La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

23/03/1992 | FRANCE | N°54806

France | France, Conseil d'État, 8 / 9 ssr, 23 mars 1992, 54806


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 24 octobre 1983 et 20 février 1984 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société "Klockner France", société à responsabilité limitée dont le siège est ..., représentée par son gérant en exercice domicilié audit siège ; la société Klockner France demande que le Conseil d'Etat :
1°) réforme le jugement du 23 juin 1983 par lequel le tribunal administratif de Paris ne lui a accordé qu'une réduction du complément de la taxe sur la valeur ajoutée auquel elle a été assuj

ettie au titre de la période du 1er janvier 1976 au 31 octobre 1979 par un avis d...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 24 octobre 1983 et 20 février 1984 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société "Klockner France", société à responsabilité limitée dont le siège est ..., représentée par son gérant en exercice domicilié audit siège ; la société Klockner France demande que le Conseil d'Etat :
1°) réforme le jugement du 23 juin 1983 par lequel le tribunal administratif de Paris ne lui a accordé qu'une réduction du complément de la taxe sur la valeur ajoutée auquel elle a été assujettie au titre de la période du 1er janvier 1976 au 31 octobre 1979 par un avis de mise en recouvrement du 21 novembre 1981,
2°) la décharge intégralement des impositions contestées ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le décret du 9 juin 1972 organisant la profession d'avocat tel qu'il a été modifié par le décret n° 79-233 du 22 mars 1979 ;
Vu l'arrêt de la cour de justice européenne C. 294/89 du 10 juillet 1991 - Commission contre France - ;
Vu le code général des impôts ;
Vu la loi n° 78-1140 du 29 décembre 1978 portant loi de finances pour 1978 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. du Marais, Auditeur,
- les observations de la SCP Urtin-Petit, Van Troeven, avocat de la société Klockner France,
- les conclusions de M. Chahid-Nouraï, Commissaire du gouvernement ;

Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 126-3 du décret du 9 juin 1972 organisant la profession d'avocat, modifié par le décret du 22 mars 1979, que lorsqu'un avocat ressortissant de l'un des Etats membres des communautés européennes, établi à titre permanent dans l'un de ces Etats autres que la France et accomplissant, en France, une activité professionnelle occasionnelle, assure la représentation ou la défense d'un client en justice ou devant les autorités publiques, il exerce ses fonctions dans les mêmes conditions qu'un avocat inscrit à un barreau français ; qu'il doit cependant, même dans l'exercice des activités juridictionnelles pour lesquelles le recours à un avocat ou avoué territorialement compétent n'est pas obligatoire en vertu de la réglementation française, agir de concert avec un avocat inscrit à un barreau français qui est, s'il y a lieu, responsable à l'égard de la juridiction ;
Considérant que la société requérante fait valoir que la cour de justice des communautés européennes, en décidant par son arrêt du 10 juillet 1991 que "la République française a manqué aux obligations qui lui incombent eu vertu des articles 59 et 60 du Traité CEE et de la directive 77/249/CEE du Conseil du 22 mars 1977 tendant à faciliter l'exercice effectif de la libre prestation de services par les avocats : ... en obligeant l'avocat prestataire de service à agir de concert avec un avocat inscrit à un barreau français ... pour l'exercice d'activités pour lesquelles le droit français n'exige pas l'assistance obligatoire d'un avocat" a entendu censurer les dispositions réglementaires précitées instaurant une telle obligation ; qu'il résulte en tous cas de l'arrêt précité que, sur ce point, les dispositions réglementaires susanalysées sont inapplicables ; que, dans ces conditions, le ministre n'est pas fondé à se plaindre que les premiers juges, après avoir estimé que l'article 126-3 du décret du 9 juin 1972 modifié par le décret du 22 mars 1979 n'imposait pas l'action concertée dans le cas où l'assistance par un avocat n'est pas requise, ont examiné au fond la demande de la société Klockner France ;

