Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 9 août 1995 et 28 août 1995 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la ville de Paris, représentée par son maire en exercice ; la ville de Paris demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler les articles 2 et 4 du jugement du 7 avril 1995 par lesquels le tribunal administratif de Paris a annulé, à la demande de l'Association pour la défense des droits des artistes peintres sur la place du Tertre, l'arrêté de son maire du 16 février 1990, portant réglementation du "carré aux artistes" de la place du Tertre et l'a condamnée à verser à cette association une somme de 10 000 F au titre des frais exposés par celle-ci et non compris dans les dépens ;
2°) de rejeter la demande présentée par l'Association pour la défense des droits des artistes peintres sur la place du Tertre devant le tribunal administratif de Paris ;
3°) de condamner cette association à lui payer une somme de 10 000 F, au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu l'arrêté des consuls du 12 messidor, an VIII ;
Vu la loi n° 75-1331 du 31 décembre 1975, modifiée ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Struillou, Maître des Requêtes,
- les observations de Me Foussard, avocat de la ville de Paris et de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de l'Association pour la défense des droits des artistes peintres sur la place du Tertre,
- les conclusions de M. Bachelier, Commissaire du gouvernement ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant que, si le tribunal administratif de Paris a omis de viser les mémoires en défense produits le 19 novembre 1990 et le 21 novembre 1994 par la ville de Paris, il a répondu, dans les motifs de son jugement, aux moyens soulevés dans ces mémoires ; que, dans ces conditions, la ville de Paris n'est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué serait entaché d'un vice de forme de nature à entraîner son annulation ;
Sur la légalité de l'arrêté du maire de Paris du 16 février 1990 :
Considérant que, par cet arrêté, le maire de Paris a réglementé le "carré aux artistes" de la place du Tertre en y délimitant 140 emplacements de 1m chacun réservés aux peintres, aux portraitistes et aux silhouettistes qui auront obtenu une autorisation d'y exercer leur profession, moyennant le paiement d'une redevance forfaitaire annuelle au titre de l'occupation du domaine public ; que le fait que l'arrêté du 16 février 1990 a été pris par le marie de Paris en tenant compte d'impératifs d'ordre et de sécurité publics, n'a pas pour effet de lui retirer son caractère de règlement relatif à l'occupation du domaine public ; que, par suite, c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé sur ce que l'arrêté aurait été pris pour des motifs de police municipale pour l'annuler comme entaché d'incompétence ;
Considérant, toutefois, qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par l'Association pour la défense des droits des artistes peintres sur la place du Tertre devant le tribunal administratif de Paris ;
Considérant que les pouvoirs en matière de "petite voirie" confiés au préfet de police par l'article 21 de l'arrêté des consuls du 12 messidor an VIII ont été transférés au préfet de la Seine par l'article 1er du décret impérial du 10 octobre 1859 ; que le décret du 29 octobre 1930 n'a restitué au préfet de police que certaines de ces attributions, notamment celle qui a trait à la délivrance aux "petits marchands" ne tenant pas boutique de permis de stationnement sur les trottoirs et places publiques ; que l'article 2 de la loi n° 75-1331 du 31 décembre 1975 a soumis la ville de Paris, sous réserve de certaines exceptions, aux dispositions du code de l'administration communale, alors en vigueur ; que l'article 34 de la même loi a, notamment, abrogé le décret-loi du 21 avril 1939, portant réforme du régime administratif de la ville de Paris et du département de la Seine, qui chargeait le préfet de la Seine d'assurer l'exécution des délibérations du conseil municipal et de prendre toutes décisions utiles à l'administration de la ville ; que ces dispositions ont eu pour effet de transférer au maire de Paris les pouvoirs domaniaux du préfet de la Seine ; qu'aux termes des deux premiers alinéas de l'article 9 de la loi précitée du 31 décembre 1975, tel qu'il a été modifié par la loi n° 86-1308 du 29 décembre 1986 : "Dans la ville de Paris, le préfet de police exerce les pouvoirs et attributions qui lui sont conférés par l'arrêté des consuls du 12 messidor an VIII qui détermine les fonctions du préfet de police à Paris, par les textes qui l'ont modifié et par les articles L. 184-13 à L. 184-15 et L. 394-3 du code des communes. Toutefois, dans les conditions définies par ce même code et le code de la santé publique, le maire de Paris est chargé de la police municipale en matière de salubrité sur la voie publique ainsi que du maintien du bon ordre dans les foires et marchés et, sous réserve de l'avis du préfet de police, de tout permis de stationnement