Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 21 décembre 1987 et 20 avril 1988 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Aran demeurant Hôpital Pellegrin U 229 Place Amélie Raba Léon à Bordeaux (33000), M. ARNAUD demeurant 56, avenue Joffre à La Garenne Colombes (92250), M. BROMONT demeurant 62, rue du Moulin à Fleury-Les-Aubrais (45400), M. CITTANOVA demeurant 75, avenue Mozart à Paris (75016), M. CLAUDE demeurant 1, rue Montéra à Paris (75012), M. J. CROS demeurant 205, route de Narbonne à Toulouse (31400), Melle D. DUCHENE, demeurant 8 bis, rue Laurent Pichat à Paris (75116), M. DUCHENE MARULLAZ, élisant domicile à la Faculté de Médecine de Clermont-Ferrand 28, place Henri Durant (63000), M. FREYRIA demeurant résidence Nazeleyre, 18, boulevard de la République à Vaucresson (92420), M. J.M. GARCOUIL domicilié à la Faculté de Pharmacie de Poitiers 34, rue du Jardin des plantes à Poitiers (86000), M. GROSSE demeurant 319, rue du Bourg à Gidy (45400), M. de JONG, 2434, rue de l'Oasis à Puteaux (92800), M. LEIRIS demeurant avenue de Verdun à Meylan (38140), M. LHOSTE demeurant 40, rue Poliveau à Paris (75005), M. MEYER professeur élisant domicile à l'Hôpital Necker, 161, rue de Sèvres, à Paris (75015), M. MILHAUD élisant domicile à l'hôpital Saint-Antoine, 184, Faubourg Saint-Antoine à Paris (75012), M. MIRONNEAU élisant domicile 146, rue Léo Saignat à Bordeaux (33076), M. O. NARCISSE élisant domicile à la Faculté de Médecine de Tours, rue Joseph Cugnot à Saint Pierre des Corps cedex (37702), M. J. NARGEOT demeurant route de Mende, à Montpellier (34100), M. POIRIER demeurant 26, rue de Varenne à Paris (75007), M. Luc ROCHETTE, demeurant 7, boulevard Jeanne d'Arc à Dijon (21000), M. H. SIMON élisant domicile à l'INSERM de Bordeaux 146, rue Léo Saignat, à Bordeaux (33076), M. SIOU demeurant 59, avenue de Paris à Versailles (78000), M. STINUS élisant domicile à l'INSERM de Bordeaux 146, rue Léo Saignat, à Bordeaux (33076), M. VARGASTIG élisant domicile à l'Institut Pasteur, 25, rue du Docteur Roux à Paris (75015), Mme VERAIN demeurant 2, rue de l'Oisans à la Tronche (38700), M. J. WEPIERRE élisant domicile à la Faculté des Sciences Pharmaceutiques de Chatenay Malabry, 140, rue Houdan à Sceaux(92330), M. SASSARD élisant domicile à la Faculté de Pharmacie de Lyon 8, avenue Rockfeller à Lyon (69008) ; les requérants demandent que le Conseil d'Etat annule pour excès de pouvoir le décret n° 87-848 du 19 octobre 1987 pris pour application de l'article 454 du code pénal et du troisième alinéa de l'article 276 du code rural et relatif aux expériences pratiquées sur les animaux ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code pénal et notamment ses articles 453 et 454 ;
Vu le code rural et notamment son article 276 ;
Vu la loi du n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Marc Guillaume, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Lesourd, Baudin, avocat de M. Aran,
- les conclusions de M. Savoie, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'aux termes de l'article 276 du code rural : "Il est interdit d'exercer des mauvais traitements envers les animaux domestiques ainsi qu'envers les animaux sauvages apprivoisés ou tenus en captivité. - Des décrets en Conseil d'Etat déterminent les mesures propres à assurer la protection de ces animaux contre les mauvais traitements ou les utilisations abusives et à leur éviter des souffrances lors des manipulations inhérentes aux diverses techniques d'élevage, de parcage, de transport et d'abattage des animaux. - Il en est de même pour ce qui concerne les expériences biologiques, médicales et scientifiques qui doivent être limitées aux cas de stricte nécessité" ; que le premier alinéa de l'article 453 du code pénal dispose que : "Quiconque aura, sans nécessité, publiquement ou non, exercé des sévices graves ou commis un acte de cruauté envers un animal domestique ou apprivoisé ou tenu en captivité, sera puni d'une amende de 500 F à 15 000 F et d'un emprisonnement de quinze jours à six mois, ou de l'une de ces deux peines seulement. En cas de récidive, les peines seront portées au double" ; et que selon l'article 454 du même code : "Sera puni des peines prévues à l'article 453 quiconque aura pratiqué des expériences ou recherches scientifiques ou expérimentales sur les animaux sans se conformer aux prescriptions qui seront fixées par un décret en Conseil d'Etat" ;
