Vu la requête sommaire, le mémoire complémentaire et les productions enregistrés les 18 janvier, 18 mai et 12 juin 1995 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (C.A.P.E.B.) dont le siège social est ... n° 353 à Paris cedex 13 (75625) ; la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (C.A.P.E.B.) demande que le Conseil d'Etat :
1°) annule le décret n° 94-999 du 18 novembre 1994 pris pour l'application de l'article 1799-1 du code civil et fixant un seuil de garantie de paiement aux entrepreneurs de travaux ;
2°) condamne l'Etat à lui payer la somme de 25 000 F en application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code civil, notamment ses articles 1799 et 1799-1 ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Zémor, Conseiller d'Etat,
- les observations de Me Blondel, avocat de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (C.A.P.E.B.),
- les conclusions de Mme Bergeal, Commissaire du gouvernement ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :
Considérant que l'article 1779 du code civil prévoit qu'il y a trois espèces principales de louage d'ouvrage et d'industrie, dont "3° celui des architectes, entrepreneurs d'ouvrages et techniciens par suite d'études, devis ou marchés" et que l'article 5 de la loi du 10 juin 1994 relative à la prévention et au traitement des difficultés des entreprises a introduit dans le même code un article 1799-1 qui dispose : "Le maître de l'ouvrage qui conclut un marché de travaux privé visé au 3° de l'article 1779 doit garantir à l'entrepreneur le paiement des sommes dues lorsque celles-ci dépassent un seuil fixé par décret en Conseil d'Etat. Lorsque le maître de l'ouvrage recourt à un crédit spécifique pour financer les travaux, l'établissement de crédit ne peut verser le montant du prêt à une personne autre que celles mentionnées au 3° de l'article 1779 tant que celles-ci n'ont pas reçu le paiement de l'intégralité de la créance née du marché correspondant au prêt. Les versements se font sur l'ordre écrit et sous la responsabilité exclusive du maître de l'ouvrage entre les mains de la personne ou d'un mandataire désigné à cet effet. Lorsque le maître de l'ouvrage ne recourt pas à un crédit spécifique ou lorsqu'il y recourt partiellement, et à défaut de garantie résultant d'une stipulation particulière, le paiement est garanti par un cautionnement solidaire consenti par un établissement de crédit, une entreprise d'assurance ou un organisme de garantie collective, selon des modalités fixées par décret en Conseil d'Etat. Tant qu'aucune garantie n'a été fournie et que l'entrepreneur demeure impayé des travaux exécutés, celui-ci peut surseoir à l'exécution du contrat après mise en demeure restée sans effet à l'issue d'un délai de quinze jours ..." ;
Considérant que le décret attaqué du 18 novembre 1994 a fixé le seuil prévu par les dispositions du 1er alinéa de l'article 1799-1 du code civil précité en prescrivant que : "Dans le cas où le marché de travaux est passé par un maître d'ouvrage pour la satisfaction de besoins ressortissant à une activité professionnelle en rapport avec ce marché, les dispositions de l'article 1799-1 du code civil s'appliquent chaque fois que le montant du prix convenu au titre du marché, déduction faite des arrhes et des acomptes versés lors de la conclusion de celui-ci, est supérieur à 100 000 F hors taxes ..." ;
Considérant que ces dispositions réglementaires ont pour effet d'exclure du champ d'application du bénéfice des garanties offertes par la loi à un entrepreneur le paiement des sommes correspondant aux marchés de travaux passés par des maîtres d'ouvrage pour la satisfaction de besoins autres que ceux ressortissant à une activité professionnelle en rapport avec ce marché ; qu'ainsi le décret du 18 novembre 1994 a illégalement soustrait du champ d'application de la loi cette dernière catégorie des marchés et méconnu la portée de l'article 1799-1 du code civil, par des dispositions qui ne sont pas divisibles de ses autres prescriptions et qui l'entachent par suite d'illégalité dans son ensemble ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (C.A.P.E.B.) est fondée à demander l'annulation du décret du 18 novembre 1994 ;
Sur l'application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de faire application des dispositions de la loi du 10 juillet 1991 susvisée et de condamner l'Etat à payer à la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (C.A.P.E.B.) la somme de 25 000 F qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Article 1er : Le décret n° 94-999 du 18 novembre 1994 est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à payer à la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (C.A.P.E.B.) la somme de 25 000 F en application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (C.A.P.E.B.), au Premier ministre, au garde des sceaux, ministre de la justice et au ministre de l'équipement, des transports et du logement.