Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 24 janvier 1992 et 25 mai 1992 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Félix d'Y..., demeurant ...Université à Paris (75007) ; M. d'Y... demande que le Conseil d'Etat :
1°) annule le jugement en date du 27 novembre 1991 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande d'annulation des décisions du directeur départemental de l'agriculture et de la forêt en date du 9 décembre 1986 attribuant à son fermier, M. X..., l'indemnité de cessation d'activité laitière et du 18 février 1988 l'informant de ce que l'attribution de cette indemnité entraînait la disparition de la quantité de référence laitière de l'exploitation louée à M. X... ;
2°) annule ces décisions pour excès de pouvoir ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le traité de Rome, notamment son article 177 ;
Vu le règlement (CEE) n° 857/84 du Conseil du 31 mars 1984, portant règles générales pour l'application du prélèvement visé à l'article 5 quater du règlement (CEE) n° 804/68 dans le secteur du lait et des produits laitiers modifié notamment par le règlement n° 590/85 du Conseil du 26 février 1985 ;
Vu le règlement (CEE) n° 1336/86 du Conseil du 6 mai 1986 fixant une indemnité à l'abandon définitif de la production laitière ;
Vu le règlement (CEE) n° 1371/84 de la commission du 16 mai 1984 fixant les modalités d'application du prélèvement supplémentaire visé à l'article 5 quater du règlement (CEE) n° 804/68 ;
Vu le décret n° 84-481 du 21 juin 1984 concernant l'octroi de primes aux producteurs qui s'engagent à abandonner définitivement la production laitière ;
Vu le décret n° 86-883 du 28 juillet 1986 concernant l'octroi d'une prime nationale unique aux producteurs qui s'engagent à abandonner définitivement la production laitière ;
Vu le décret n° 87-608 du 31 juillet 1987 relatif au transfert des quantités de références laitières ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mme Daussun, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Tiffreau, Thouin-Palat, avocat de M. Félix d'Y...,
- les conclusions de M. Savoie, Commissaire du gouvernement ;
En ce qui concerne les conclusions dirigées contre la "décision" du 18 février 1988 :
Considérant que la lettre en date du 18 février 1988 par laquelle le directeur départemental de l'agriculture et de la forêt des Deux-Sèvres a, d'une part, transmis à M. d'Y... copie de la décision du 9 décembre 1986 par laquelle il avait attribué à M. X..., fermier, la prime nationale unique à la cessation d'activité laitière et, lui a, d'autre part, rappelé que "le décret n° 86-882 du 28 juillet 1986 en son article 4 indiquait que la décision d'octroi entraînait l'annulation de la quantité de référence du bénéficiaire", n'a pas le caractère d'une décision faisant grief susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ; que les conclusions de la demande de M. d'Y... dirigée contre cette prétendue décision n'étaient donc pas recevables ;
En ce qui concerne les conclusions dirigées contre la décision du 9 décembre 1986 :
Considérant que cette décision qui attribue à M. X... la prime nationale unique à la cessation d'activité laitière a été prise sur le fondement du décret n° 86-883 du 28 juillet 1986 ; que les moyens tirés de l'illégalité du décret du 21 juin 1984 et du décret n° 86-882 du 28 juillet 1986 sont, dès lors, inopérants ;
Sur l'exception d'illégalité du décret n° 86-883 du 28 juillet 1986 :
Sur les moyens tirés de la violation des règlements CEE n° 857/84 du 31 mars 1984 et n° 1336/86 du 6 mai 1986 du Conseil des communautés européennes :
Considérant qu'aux termes de l'article 2 du règlement CEE n° 857/84 du 31 mars 1984 : "La quantité de référence visée à l'article 5 quater paragraphe 1 du règlement (CEE) n° 804/68 est égale à la quantité de lait (...) livrée par le producteur pendant l'année civile 1981 (...), augmentée de 1 %" ; que l'article 6-1 du même règlement dispose que : "Est attribuée à chaque producteur de lait et de produits laitiers visés à l'article 5 quater paragraphe 2 du règlement (CEE) n° 804/68 une quantité de référence correspondant aux ventes directes effectuées par ce dernier pendant l'année civile 1981, augmentées de 1 %" ; qu'aux termes de l'article 7 : "En cas de vente, location ou transmission par héritage d'une exploitation, la quantité de référence correspondante est transférée totalement ou partiellement à l'acquéreur, au locataire ou à l'héritier selon des modalités à déterminer" ; qu'enfin, selon l'article 4 : "Afin de mener à bien la restructuration de la production laitière au niveau national, régional ou des zones de collecte, les Etats-membres peuvent (...) accorder aux producteurs qui s'engagent à abandonner définitivement la production laitière une indemnité versée en une ou plusieurs annuités (...) Les quantités de référence libérées sont, en tant que de besoin, ajoutées à la réserve visée à l'article 5" ;