Sur la légalité des articles 5 et 6 du décret attaqué :
Considérant qu'il résulte des dispositions précitées du code rural et du code pénal que le législateur a invité le gouvernement à déterminer par décret en Conseil d'Etat les mesures propres à assurer la protection des animaux contre des mauvais traitements ou des expériences abusives ; qu'en soumettant à autorisation le droit de procéder à des expérimentations sur les animaux et à agrément les établissements où celles-ci sont pratiquées, les articles 5 et 6 du décret attaqué n'ont ni excédé les limites de l'habilitation donnée par le législateur ni méconnu le principe de liberté du commerce et de l'industrie qui ne s'exerce que dans les limites fixées par la loi ;
Sur la légalité de l'article 10 du décret attaqué :
Considérant que l'article 10 du décret attaqué dispose en son alinéa 3 que : "Le dossier de la demande doit comporter la justification que le demandeur n'a pas encouru de condamnation pour infraction aux dispositions législatives et réglementaires afférentes à la protection des animaux et de la nature, ni de condamnation pénale ou disciplinaire pour des faits contraires à l'honneur ou à la probité" ; qu'eu égard à l'objet de l'habilitation conférée par le législateur, le gouvernement a pu légalement prévoir que toute expérimentation sur les animaux serait interdite aux personnes ayant encouru une condamnation pour infraction aux dispositions législatives et réglementaires afférentes à la protection des animaux ; qu'en revanche, en exigeant du demandeur d'une autorisation d'expérimenter sur les animaux la justification qu'il n'a pas encouru de condamnation pénale ou disciplinaire pour des faits contraires à l'honneur ou à la probité, sans distinguer selon la nature des faits ayant motivé la condamnation ni selon la gravité de la sanction, le gouvernement a excédé les limites de l'habilitation reçue du législateur et méconnu son objet ; que, dès lors, les requérants sont fondés à demander l'annulation des dispositions susanalysées de l'alinéa 3 de l'article 10 du décret attaqué, qui sont divisibles des autres dispositions dudit décret ;
Sur la légalité des articles 11 et 15 du décret attaqué :
Considérant que l'article 11 du décret attaqué dispose que : "Le ministre de l'agriculture peut restreindre l'étendue de l'autorisation demandée ou l'assortir de toute condition qu'il juge utile. A défaut d'autorisation expresse ou de refus motivé du ministre de l'agriculture avant l'expiration d'un délai de deux mois suivant la date de réception de la demande, l'autorisation est réputée accordée", et que l'article 15 du même décret dispose que : "L'agrément peut être général ou spécial, selon la vocation de l'établissement, la nature de ses installations et la qualification de son personnel. Il est accordé pour une durée de cinq ans par un arrêté conjoint du ministre de l'agriculture et du ministre dont relève l'activité de l'établissement, et renouvelable par tacite reconduction. Cet arrêté peut restreindre l'étendue de l'agrément demandé ou l'assortir de toute condition jugée utile par les ministres compétents" ; que ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet de permettre au ministre de l'agriculture d'apporter à l'activité des personnes et des établissements se livrant à des expérimentations sur les animaux d'autres restrictions que celles que prévoient les dispositions législatives et réglementaires relatives à la protection des animaux ; que les requérants ne sont, dès lors, pas fondés à soutenir que les dispositions des articles 11 et 15 précités seraient entachées d'illégalité parce qu'elles autorisaient le ministre à apporter des restrictions illimitées aux activités en cause ;
Sur la légalité des articles 12 et 16 du décret attaqué :
