouvoirs conférés par la loi du 2 mars 1982 ;
En ce qui concerne la période postérieure au 10 juillet 1992 :
Considérant qu'aux termes du II de l'article 1er de la loi susvisée du 16 juillet 1980 : "Lorsqu'une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée a condamné une collectivité locale ou un établissement public au paiement d'une somme d'argent dont le montant est fixé par la décision elle-même, cette somme d'argent doit être mandatée ou ordonnancée dans un délai de quatre mois à compter de la notification de la décision de justice. A défaut de mandatement ou d'ordonnancement dans ce délai, le représentant de l'Etat dans le département ou l'autorité de tutelle procède au mandatement d'office. En cas d'insuffisance de crédits, le représentant de l'Etat dans le département ou l'autorité de tutelle adresse à la collectivité ou à l'établissement une mise en demeure de créer les ressources nécessaires ; sil'organe délibérant de la collectivité ou de l'établissement n'a pas dégagé ou créé ces ressources, le représentant de l'Etat dans le département ou l'autorité de tutelle y pourvoit et procède, s'il y a lieu, au mandatement d'office" ;
Considérant que, conformément aux dispositions susrappelées, le préfet de Haute-Corse a, par une lettre du 14 août 1992, mis en demeure le maire de la commune de Santa-Maria X... de mandater les sommes dues en exécution des jugements du tribunal administratif de Bastia en date du 10 juillet 1992 ; qu'après avoir renouvelé cette mise en demeure le 28 décembre 1992, il a rappelé au maire, par lettre du 12 mars 1993 qu'il devait inscrire au budget de la commune les sommes nécessaires au règlement de la condamnation ; qu'il a saisi ensuite le 30 avril 1993 la chambre régionale des comptes de Corse au titre de l'article 8 de la loi du 2 décembre 1982 au motif que les crédits inscrits en dépense du budget annexe du port de Taverna pour le règlement d'une somme de 59 396 F n'avaient pas pour contre-partie des recettes ; qu'après avis de la chambre régionale des comptes, il a mis en demeure le maire d'inscrire la somme en cause au budget de la commune, puis, après l'échec de cette mise en demeure, procédé d'office, le 15 juin 1993, à l'inscription d'une mesure de 59 396 F et mandaté le même jour d'office une somme de 50 000 F au profit de chaque société demanderesse ; que sur nouvelle saisine du préfet, la chambre régionale des comptes a déclaré insincère, le 24 novembre 1994, une recette de 59 896 F inscrite au titre du règlement de cette créance ; que, par lettre du 14 janvier 1994, le préfet a rappelé au maire la nécessité de prendre les mesures propres à l'exécution des décisions de justice susrappelées, en portant notamment les taux de la fiscalité à leur plafond, en réduisant au minimum les dépenses et en envisageant les possibilités d'aliénation des biens communaux ; qu'il a, par arrêté du 20 avril 1994, fixé les taux d'imposition pour 1994 à leur niveau plafond, puis saisi la chambre régionale des comptes du budget primitif pour 1994 sur le fondement de l'article 8 de la loi du 2 mars 1982 et mandaté d'office, par arrêté du 26 août 1994 1 063 795 F à la SOCIETE DE GESTION DU PORT DE CAMPOLORO et 517 497 F à la SOCIETE FERMIERE DE CAMPOLORO ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble des diligences ainsi accomplies, dans la limite des compétences légales de l'autorité préfectorale, pour parvenir au règlement par la commune de Santa-Maria X... des sommes dont celle-ci était débitrice en exécution des jugements du tribunal administratif de Bastia du 10 juillet 1992, que le préfet n'a commis aucune faute dans l'exercice des pouvoirs dévolus par la loi du 16 juillet 1980 ; que, par suite, la responsabilité de l'Etat ne saurait être regardée comme engagée à raison d'une telle faute ;
Considérant, par ailleurs, que les faits invoqués par les sociétés requérantes ne sont pas de la nature de ceux qui peuvent engager la responsabilité de l'Etat sur le fondement d'une rupture d'égalité devant les charges publiques ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a condamné l'Etat à verser à la SOCIETE DE GESTION DU PORT DE CAMPOLORO et à la SOCIETE FERMIERE DE CAMPOLORO respectivement les sommes de 23 218 085 F et 9 498 018 F ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant que les dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance la partie perdante, soitcondamné à verser à la SOCIETE DE GESTION DU PORT DE CAMPOLORO et à la SOCIETE FERMIERE DE CAMPOLORO les sommes qu'elles réclament au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L'arrêt du 6 juin 1996 de la cour administrative d'appel de Lyon est annulé.
Article 2 : Le jugement du 30 mars 1995 du tribunal administratif de Bastia est annulé.
Article 3 : Les conclusions présentées devant le tribunal administratif de Bastia par la SOCIETE DE GESTION DU PORT DE CAMPOLORO et la SOCIETE FERMIERE DE CAMPOLORO sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE DE GESTION DU PORT DE CAMPOLORO, à la SOCIETE FERMIERE DE CAMPOLORO et au ministre de l'intérieur.