Considérant qu'il résulte clairement de l'ensemble des dispositions précitées que la quantité de référence laitière qui détermine le volume de lait ou de produits laitiers que chaque producteur est autorisé à commercialiser sans être soumis à prélèvement est attribuée non à l'exploitation mais au producteur, c'est à dire, lorsque l'exploitation est donnée à bail, au preneur ; que le requérant n'est donc pas fondé à soutenir que le décret du 28 juillet 1986, en ce qu'il autorise le preneur d'un bail rural à demander, sans l'accord de son bailleur, à bénéficier de la prime nationale unique dont l'octroi entraîne la suppression de la quantité de référence dont il est titulaire, méconnaîtrait une prétendue règle communautaire attachant la quantité de référence à l'exploitation ;
Considérant que le décret dont la légalité est contestée n'a pas été pris pour l'application du règlement (CEE) n° 1336/86 du 6 mai 1986 ; que le moyen tiré de ce qu'il méconnaîtrait certaines dispositions de ce règlement est donc, en tout état de cause, inopérant ;
Sur le moyen tiré de la violation du droit de propriété :
Considérant, en premier lieu, que si la possibilité ouverte par le décret dont la légalité est contestée au preneur d'un bail rural de demander l'indemnité de cessation d'activité laitière et l'annulation de la quantité de référence qui en résulte, apportent des restrictions à l'usage du droit de propriété du bailleur, ces restrictions résultent non du décret contesté luimême mais des dispositions susrappelées du règlement CEE n° 857/84 du 31 mars 1984 dont il fait application ;
Considérant, en second lieu, que ce décret n'a pas pour objet et ne saurait avoir légalement pour effet de priver le propriétaire bailleur du droit de demander, le cas échéant, réparation des dommages que lui aurait causé la décision du preneur de renoncer à la production laitière ;
Sur la violation des droits acquis :
Considérant qu'il ne résulte d'aucune disposition législative ni d'aucun principe général du droit que les propriétaires d'exploitations sur lesquelles s'exerce une activité de production laitière auraient un droit acquis au maintien de la quantité de référence correspondante ; que le moyen tiré de ce que le décret du 28 juillet 1986 contesté porterait atteinte à de tels droits acquis ne peut, dès lors, qu'être écarté ;
Sur la violation du principe d'égalité :
Considérant, d'une part, que les propriétaires d'exploitations agricoles données à bail ne sont pas dans la même situation que les propriétaires exploitants ; que, par suite, le décret contesté a pu, sans méconnaître le principe d'égalité, ne pas prévoir de dispositions identiques pour les uns et pour les autres ;
Considérant, d'autre part, que la circonstance que la réglementation nationale d'autres Etats-membres de la communauté contiendrait des dispositions plus protectrices des intérêts des propriétaires bailleurs que celles qui sont fixées par le décret contesté est sans incidence sur la légalité de ce décret ;
Considérant, enfin, que la suppression de la quantité de référence qu'entraîne l'octroi au producteur de l'indemnité de cessation d'activité laitière n'a pas le caractère d'une sanction ; que, dès lors, le moyen tiré de ce qu'une telle sanction serait disproportionnée aux objectifs de la réglementation relative à la maîtrise de la production laitière, ne peut qu'être écarté ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède et sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice des communautés européennes à titre préjudiciel, que M. d'Y... n'est pas fondé à se plaindre que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers ait rejeté sa demande ;
Article 1er : La requête de M. d'Y... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. d'Y..., à M. X... et au ministre de l'agriculture et de la pêche.