Considérant que l'article 12 du décret attaqué dispose, en ses alinéas 3 et 4 que :"Le ministre de l'agriculture peut, en cas de manquement aux dispositions prévues au chapitre 1er et au deuxième alinéa de l'article 10 du présent décret, retirer l'autorisation d'expérimenter, à titre temporaire ou définitif, sans préjudice des poursuites pénales éventuellement exercées contre son titulaire ou contre les personnes qui pratiquent sous sa direction et son contrôle. Il peut également en modifier l'étendue. - Lorsque des manquements graves et répétés aux mêmes dispositions ont été constatées par les agents de contrôle habilités à cet effet, le commissaire de la République peut prononcer la suspension de l'autorisation, dont il rend compte au ministre de l'agriculture" ; et qu'aux termes de l'article 16 du décret attaqué : "L'agrément d'un établissement d'expérimentation peut être modifié ou retiré, à titre temporaire ou définitif, en cas de non respect par l'établissement des dispositions des chapitres I et II du présent décret ou des conditions qui ont accompagné l'octroi de cet agrément" ;
Considérant, en premier lieu, que le respect des droits de la défense est un principe général du droit applicable même en l'absence de texte ; que, par suite, la circonstance que les dispositions précitées ne précisent pas que le retrait de l'autorisation ou de l'agrément ne peut s'opérer qu'après procédure contradictoire, ne les entachent pas d'illégalité ;
Considérant, en second lieu, que le pouvoir réglementaire pouvait légalement prévoir, en cas d'urgence, la suspension par le préfet de l'autorisation d'expérimenter, dès lors que cette suspension intervient en cas de manquements graves et répétés aux dispositions protégeant certains animaux contre des mauvais traitements ou des expériences abusives et que le préfet doit immédiatement en rendre compte au ministre de l'agriculture auquel le décret attribue le pouvoir de retrait de l'autorisation d'expérimenter ; que les requérants ne sont par suite pas fondés à soutenir que les dispositions relatives à la suspension des autorisations seraient entachées d'excès de pouvoir ;
Sur la légalité de l'article 23 du décret attaqué :
Considérant que l'article 23 du décret attaqué dispose en son alinéa premier que : "Dans le cadre des compétences qui leur sont dévolues par l'article 283-1 du code rural, les vétérinaires-inspecteurs sont habilités à exercer, tant dans les établissements d'expérimentation que dans les établissements d'élevage et de fourniture d'animaux destinés à l'expérimentation, le contrôle de l'application des chapitres I et II du présent décret. Toutefois, le contrôle du déroulement des expériences mettant en cause le secret de la défense nationale ne peut être exercé que par des vétérinaires spécialement habilités à cet effet par l'autorité militaire" ;
Considérant que les vétérinaires-inspecteurs sont, dans l'exercice des prérogatives qui leur sont confiées par ces dispositions, tenus au respect d'une obligation de secret professionnel, notamment en application de l'article 26 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et de l'article 378 du code pénal ; qu'il suit de là que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que, faute de toute mention de l'obligation pour les vétérinaires-inspecteurs de respecter le secret professionnel, l'article 23 du décret attaqué serait entaché d'illégalité ;
Sur les conclusions tendant à l'annulation de la totalité du décret attaqué :
Considérant que les requérants ne font valoir aucun moyen mettant en cause la légalité du décret attaqué dans son ensemble ; que leurs conclusions tendant à l'annulation totale du décret attaqué ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées ;
Article 1er : L'alinéa 3 de l'article 10 du décret du 19 octobre 1987 pris pour l'application de l'article 454 du code pénal et du troisième alinéa de l'article 276 du code rural et relatif aux expériences pratiquées sur les animaux est annulé en tant qu'il prévoit que "le dossier de la demande doit comporter la justification que le demandeur n'a pas encouru de condamnation pénale ou disciplinaire pour des faits contraires à l'honneur ou à la probité".
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à MM. Aran, ARNAUD, BROMONT, CITTANOVA, CLAUDE, CROS, DUCHENE, DUCHENE-MARCILLAZ, FREYRIA, GARGOUIL, GROSSE, DE JONG, DE LEIRIS, LHOSTE, MEYER, MILHAUD, MIRONNEAU, NARCISSE, NARGEOT, POIRIER, ROCHETTE, SIMON, SIOU, STINUS, VARGESTIG, VERAIN, WEPIERRE, SASSARD, au ministre d'Etat, ministre des affaires sociales, de la santé et de la ville et au ministre de l'agriculture et de la pêche.