Vu la requête, enregistrée le 14 janvier 1994 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. Franck X..., demeurant ... ; M. X... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 2 décembre 1993 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, réformant le jugement du 8 avril 1992 du tribunal administratif de Paris condamnant l'Etat à lui verser la somme de 500 000 F en réparation du préjudice qu'il a subi du fait de sa contamination par le virus de l'immuno-déficience humaine, a, d'une part, porté à 506 000 F avec capitalisation des intérêts la somme que l'Etat est condamné à payer, d'autre part, condamné l'Etat à lui verser la somme de 6 000 F au titre des frais irrépétibles ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 2 millions de F, diminuée de l'indemnité de 628 000 F effectivement réglée par le Fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles (F.I.T.H.) et assortie des intérêts légaux ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 10 000 F au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 91-1406 du 31 décembre 1991 ;
Vu le décret n° 92-183 du 26 février 1992 ;
Vu le décret n° 92-759 du 31 juillet 1992 modifié par le décret n° 93-906 du 12 juillet 1993 ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mlle Laigneau, Maître des Requêtes,
- les observations de Me Blanc, avocat de M. X...,
- les conclusions de M. Frydman, Commissaire du gouvernement ;
Sur la régularité de l'arrêt attaqué :
Considérant que l'article R.153-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel dispose que "Lorsque la décision lui paraît susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office, le président de la formation de jugement en informe les parties avant la séance de jugement et fixe le délai dans lequel elles peuvent présenter des observations" ; qu'il est constant que le requérant a été informé de l'intervention du Fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles institué par l'article 47 de la loi du 31 décembre 1991 devant la cour d'appel et a produit des observations en appel sur ce point ; qu'ainsi, le moyen tiré de ce que la cour aurait entaché son jugement d'une irrégularité en déduisant d'office des sommes versées au requérant par le Fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles les sommes qu'elle a condamné l'Etat à verser à l'intéressé en réparation du préjudice subi du fait de sa contamination par le virus de l'immuno-déficience acquise manque en fait ;
Sur le calcul des intérêts :
Considérant que la cour d'appel a, en application de l'article 47 de la loi du 31 décembre 1991 et de l'article 17 du décret du 31 juillet 1992 modifié, pris pour son application, déduit de la somme de 2 millions de francs qu'elle a condamné l'Etat à verser à la victime au titre de sa responsabilité, la somme offerte par le Fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles et acceptée par la victime et fait porter les intérêts dus à la victime sur le résultat de cette déduction ;
Considérant qu'en versant au requérant une indemnité en application de l'article 47 de la loi du 31 décembre 1991, le fonds d'indemnisation n'a pas fait droit à la sommation de payer adressée par la victime à l'Etat, sur le fondement des règles de droit commun de la responsabilité et à la suite de laquelle a été engagée contre l'Etat l'action en réparation faisant l'objet de l'arrêt attaqué et n'a ainsi pas payé une somme que l'Etat aurait dû verser dès réception de la sommation de payer ; que la responsabilité de l'Etat n'étant engagée au titre du droit commun que sur la part du préjudice non indemnisé par le fonds, la cour n'a pas commis une erreur de droit en n'accordant les intérêts dus à la victime que sur la somme restant ainsi à la charge de l'Etat ;
Sur la déduction des indemnités versées en réparation du même préjudice :
Considérant que le juge administratif, saisi d'une demande de réparation du préjudice résultant de la contamination par le virus de l'immuno déficience humaine et informé de ce que la victime ou ses ayants droit ont été déjà indemnisés du préjudice dont ils demandent réparation, doit d'office déduire la somme ainsi allouée du montant du préjudice indemnisable ; qu'en revanche et eu égard aux objectifs d'indemnisation complète et rapide fixés par le législateur, le juge doit accorder une réparation intégrale du préjudice depuis la publication du décret du 12 juillet 1993 dans les cas où la somme à verser par le fonds en réparation du préjudice invoqué est susceptible d'être remise en cause ;
Considérant que si la fraction de l'indemnisation que le fonds ne s'est engagé à verser qu'à compter de la date à laquelle la contamination se traduirait par les manifestations pathologiques du syndrome de l'immuno-déficience acquise n'est pas susceptible d'être remise en cause dans son montant dès lors que l'offre du fonds a été acceptée par le requérant, le versement de cette somme est éventuel et subordonné à l'apparition de la maladie ; qu'ainsi, la cour a commis une erreur de droit en la déduisant des sommes qu'elle a condamné l'Etat à verser en réparation du même préjudice ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le requérant est fondé à demander l'annulation de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 2 décembre 1993 en tant qu'il a déduit des sommes qu'il a condamné l'Etat à payer, l'indemnisation offerte par le Fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles en réparation du préjudice résultant de l'apparition de la maladie ; qu'il y a lieu de renvoyer sur ce point l'affaire à la cour administrative d'appel de Paris ;
Considérant qu'il y a lieu, en application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991, de condamner l'Etat à verser à M. X... la somme de 10 000 F qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L'arrêt de la cour d'appel administrative de Paris du 2 décembre 1993 est annulé en tant qu'il a déduit des sommes qu'il a condamné l'Etat à verser en réparation du préjudice résultant de la contamination de M. X... par le virus de l'immuno déficience humaine l'indemnisation liée à la survenance de la maladie offerte par le Fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles.
Article 2 : Le jugement de la présente affaire est renvoyé sur ce point à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : L'Etat est condamné à verser à M. X... la somme de 10 000 F en application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. X..., au président de la cour administrative d'appel de Paris et au ministre d'Etat, ministre des affaires sociales, de la santé et de la ville.