Vu la requête, enregistrée le 24 octobre 1995 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Jean-Pierre X..., demeurant ... ; M. X... demande que le Conseil d'Etat annule :
1°) la décision du 1er août 1995 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a prononcé à son encontre la sanction disciplinaire de la révocation avec suspension des droits à pension ;
2°) le décret du 17 octobre 1995 le radiant des cadres de la magistrature à compter du 11 septembre 1995 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;
Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
Vu la loi n° 91-646 du 10 juillet 1991 ;
Vu la loi n° 95-884 du 3 août 1995 ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Marchand, Conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Girardot, Commissaire du gouvernement ;
Sur les conclusions tendant à l'annulation de la sanction disciplinaire prononcée le 1er août 1995 par le garde des sceaux, ministre de la justice :
Considérant qu'aux termes de l'article 43 de l'ordonnance susvisée du 22 décembre 1958 : "Tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l'honneur, à la délicatesse ou à la dignité constitue une faute disciplinaire" ; qu'aux termes de l'article 45 de la même ordonnance : "Les sanctions disciplinaires applicables aux magistrats sont : ... 7°/ la révocation avec ou sans suspension des droits à pension" et qu'aux termes de l'article 48 tel qu'il résulte de la loi organique du 18 janvier 1979 : "Le pouvoir disciplinaire est exercé ... à l'égard des magistrats du parquet ... par le garde des sceaux, ministre de la justice" ;
Considérant, en premier lieu, qu'aucune disposition législative ou réglementaire ni aucun principe général du droit n'imposaient au ministre de la justice d'attendre pour se prononcer sur les poursuites disciplinaires exercées à l'encontre du requérant que les juridictions pénales aient définitivement statué sur les poursuites engagées ;
Considérant, en deuxième lieu, que, dès lors que les écoutes téléphoniques réalisées à l'appui d'une procédure pénale avaient été recueillies et transcrites au cours d'une procédure judiciaire conformément aux dispositions de la loi du 10 juillet 1991 susvisée puis régulièrement versées au dossier disciplinaire dans le respect du caractère contradictoire de la procédure, le ministre de la justice a pu légalement fonder sa décision sur le contenu de ces pièces ;
Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte des pièces du dossier que les éléments de preuve sur lesquels s'est fondé le Conseil pour émettre son avis et le ministre de la justice pour prendre sa décision, ont été communiqués dans le cadre de la procédure disciplinaire à M. X... et à ses conseils ; qu'en outre, le requérant interrogé sur chacun des faits dont le Conseil était saisi, a fourni ses explications, que ses conseils ont assuré sa défense et qu'il a eu la parole en dernier après que le directeur des services judiciaires eut présenté ses demandes ; que le moyen tiré de la violation des droits de la défense doit être écarté ;
Considérant, en quatrième lieu, qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le rapporteur ait manqué d'impartialité ;
Considérant, en cinquième lieu, qu'en faisant explicitement état, d'une part, du caractère anormal des circonstances dans lesquelles M. X... s'était vu remettre une automobile et, d'autre part, de ses interventions destinées à mettre en échec des poursuites dans une affaire pénale, le garde des sceaux a, par une telle motivation, répondu aux exigences des dispositions précitées ; que le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté ;
Considérant, en sixième lieu, que la décision attaquée a été prise le 1er août1995 ; que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 14 de la loi d'amnistie du 3 août 1995 est, en tout état de cause, inopérant ;
Considérant, en septième lieu, que sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation, le garde des sceaux, ministre de la justice a considéré que l'une et l'autre des deux fautes disciplinaires retenues caractérisaient des manquements à l'honneur et à la probité et que chacune d'entre elles, par sa particulière gravité, justifiait la sanction maximale prévue par l'article 45-7° de l'ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée ;
Considérant enfin que le détournement de procédure et le détournement de pouvoir allégués ne sont pas établis ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. X... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a prononcé à son encontre la sanction disciplinaire de la révocation sans droit à pension ;
Sur les conclusions tendant à l'annulation du décret du 17 octobre 1995 :
Considérant que la décision de révocation avec suspension des droits à pension prise par le garde des sceaux à l'encontre de M. X... n'étant pas entachée d'illégalité, les conclusions dirigées contre le décret en date du 17 octobre 1995 portant radiation des cadres de la magistrature du requérant à compter du 11 septembre 1995, qui constitue une mesure d'exécution de ladite décision, doivent être rejetées ;
Article 1er : La requête de M. X... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Jean-Pierre X..., au Premier ministre et au garde des sceaux, ministre de la justice.