Vu la requête, enregistrée le 29 mai 1996 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. Claude X... demeurant Cap de Bosc à Dax (40180) ; M. X... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision du commandant supérieur des forces armées en Polynésie française en date du 21 novembre 1995 et la décision du chef d'état-major de l'armée de terre en date du 19 avril 1996 refusant de lui rembourser les quotes-parts versées au titre de son logement pris à bail par l'Etat sur le territoire de la Polynésie française ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 106 917,12 F, avec les intérêts au taux légal à compter du 27 octobre 1995 et la capitalisation des intérêts à compter du 4 mars 1998 ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 12 000 F sur le fondement de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le décret du 29 décembre 1903 modifié ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Challan-Belval, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Richard, Mandelkern, avocat de M. X...,
- les conclusions de Mme Bergeal, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que, contrairement à ce que soutient le ministre de la défense, M. X... justifie d'un intérêt à contester les décisions attaquées ;
Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article 21 du décret susvisé du 29 décembre 1903, portant règlement sur la solde et les accessoires de solde des troupes coloniales et métropolitaines à la charge du département de la France d'outre-mer : "Tout militaire ou assimilé, quel que soit son grade, auquel un logement est fourni, soit dans les bâtiments appartenant à l'Etat ou à toute autre collectivité administrative, soit dans les bâtiments loués à l'Etat ou une collectivité administrative, subit sur sa solde la retenue déterminée par le tarif ..."; que le montant de la retenue mensuelle à opérer sur la solde des militaires ainsi logés est fixé par le tarif n° 22 annexé audit décret du 29 décembre 1903, qui a été modifié successivement par les décrets des 12 mai 1950 et 13 novembre 1953 ; que ces dispositions sont demeurées applicables dans les territoires d'outre-mer ;
Considérant qu'il résulte des pièces versées au dossier que par une instruction permanente n° 212 du 25 septembre 1995, le commandant supérieur des forces armées de la Polynésie française a fixé un barème de participation financière de l'Etat au paiement des loyers pris à bail par l'Etat dans le secteur privé et mis à la disposition des militaires ; qu'aucun texte législatif ou réglementaire n'ayant autorisé le commandant supérieur des forces armées de la Polynésie française à fixer un tel barème, celui-ci a été édicté par une autorité incompétente ; que, c'est donc à tort qu'il a été procédé sur les bases dudit barème à des retenues sur la solde de M. X... au titre du logement qu'il a occupé au cours de son séjour en Polynésie française; que ces retenues doivent être calculées en application du tarif annexé au décret précité du 29 décembre 1903 ; que, par suite, le requérant est fondé à demander la condamnation de l'Etat à lui rembourser les sommes qui ont été indûment prélevées sur sa solde et l'annulation des décisions qui lui ont refusé ce remboursement ; que toutefois, l'état de l'instruction ne permet pas de déterminer le montant des sommes ainsi dues à M. X...; qu'il y a lieu, dans ces conditions, de renvoyer le requérant devant le ministre de la défense aux fins de les liquider ;
Sur les intérêts :
Considérant que M. X... a droit au versement des intérêts à compter du 27 octobre 1995, jour de la réception de sa demande par le ministre de la défense, sur le montant des retenues indûment perçues avant cette date, et ultérieurement à compter des échéances mensuelles des soldes sur lesquelles elles ont été perçues ;
Sur les intérêts des intérêts:
Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée le 4 mars 1998 ; qu'à cette date, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande ;
Sur les conclusions de M. X... tendant à l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article 75-I de la loi susvisée du 10 juillet 1991 et de condamner l'Etat à payer à M. X... une somme de 10 000 F au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Article 1er : Les décisions du commandant supérieur des forces armées de la Polynésie française en date du 21 novembre 1995 et du chef d'état-major de l'armée de terre en date du 19 avril 1996 sont annulées.
Article 2 : M. X... est renvoyé devant le ministre de la défense pour qu'il soit procédé à la liquidation des sommes auxquelles il a droit sur les bases définies dans les motifs de la présente décision. Les retenues indûment perçues avant le 27 octobre 1995 porteront intérêts à compter de cette date. Les retenues indûment perçues après cette date porteront intérêts à compter des échéances mensuelles des soldes sur lesquelles elles ont été prélevées. Les intérêts échus le 4 mars 1998 seront capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : L'Etat versera à M. X... une somme de 10 000 F au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Claude X... et au ministre de la défense.