Au fond :
Sur l'imposition des commissions versées par la société Klöckner and Co à la société Klockner France :
Considérant qu'aux termes de l'article 259 du code général des impôts relatif à la taxe sur la valeur ajoutée : "les prestations de service sont imposables en France lorsque le prestataire a en France le siège de son activité ou un établissement stable à partir duquel le service est rendu ou, à défaut, son domicile ou sa résidence habituelle" ; que l'article 263 du même code dispose que "les prestations de service effectuées par les mandataires qui interviennent dans les opérations exonérées par l'article 262 ainsi que dans les opérations dont le lieu d'imposition ne se situe pas en France sont exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée" ; que l'article 262 II-14° du code général des impôts, exonère de taxe "les prestations de services se rapportant à l'importation de biens et dont la valeur est comprise dans la base d'imposition de l'importation" ;
Considérant, en premier lieu, que la société à responsabilité limitée Klockner France a son siège social en France où elle prospecte, au nom et pour le compte de la société allemande Klöckner and Co, les clients pouvant être intéressés par les produits sidérurgiques fabriqués par cette dernière, auxquels elle présente les produits et avec lesquels elle étudie les conditions d'achat et de livraison ; que dès lors, les prestations de services qu'elle effectue sont normalement imposables en France en application des dispositions précitées de l'article 259 du code général des impôts ;
Considérant, en second lieu, que s'il résulte de l'instruction, et s'il n'est d'ailleurs pas contesté, que les produits vendus en France par la société "Klöckner and Co" le sont avant tout dédouanement, les importateurs étant, dans tous les cas, les clients français, l'activité de la société Klockner France ne peut être regardée comme celle d'un mandataire intervenant dans la réalisation de ces importations ; que la société n'est par suite pas fondée à invoquer les dispositions précitées de l'article 263 du code général des impôts ; qu'en admettant même que, comme le soutient la société, une partie des commissions rémunérerait une intervention entrant dans les prévisions dudit article, elle ne pourrait, en tout état de cause, faute d'une comptabilisation distincte permettant d'isoler les recettes correspondantes, donner lieu à exonération ;
Considérant, enfin, qu'il résulte de l'instruction que les commissions versées à la société Klockner France ne rémunèrent pas des prestations de services se rapportant à l'importation de biens, et ne sont pas comprises dans la base d'imposition de l'importation ; que, dès lors, la société Klockner France ne peut prétendre au bénéfice de l'exonération prévue par les dispositions précitées de l'article 262-II-14° du code général des impôts ;

Sur l'imposition de la somme versée par la société Klockner France à la société Klöckner and Co :
Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 271 du code général des impôts : "La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération" et qu'en vertu des dispositions des articles 217 et 224 de l'annexe II au code général des impôts l'imputation de cette taxe s'effectue, s'agissant de services, au titre du mois qui suit celui pendant lequel le droit à déduction a pris naissance et l'exercice du droit à déduction est subordonné à la mention du montant de la taxe déduite sur les déclarations déposées pour le paiement de la taxe sur la valeur ajoutée ;
Considérant que la société Klockner France a versé en 1978 à la société "Klöckner and Co" une somme de 30.958,50 F en paiement d'une étude de marché effectuée en France, pour son compte, par cette dernière ; que cette prestation étant soumise à la taxe sur la valeur ajoutée en tant que service utilisé en France, la société Klockner France, recherchée en paiement de cette taxe par application des dispositions alors en vigueur de l'article 25 de l'annexe I au code général des impôts, était en droit de déduire la taxe ayant grevé le prix de ladite étude ; qu'elle ne pouvait, cependant, en vertu des dispositions réglementaires susrappelées procéder immédiatement à cette imputation sur la taxe dont elle se trouvait ainsi débitrice ;
Considérant, d'autre part, que le droit de demander la compensation est subordonné, pour le contribuable, en vertu de l'article L. 205 du livre des procédures fiscales à l'existence d'une surtaxe ou d'une double imposition ; que la société ne justifiant l'existence d'aucune "surtaxe" ou "double imposition", ne peut demander devant le juge que son droit à déduction s'exerce par la voie de la compensation avec la taxe résultant du redressement qui lui a été notifié ; qu'ainsi le ministre chargé du budget est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a accordé à la société requérante la décharge totale de la somme correspondant à l'exercice de ce droit à déduction ;

Considérant, cependant, que la taxe sur la valeur ajoutée dont est redevable un vendeur ou un prestataire de service est, comme les prélèvements de toute nature assis en addition à cette taxe, un élément qui grève le prix convenu avec le client et non un accessoire du prix ; qu'en vertu des dispositions des articles 266 et 267 du code général des impôts, l'assiette de la taxe sur la valeur ajoutée est égale au prix convenu entre les parties diminué notamment de la taxe exigible sur cette opération ; que cette règle d'assiette est applicable alors même que le fournisseur n'a pas facturé de manière distincte la taxe dont il sera redevable du fait de l'affaire ; que, par suite, lorsqu'un assujetti réalise une affaire moyennant un prix convenu qui ne mentionne aucune taxe sur la valeur ajoutée, dans des conditions qui ne font pas apparaître que les parties seraient convenues d'ajouter au prix stipulé un supplément de prix égal à la taxe sur la valeur ajoutée applicable à l'opération, la taxe due au titre de cette affaire doit être assise sur une somme égale au prix stipulé, diminué notamment du montant de ladite taxe ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que les parties au contrat aient entendu en l'espèce ajouter au prix de l'étude de marché, réglé par la société Klockner France, porté sur une facture qui ne mentionnait aucune taxe sur la valeur ajoutée, un supplément de prix correspondant au montant de cette taxe ; qu'il y a lieu, par suite, de regarder le prix convenu comme calculé taxe incluse et de limiter à 4.633,20 F le montant de la taxe sur la valeur ajoutée assignée à la société requérante au titre de l'étude de marché susmentionnée ;
Article 1er : La taxe sur la valeur ajoutée afférente à l'étude de marché réalisée en 1978 par la société "Klöckner and Co" est remise à la charge de la société Klockner France pour un montant de 4.633,20 F, assorti de l'indemnité de retard correspondante.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Paris susvisé est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Klockner France et du recours incident du ministre chargé du budget est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Klockner France et au ministre délégué au budget.


