Vu, enregistré le 18 novembre 1996 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, le jugement en date du 6 novembre 1996 par lequel le tribunal administratif de Caen, avant de statuer sur la requête par laquelle le préfet de la Manche a déféré au tribunal comme prévenue d'une contravention de grande voirie la Société Nouvelle Entreprise Henry (SNEH), pour avoir détérioré une installation aérienne de télécommunications, a décidé, par application des dispositions de l'article 12 de la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 portant réforme du Contentieux administratif, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :
1. Compte tenu de l'article 13 de la loi n° 96-659 du 26 juillet 1996, les poursuites engagées à l'encontre de la SNEH peuvent-elles donner lieu à condamnation sur le fondement des dispositions de l'article R. 43 du code des postes et télécommunications ?
2. Dans la négative, le tribunal ainsi saisi de la contravention de grande voirie peut-il se prononcer sur le bien-fondé de l'action domaniale engagée à l'encontre de cette société ?
3. Dans cette hypothèse, les dispositions de l'article 6 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales peuvent-elles être utilement opposées à une telle action ?
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code des postes et télécommunications et notamment ses articles L. 65, R. 43 et R. 44 ;
Vu la loi n° 96-659 du 26 juillet 1996 ;
Vu la loi n° 96-660 du 26 juillet 1996 ;
Vu la loi n° 97-1127 du 31 décembre 1987 et notamment son article 12 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mlle Mignon, Auditeur,
- les conclusions de M. Bachelier, Commissaire du gouvernement ;
1. Le II de l'article 13 de la loi susvisée du 26 juillet 1996 de réglementation des télécommunications abroge expressément les articles L. 69-1, L. 70 et L. 71 du code des postes et télécommunications qui prévoyaient que la dégradation ou la détérioration du réseau souterrain des télécommunications de l'exploitant public ou l'atteinte à son fonctionnement constituaient des contraventions de grande voirie. Le I de l'article 13 de la même loi institue une nouvelle infraction pénale en punissant d'une amende de 10 000 F le fait de déplacer, détériorer, dégrader de quelque manière que ce soit une installation d'un réseau de télécommunication ouvert au public ou de compromettre le fonctionnement d'un tel réseau. Il résulte de la combinaison de ces dispositions ainsi que des travaux préparatoires de cette loi que le législateur a entendu mettre fin de manière générale à la protection particulière dont bénéficiaient les biens de l'exploitant public France-Télécom résultant de leur soumission au régime des contraventions de grande voirie. Par suite, les dispositions des articles R. 43 et R. 44 du code des postes et télécommunications qui prévoient d'une part, que la dégradation d'une installation du réseau aérien des télécommunications de l'exploitant public doit être punie d'une amende et d'autre part, que cette infraction est poursuivie et jugée comme en matière de grande voirie, sont incompatibles avec les dispositions précitées de l'article 13 de la loi du 26 juillet 1996 et nepeuvent plus recevoir application à compter de l'entrée en vigueur de celles-ci. A compter de cette date, les atteintes au réseau aérien des télécommunications de France-Télécom ne constituent plus une contravention de grande voirie.
2. Les dispositions précitées de l'article 13 de la loi susvisée du 26 juillet 1996 ont eu pour objet, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, de mettre fin pour l'avenir à la protection particulière dont bénéficiaient les biens de l'exploitant public France-Télécom et non d'organiser un transfert de compétence du juge administratif au juge judiciaire. Il suit de là que le juge administratif demeure compétent pour statuer sur les contraventions de grande voirie dont il a été saisi avant l'entrée en vigueur de la loi précitée du 26 juillet 1996 tant au titre de l'action répressive qu'au titre de l'action domaniale.
3. Si les contraventions de grande voirie ne sont pas, compte tenu de leur objet et des règles de procédure et de compétence qui leur sont applicables, des contraventions de police, le principe selon lequel la loi pénale nouvelle doit, lorsqu'elle abroge une incrimination, s'appliquer aux infractions commises avant son entrée en vigueur et n'ayant pas donné lieu à des condamnations passées en force de chose jugée, s'étend aux peines d'amende dont ces contraventions sont assorties. En effet, dès lors qu'elles présentent le caractère d'une punition tendant à empêcher la réitération des agissements qu'elles visent, ces amendes constituent, même si le législateur a laissé le soin de les prononcer au juge administratif, des sanctions soumises au principe de nécessité des peines tel qu'il résulte de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 selon lequel "la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires". Il en résulte qu'en l'absence de dispositions transitoires qui auraient été prévues par la loi du 26 juillet 1996 susvisée, les dégradations du réseau aérien des télécommunications de France-Télécom dont le juge administratif a été saisi antérieurement à la date d'entrée en vigueur de la loi du 26 juillet 1996 ne peuvent plus donner lieu, après cette date, à une condamnation à une amende par le juge des contraventions de grande voirie.
En revanche, le fait que les dispositions répressives de l'article R. 43 du code des postes et télécommunications ne puissent plus recevoir application à compter de l'entrée en vigueur de la loi du 26 juillet 1996 ne fait pas obstacle à ce que le juge administratif statue sur l'action en réparation des dommages causés au réseau aérien des télécommunications de FranceTélécom dont il a été saisi antérieurement à cette date.
4. Les stipulations de l'article 6 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne sont applicables qu'en matière pénale. Le juge administratif, lorsqu'il statue sur l'action en réparation des dommages causés au domaine public, ne statue pas sur une accusation en matière pénale au sens de ladite convention. Il suit de là que les stipulations de l'article 6 3 ne peuvent être utilement invoquées en pareil cas.
Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Caen, au préfet de la Manche, à France-Télécom, à la Société Nouvelle Entreprise Henry et au ministre de l'industrie, de la poste et des télécommunications.
Il sera publié au Journal officiel de la République française.