accordé aux petits marchands, de toute permission et concession d'emplacement sur la voie publique" ; que le transfert au maire de Paris de la délivrance de permis de stationnement aux "petits marchands", n'a pas restreint les pouvoirs domaniaux qui lui avaient été dévolus avant l'entrée en vigueur de la loi du 29 décembre 1986 ; qu'ainsi les pouvoirs du maire de Paris en matière de permis de stationnement, qui ne sont pas limitativement énumérés par l'article 9, modifié, de la loi du 31 décembre 1975, s'étendent à l'ensemble du domaine public de la ville de Paris, sous réserve des compétences réservées au préfet de police ; que, par suite, les moyens tirés par l'Association pour la défense des droits des artistes peintres sur la place du Tertre de ce que celle-ci ne serait pas un marché et de ce que les artistes qui y exercent leur profession ne seraient pas des "petits marchands", sont inopérants ; que l'arrêté du 16 février 1990 n'empiète pas sur les attributions réservées au préfet de police et n'est donc pas entaché d'incompétence ;
Considérant que cet arrêté, qui prévoit la délivrance d'autorisations d'occupation privative du domaine public communal, ne porte pas, par lui-même, atteinte au principe de la liberté du commerce et de l'industrie ;
Considérant que la composition de la commission instituée par les articles 7 et 8 de l'arrêté du 16 février 1990 et chargée de donner un avis au maire de Paris sur les demandes d'autorisation ou de renouvellement d'autorisation d'occupation des emplacements du "carré des artistes" de la place du Tertre, ne porte aucune atteinte au principe d'égalité ;
Considérant que, pour contester la légalité de la redevance prévue par l'article 15 de l'arrêté du 16 février 1990, l'Association pour la défense des droits des artistes peintres sur la place du Tertre ne peut invoquer un principe de gratuité qui est inapplicable aux autorisations d'occupation privative du domaine public ;
Considérant que l'article 17 de l'arrêté du 16 février 1990 dispose que "l'exercice sans autorisation de l'une des activités visées à l'article 4 sera sanctionné conformément aux dispositions des articles R. 38-14° et R. 39-1° du code pénal" ; que le 14°de l'article R. 38 du code pénal, alors en vigueur, punissait "ceux qui, sans autorisation régulière, offriront, mettront en vente ou exposeront en vue de la vente des marchandises dans les lieux publics en contravention aux dispositions réglementaires sur la police de ces lieux" ; que l'article R. 39-1° du même code permettait la saisie et la confiscation de ces marchandises ; que, lorsqu'ils exécutent, place du Tertre, un portrait à la demande d'un client, les peintres, portraitistes ou silhouettistes ne vendent pas une marchandise ; qu'ainsi, en prévoyant que l'exercice sans autorisation, sur l'un des emplacements du "carré des artistes", de la profession de peintre, portraitiste ou silhouettiste, donnerait lieu à l'application du 14° de l'article 38 et de l'article 39-1° du code pénal, le maire de Paris ne s'est pas borné à rappeler les dispositions pénales qui étaient applicables avant l'entrée en vigueur du nouveau code pénal ; qu'il a ainsi excédé ses pouvoirs ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la ville de Paris est fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'article 2 du jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé les articles 1er à 16 et 18 à 20 de l'arrêté de son maire du 16 février 1990 ; qu'en revanche, elle n'est pas fondée à se plaindre de l'annulation de l'article 17 de cet arrêté ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a lieu, ni d'annuler l'article 4 du jugement attaqué condamnant la ville de Paris, par application de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, à payer une somme de 10 000 F à l'Association pour la défense des droits des artistes peintres sur la place du Tertre, ni de faire droit aux conclusions présentées devant le Conseil d'Etat par cette association et par la ville de Paris au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Article 1er : L'article 2 du jugement du tribunal administratif de Paris du 7 avril 1995 est annulé en tant qu'il a annulé les articles 1er à 16 et 18 à 20 de l'arrêté du maire de Paris du 16 février 1990.
Article 2 : La demande présentée devant le tribunal administratif de Paris par l'Association pour la défense des droits des artistes peintres sur la place du Tertre est rejetée, en tant qu'elle tend à l'annulation des articles cités à l'article premier ci-dessus de l'arrêté du 16 février 1990.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la ville de Paris, ainsi que les conclusions présentées devant le Conseil d'Etat par l'Association pour la défense des droits des artistes peintres sur la place du Tertre au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991, sont rejetés.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la ville de Paris, à l'Association pour la défense des droits des artistes peintres sur la place du Tertre et au ministre de l'intérieur.