Sens de l'arrêt : Droits maintenus
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

COMMUNAUTES EUROPEENNES - APPLICATION DU DROIT COMMUNAUTAIRE PAR LE JUGE ADMINISTRATIF FRANCAIS - PRISE EN COMPTE DES DECISIONS DE LA COUR DE JUSTICE - Prise en compte d'un arrêt constatant le manquement de la République française aux obligations qui lui incombent - Obligation des avocats ressortissants d'un autre Etat membre de la CEE d'agir de concert avec un avocat inscrit à un barreau français pour les activités dispensées du ministère d'avocat (article 126-3 du décret n° 72-468 du 9 juin 1972 modifié) - Dispositions incompatibles avec les articles 59 et 60 du Traité de Rome et la réglementation communautaire de la libre prestation de service par les avocats.

15-03-03, 37-04-04-01-02, 54-01-08-02 Il résulte des dispositions de l'article 126-3 du décret du 9 juin 1972 organisant la profession d'avocat, modifié par le décret du 22 mars 1979, que lorsqu'un avocat ressortissant de l'un des Etats membres des Communautés européennes, établi à titre permanent dans l'un de ces Etats autres que la France et accomplissant, en France, une activité professionnelle occasionnelle, assure la représentation ou la défense d'un client en justice ou devant les autorités publiques, il exerce ses fonctions dans les mêmes conditions qu'un avocat inscrit à un barreau français. Il doit cependant, même dans l'exercice des activités juridictionnelles pour lesquelles le recours à un avocat ou avoué territorialement compétent n'est pas obligatoire en vertu de la réglementation française, agir de concert avec un avocat inscrit à un barreau français qui est, s'il y a lieu, responsable à l'égard de la juridiction. La Cour de justice des Communautés européennes, en décidant par son arrêt du 10 juillet 1991 que "la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 59 et 60 du traité CEE et de la directive 77/249/CEE du Conseil du 22 mars 1977 tendant à faciliter l'exercice effectif de la libre prestation de services par les avocats : ... en obligeant l'avocat prestataire de service à agir de concert avec un avocat inscrit à un barreau français ... pour l'exercice d'activités pour lesquelles le droit français n'exige pas l'assistance obligatoire d'un avocat ...", a entendu censurer les dispositions réglementaires précitées instaurant une telle obligation. Il résulte en tous cas de l'arrêt précité que, sur ce point, ces dispositions sont inapplicables.

JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES ET JUDICIAIRES - MAGISTRATS ET AUXILIAIRES DE LA JUSTICE - AUXILIAIRES DE LA JUSTICE - AVOCATS - EXERCICE DE LA PROFESSION - Obligation des avocats ressortissants d'un autre Etat membre de la CEE d'agir de concert avec un avocat inscrit à un barreau français pour les activités dispensées du ministère d'avocat (art - 126-3 du décret n° 72-468 du 9 juin 1972 modifié) - Dispositions incompatibles avec les articles 59 et 60 du traité de Rome et la réglementation communautaire de la libre prestation de service par les avocats.

PROCEDURE - INTRODUCTION DE L'INSTANCE - FORMES DE LA REQUETE - MINISTERE D'AVOCAT - Avocat ressortissant d'un Etat membre des Communautés européennes - Obligation d'agir de concert avec un avocat inscrit à un barreau français - Incompatibilité avec le droit communautaire - Existence.


Références :

CEE Directive 249-77 du 22 mars 1977 Conseil
CGI 259, 263, 262, 271, 266, 267
CGI Livre des procédures fiscales L205
CGIAN1 25
CGIAN2 217, 224
Décret 72-468 du 09 juin 1972 art. 126-3
Décret 79-233 du 22 mars 1979
Traité du 25 mars 1957 Rome art. 59, art. 60


Publications
Proposition de citation: CE, 23 mar. 1992, n° 54806
Publié au recueil Lebon
RTFTélécharger au format RTF
Composition du Tribunal
Président : M. Rougevin-Baville
Rapporteur ?: M. du Marais
Rapporteur public ?: M. Chahid-Nouraï
Avocat(s) : SCP Urtin-Petit, Van Troeyen, Avocat

Origine de la décision
Formation : 8 / 9 ssr
Date de la décision : 23/03/1992
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 54806
Numéro NOR : CETATEXT000007632390 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;1992-03-23;54806 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award