Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 25 juillet et 21 novembre 1995, présentés pour l'Entreprise PORTE dont le siège social est à Beychac et Caillau (33750) ; l'Entreprise PORTE demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 29 mai 1995 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux, a, d'une part, rejeté sa demande d'annulation du jugement du 31 décembre 1992 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la communauté urbaine de Bordeaux à lui verser la somme de 1 173 319,87 F en réparation du préjudice subi du fait de son éviction du marché portant sur la rénovation de la voirie du quartier des Grands Hommes à Bordeaux et, d'autre part, l'a condamnée à verser la somme de 5 000 F au titre de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel à la communauté urbaine ;
2°) statuant au fond, de condamner la communauté urbaine de Bordeaux à lui verser une indemnité de 1 173 391,87 F, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la première demande ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mme Lagumina, Maître des Requêtes,
- les observations de Me Parmentier, avocat de l'Entreprise PORTE, et de la SCP Boulloche, avocat de la communauté urbaine de Bordeaux (CUB),
- les conclusions de Mme Bergeal, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que si, dans son arrêt, la cour énonce qu'"après un nouvel avis d'appel d'offres précédé d'une modification du cahier des clauses techniques particulières, le marché a été finalement passé ..." alors qu'il s'agissait d'un marché négocié qui n'avait pas été précédé d'une telle mise en concurrence, cette erreur dans la description des faits, sans influence sur la décision, n'est pas de nature à entraîner la cassation de l'arrêt attaqué ;
En ce qui concerne la décision déclarant l'appel d'offres infructueux :
Considérant qu'en vertu de l'article 300 du code des marchés publics, la commission d'appel d'offres a la faculté de ne pas donner suite à un appel d'offres si elle n'a pas obtenu de propositions qui lui paraissent acceptables ; que la cour a souverainement estimé que l'appréciation portée par la commission d'appel d'offres sur la conformité des offres aux exigences du cahier des clauses techniques particulières n'était pas manifestement erronée ; qu'elle a pu, sans erreur de droit, en déduire que l'appel d'offres a été légalement déclaré infructueux ; que l'arrêt est suffisamment motivé sur ce point ;
Considérant qu'en estimant qu'une simple mise au point du marché afin d'autoriser une augmentation de l'épaisseur du dallage de marque "RINN" qui constituait un aspect technique important du dossier de consultation n'était pas possible, car elle aurait porté atteinte au principe d'égalité entre les candidats, la cour administrative d'appel n'a pas entaché son arrêt d'une erreur de droit ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'Entreprise PORTE n'est pas fondée à critiquer l'arrêt en tant qu'il se prononce sur la décision déclarant l'appel d'offres infructueux ;
En ce qui concerne la régularité de la seconde consultation :
Considérant que pour rejeter la demande de l'Entreprise PORTE tendant à ce que la communauté urbaine de Bordeaux l'indemnise du préjudice qu'elle aurait subi du fait des irrégularités qui auraient entaché la passation du marché négocié, la cour a estimé que l'Entreprise PORTE ne pouvait utilement se prévaloir de ces irrégularités au motif qu'elle ne s'était pas portéecandidate lors de la seconde consultation et qu'elle ne soutenait pas avoir été dans l'impossibilité de présenter une offre conforme aux exigences de la consultation ;
Considérant, toutefois, que bien que l'Entreprise PORTE se soit abstenue de présenter une offre lors de la consultation ayant précédé la passation du marché négocié, elle avait manifesté, lors du premier appel d'offres, son intérêt à obtenir le marché et avait renoncé à présenter une offre à l'occasion du marché négocié afin de protester contre les irrégularités ayant entaché, selon elle, cette procédure ; que, par suite, la cour ne pouvait se fonder sur l'abstention de l'Entreprise PORTE pour estimer qu'elle ne pouvait, en tout état de cause, se prévaloir d'aucun préjudice résultant de ces irrégularités ; qu'il y a lieu, d'annuler, dans cette mesure, l'arrêt attaqué ;
Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la loi susvisée du 31 décembre 1987, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut "régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ; Considérant qu'après un appel d'offres déclaré infructueux, la personne responsable du marché peut adapter le dossier de consultation préalablement à la passation du marché négocié afin de tenir compte des résultats de la première consultation dès lors que ces adaptations ne modifient pas substantiellement l'objet ou les conditions de réalisation du marché ; qu'il ne résulte pas des pièces du dossier qu'en choisissant, à ce stade, un produit d'une marque déterminée, la personne responsable du marché ait méconnu le principe d'égalité entre les candidats, dès lors que seul ce produit répondait aux exigences du cahier des clauses techniques particulières ; qu'il résulte de ce qui précède qu'aucune irrégularité dont l'Entreprise PORTE pourrait se prévaloir au soutien de sa demande indemnitaire n'a entaché la seconde consultation ; que, par suite, l'Entreprise PORTE n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à ce que la communauté urbaine de Bordeaux soit condamnée à lui verser la somme de 1 173 319,87 F en réparation du préjudice qui lui a causé son éviction du marché ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 et de condamner l'Entreprise PORTE à payer à la communauté urbaine de Bordeaux une somme de 10 000 F au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; que ces dispositions font, en revanche, obstacle à ce que la communauté urbaine de Bordeaux, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamnée à payer à l'Entreprise PORTE la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux en date du 29 mai 1995 est annulé.
Article 2 : La requête de l'Entreprise PORTE devant la cour administrative d'appel de Bordeauxet le surplus des conclusions de sa requête devant le Conseil d'Etat sont rejetés.
Article 3 : L'Entreprise PORTE est condamnée à verser à la communauté urbaine de Bordeaux la somme de 10 000 F en application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'Entreprise PORTE, à la communauté urbaine de Bordeaux et au ministre de l'équipement, des transports et du logement.