Vu la requête sommaire, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 7 mars 1990 et le mémoire complémentaire, enregistré le 9 juillet 1990, présentés pour la S.C.I. du Faubourg Montmartre dont le siège est c/o S.C.I. du ..., rue Notre-Dame des Victoires à Paris (75002), comme venant aux droits de la S.C.I. Prémont ; la société demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 29 décembre 1989 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté la requête de la S.C.I. Prémont tendant, en premier lieu, à la décharge du complément de taxe sur la valeur ajoutée de 310 584 F auquel elle a été assujettie au titre de la période coïncidant avec l'année 1971, par avis de mise en recouvrement n° 771876-B, ainsi que des pénalités y afférentes, et, en second lieu, à ce que l'Etat soit condamné à lui verser une somme de 20 000 F par application des dispositions de l'article 1er du décret du 2 septembre 1988 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 40 000 F, au titre des frais irrépétibles ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Fabre, Conseiller d'Etat,
- les observations de la SCP Delaporte, Briard, avocat de la S.C.I. du Faubourg Montmartre,
- les conclusions de M. Ph. Martin, Commissaire du gouvernement ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi :
Considérant que le 7° de l'article 257 du code général des impôts, qui soumet à la taxe sur la valeur ajoutée, même lorsqu'elles revêtent un caractère civil, "les opérations concourant à la production ou à la livraison d'immeubles", dispose que "sont notamment visés : ... les ventes et les apports en société de terrains à bâtir (et) des biens assimilés à ces terrains par l'article 691 ... ; les ventes d'immeubles et les cessions, sous forme de vente ou d'apport en société, de parts d'intérêts ou d'actions dont la jouissance assure en droit ou en fait l'attribution en propriété ou en jouissance d'un immeuble ou d'une fraction d'immeuble ; les livraisons à soi-même d'immeubles" ; qu'aux termes du 2 de l'article 266 du même code : "En ce qui concerne les opérations entrant dans le champ d'application du 7° de l'article 257, la taxe sur la valeur ajoutée est assise : a) pour les livraisons à soi-même, sur le prix de revient total des immeubles, y compris le coût des terrains ou leur valeur d'apport ; b) pour les mutations à titre onéreux ou les apports en société sur : le prix de la cession, le montant de l'indemnité ou la valeur des droits sociaux rémunérant l'apport, augmenté des charges qui s'y ajoutent ; la valeur vénale réelle des biens ... si cette valeur vénale est supérieure au prix, au montant de l'indemnité ou à la valeur des droits sociaux, augmenté des charges" ; que, dans sa rédaction applicable en l'espèce, le 1 de l'article 269 du code dispose que "le fait générateur de la taxe sur la valeur ajoutée est constitué : ... b) pour les livraisons à soi-même entrant dans le champ d'application du 7° de l'article 257, par la livraison ... c) pour les mutations à titre onéreux ou les apports en société entrant dans le champ d'application du 7° de l'article 257, par l'acte qui constate l'opération, ou, à défaut, par le transfert de propriété ..." ; qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions que les "opérations concourant à la production ou à la livraison d'immeubles" s'entendent de celles qui empruntent la forme, soit d'une livraison à soi-même d'immeubles, soit d'une mutation à titre onéreux ou d'un apport en société de terrains à bâtir, de biens assimilés à ces terrains, d'immeubles bâtis ou de droits portant sur ces objets ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par acte notarié du 20 janvier 1971, la S.C.I. Prémont a acquis de la Société immobilière de l'Elysée-Palace les 678 millièmes indivis d'un terrain, dont celle-ci était propriétaire à Lille, moyennant un prix dont une partie serait convertie en l'obligation pour la S.C.I. Prémont d'édifier sur ce terrain, après destruction du bâtiment existant, un nouvel immeuble dont un certain nombre de lots, équivalant aux 322 millièmes des droits indivis qu'elle avait conservés, reviendraient à la Société immoblière de l'Elysée-Palace ; que, pour juger que la S.C.I. Prémont avait été à bon droit assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée, à raison de la "dation en paiement" de ces lots, la cour administrative d'appel de Nancy a retenu que le contrat passé entre la S.C.I. Prémont et la Société immobilière de l'Elysée-Palace avait eu pour objet et pour effet d'attribuer à la seconde un droit de propriété sur une fraction de l'immeuble que la première s'était engagée à édifier et que, ne renvoyant pas à un acte ultérieur, il avait ainsi constaté une mutation à titre onéreux entrant dans le champ d'application de l'article 257.7° du code général des impôts et constitué, en vertu de l'article 269 du même code, le fait générateur de la taxe sur la valeur ajoutée due au titre de cette mutation ; qu'en statuant ainsi, alors que la Société Immobilière de l'Elysée-Palace devait, en vertu de l'acte du 20 janvier 1971 et du seul fait qu'elle conservait des droits indivis sur le terrain d'emprise de l'immeuble à édifier, devenir propriétaire, par voie d'accession, au fur et à mesure de l'exécution des travaux les concernant, des lots qui seraient réalisés, pour son compte, par la S.C.I. Prémont, et, par suite, que cette transaction ne pouvait être regardée comme donnant lieu à une mutation à titre onéreux d'immeubles entrant dans le champ d'application du 7° de l'article 257 du code général des impôts, la cour administrative d'appel a entaché son arrêt d'une erreur de droit ; que celui-ci doit, dès lors, être annulé ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, par application de l'article 11 de la loi du 31 décembre 1987, de régler l'affaire au fond ;
Considérant qu'il résulte de ce qui vient d'être dit que la S.C.I. du Faubourg Montmartre, venant aux droits de la S.C.I. Prémont, est fondée à soutenir que c'est à tort que par son jugement du 13 février 1986, le tribunal administratif de Lille a rejeté la demande de la S.C.I. Prémont, tendant à la décharge du complément de taxe sur la valeur ajoutée de 310 584 F, à elle assignée par avis de mise en recouvrement du 30 novembre 1987 et calculé sur la différence entre la "valeur vénale réelle" des lots devant revenir à la Société Immobilière de l'Elysée-Palace et le prix de "cession", jugé insuffisant par l'administration, qui avait été porté dans l'acte notarié du 20 janvier 1971 ; qu'il y a lieu de décharger la S.C.I. du Faubourg Montmartre de cette imposition, ainsi que des indemnités de retard y afférentes, substituées par la cour administrative d'appel de Nancy aux pénalités pour mauvaise foi initialement appliquées ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 et de condamner l'Etat à payer à la S.C.I. du Faubourg Montmartre, au titre des frais exposés par celle-ci et non compris dans les dépens, une somme de 20 000 F ;
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 29 décembre 1989 et le jugement du tribunal administratif de Lille du 13 février 1986 sont annulés.
Article 2 : La S.C.I. du Faubourg Montmartre est déchargée du complément de taxe sur la valeur ajoutée de 310.584 F, assigné à la S.C.I. Prémont au titre de la période coïncidant avec l'année 1971, par avis de mise en recouvrement n° 77/1876/B du 30 novembre 1987, ainsi que des indemnités de retard y afférentes.
Article 3 : L'Etat paiera à la S.C.I. du Faubourg-Montmartre une somme de 20 000 F au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la S.C.I. du Faubourg Montmartre et au ministre de l'économie et des finances.