Vu la requête enregistrée le 8 juin 1994 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. et Mme Marcel Y..., demeurant à Autrebosc, Tourneville (27930) ; M. et Mme Y... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 10 mai 1994 du tribunal administratif de Rouen rejetant leur demande dirigée contre la délibération du 5 mars 1990 par laquelle le conseil municipal de Tourneville a mandaté son maire aux fins d'acquérir une parcelle desservant plusieurs propriétés ;
2°) de joindre au jugement de cette requête celui de l'appel présenté sous le n° 94 NT 567 devant la cour administrative d'appel de Nantes ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l'urbanisme ;
Vu le code des communes ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mlle Mignon, Auditeur,
- les conclusions de M. Bachelier, Commissaire du gouvernement ;
Sur la fin de non-recevoir opposée à la requête par la commune de Tourneville :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 600-3 du code de l'urbanisme : "En cas de déféré du préfet ou du recours contentieux à l'encontre d'un document d'urbanisme ou d'une décision relative à l'occupation ou l'utilisation du sol régie par le présent code, le préfet ou l'auteur du recours est tenu, à peine d'irrecevabilité, de notifier son recours à l'auteur de la décision et, s'il y a lieu, au titulaire de l'autorisation. Cette notification doit également être effectuée dans les mêmes conditions en cas de demande tendant à l'annulation ou à la réformation d'une décision juridictionnelle concernant un document d'urbanisme ou une décision relative à l'occupation ou l'utilisation du sol" ; que la requête de M. et Mme Y..., qui est dirigée contre le jugement du 10 mai 1994 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la délibération du 5 mars 1990 du conseil municipal de Tourneville (Eure), mandatant le maire de cette commune pour acquérir une parcelle desservant diverses propriétés, n'est pas au nombre des recours visés par l'article L. 600-3 du code de l'urbanisme ; qu'ainsi, la commune de Tourneville n'est pas fondée à soutenir que la requête de M. et Mme Y... serait irrecevable, faute pour ces derniers de la lui avoir notifiée ;
Sur les conclusions de M. et Mme Y... qui tendent à ce que le Conseil d'Etat statue, en raison du lien de connexité qu'elle présenterait avec leur requête enregistrée sous le n° 159190, sur une autre requête, dont ils ont saisi la cour administrative d'appel de Nantes :
Considérant qu'entre le présent litige et l'appel formé par M. et Mme Y... devant la cour administrative d'appel de Nantes contre le jugement du tribunal administratif de Rouen qui a rejeté leur demande dirigée contre un arrêté de lotir concernant l'une des propriétés ci-dessus mentionnées, il n'existe aucun lien de connexité, au sens de l'article R. 73 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ; que les conclusions ci-dessus analysées doivent, par suite être rejetées ;
Sur la légalité de la délibération du conseil municipal de Tourneville du 5 mars 1990 :
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 121-35 du code des communes, alors applicable : "Sont illégales les délibérations auxquelles ont pris part des membres du conseil intéressés à l'affaire qui en a fait l'objet, soit en leur nom personnel, soit comme mandataire" ;
Considérant que la délibération attaquée a pour objet de permettre l'acquisition par la commune de Tourneville d'un chemin privé desservant plusieurs propriétés, dont cellede M. X..., maire de cette commune ; que les propriétés situées au nord de ce chemin bénéficiaient déjà d'un droit de passage sur ce chemin, pour leur desserte ; qu'il n'en est pas de même des propriétés, situées au sud de celui-ci, qui résultent de la division par M. X... d'un terrain acquis par lui en 1984 et dont il n'a gardé la propriété qu'en partie, la parcelle conservée ne disposant, en effet, que d'un droit de passage sur une parcelle mitoyenne, non aménagée à cet effet ; que, dans ces circonstances, M. X..., maire de Tourneville, doit être regardé comme "intéressé à l'affaire", au sens des dispositions précitées du code des communes, dès lors que cet intérêt était distinct de celui de la généralité des habitants de la commune ; que sa participation à l'adoption de la délibération attaquée ne peut être regardée comme ayant été sans influence sur le résultat du vote ; qu'ainsi, cette délibération est entachée d'illégalité et doit être annulée ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. et Mme Y... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté leur demande d'annulation de la délibération du 5 mars 1990 du conseil municipal de Tourneville ;
Article 1er : Le jugement du 10 mai 1994 du tribunal administratif de Rouen et la délibération du 5 mars 1990 du conseil municipal de Tourneville, sont annulés.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme Y... est rejeté.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme Marcel Y..., à la commune de Tourneville (Eure) et au ministre de l'intérieur.